Le patron de Michelin, Florent Menegaux, a été auditionné la semaine dernière au Sénat en commission des Affaires économiques au sujet de la crise de la filière automobile. L’occasion de comprendre les raisons de la fermeture de deux sites en France en 2026, ceux de Cholet et de Vannes, menaçant plus de 1200 emplois.
L’entreprise, qui a la réputation de prendre soin de ses salariés, doit jouer dans la compétition internationale avec des règles différentes de celles de ses concurrents. « On aime la concurrence » explique Florent Menegaux, « mais si vous jouez au football avec une équipe de 11 joueurs et que l’équipe d’en face joue avec 22 joueurs et à le droit de jouer avec les mains, la compétition n’est pas possible ! »
En cause, l’envolée des coûts de l’énergie, l’inflation des prix et la complexification de la réglementation en Europe, un cocktail funeste que le fabricant, toujours premier mondial du secteur des pneumatiques, ne peut aujourd’hui plus supporter devant des concurrents asiatiques beaucoup moins chers et supportant peu de contraintes.
« Les règles de la concurrence actuelle de l’Europe ont été bâties sur l’idée que le consommateur achète le moins cher possible, même au détriment des industries locales », justifie le PDG du groupe.
Coût de l’énergie et cauchemar administratif
Entre la concurrence des pneus chinois et les coûts de l’énergie et des salaires, Michelin ne peut plus exporter depuis l’Europe, a expliqué son PDG Florent Menegaux au Sénat, le 22 janvier.
Si le géant mondial du pneu exporte toujours plus qu’il n’importe depuis l’Europe, la situation « n’est plus tenable ». « On a une hyperconcurrence, des surcapacités massives » dans les usines des concurrents, a-t-il précisé.
Depuis 2019, avec la hausse des coûts de l’énergie et l’inflation qui « s’est retraduite dans les salaires », il est devenu globalement « deux fois plus cher » de produire des pneus en Europe qu’en Asie. « Pour maintenir notre outil industriel en Europe, il faut qu’on ait un outil ramassé, hyper productif […]. Il faut qu’on investisse massivement dans la robotisation », a expliqué Florent Menegaux.
Mais une des principales problématiques de la production industrielle en France et en Europe est le coût de l’énergie. Le prix du gaz en Europe est en moyenne de 53 euros/MWh (51 euros/MWh pour la France), alors qu’il est en Amérique du Nord de 16 euros/MWh. Le prix de l’électricité en Europe est en moyenne de 132 euros/MWh, alors qu’il est en Amérique du Nord de 68 euros/MWh. Pour la France, il est de 108 euros/MWh pour un coût de production de 42 euros/MWh.
La compétitivité européenne est également plombée par une réglementation écrasante, analyse Florent Menegaux. Par exemple, «une directive qui a une déclinaison dans tous les pays, pour nous, c’est 27 déclinaisons avec des spécificités ici ou là, et des surenchères locales». C’est un «cauchemar administratif» a commenté le PDG de Michelin, estimant que la machine européenne s’était «complètement emballée».
La concurrence de l’ogre asiatique
Le patron de Michelin a expliqué la nature de la concurrence auquel le groupe fait face à l’échelle mondiale.
Ainsi, en comparant les coûts de production, sur une base 100 en Asie en 2019, le coût de fabrication était de 127 aux États-Unis et de 134 en Europe. « C’était encore gérable, grâce à plus de valeur ajoutée et à l’innovation », a-t-il expliqué.
Mais en 2024, toujours sur une base 100 en Asie, le coût est passé à 176 aux États-Unis et à 191 en Europe, soit quasiment le double, ce qui est maintenant intenable.
En cause, d’un côté 200 manufacturiers de pneumatiques qui ont vu le jour en 25 ans en Chine, de l’autre des décisions en Europe et en France qui ont fait s’envoler le coût de l’énergie, l’inflation et la complexification de la réglementation.
Le contexte des fermetures des usines de Vannes et Cholet
Le géant du pneu a annoncé la fermeture d’ici à 2026 de ses usines de Vannes (Morbihan) et de Cholet (Maine-et-Loire), où travaillent plus de 1200 personnes. Le groupe industriel a déjà fortement réduit sa présence en France en fermant six usines en vingt ans et il prépare la fermeture d’ici 2025 de deux usines en Allemagne.
Une réunion de négociations sur les conditions du plan social a eu lieu le 22 janvier à Clermont-Ferrand, au siège du groupe, alors que des centaines de salariés manifestaient à Cholet et à Paris.
Cholet était le site du groupe « le plus cher du monde pour fabriquer des pneus de camionnette », a précisé Florent Menegaux. Vannes, qui fabrique des renforts métalliques des pneus pour poids lourds – un marché en crise – a été sacrifié plutôt que l’usine de Golbey dans les Vosges car « le bassin d’emploi du Morbihan était beaucoup plus actif et dynamique », ajoutant prendre en compte ces éléments pour faciliter la réembauche de ses salariés.
Si le groupe a son siège et de nombreuses activités de recherche dans l’Hexagone, « nos activités de production en France perdent de l’argent », a souligné Florent Menegaux. « En France, il n’y a pas beaucoup d’autres solutions que d’aller dans le haut de gamme. »
Mais l’usine de pneumatiques agricoles de Troyes est aussi concurrencée par « un concurrent indien qui produit en Inde et exporte massivement en France », tandis que l’Inde a interdit les importations de pneus. « On laisse faire! C’est ce type de choses-là qu’il faut [résoudre] », a estimé le patron du géant du pneu.
Un « besoin de stabilité réglementaire, fiscale, environnementale »
Si la France a des « atouts formidables » avec « une infrastructure remarquable, une électricité décarbonée d’ampleur – un peu trop chère mais disponible, des personnes bien formées, un tissu industriel préexistant », le patron de Michelin a répété que l’industrie avait « besoin de stabilité réglementaire, fiscale, environnementale ».
« Notre dépense publique est trop chère et pas assez efficace », a par ailleurs jugé Florent Menegaux, pointant le fait que la France est le pays avec les prélèvements obligatoires les plus élevés au monde. « Si je gérais les dépenses de cette manière-là, je serais remercié rapidement » a-t-il commenté.
En effet, « pour 100 euros bruts versés en salaire en France, le salarié touche en net 77,5 et ça coûte 142 à l’entreprise. En Allemagne c’est 80 et 120 : c’est normal que nos salariés râlent » a-t-il déclaré. Dans l’Hexagone, «le gros problème, ce n’est pas tant le niveau de salaire, c’est l’écart entre le brut et le net», a estimé Florent Menegaux.
Il a en revanche défendu le dispositif du crédit impôt recherche, qui doit être raboté et que Michelin a touché à hauteur de 40 millions d’euros en 2023, estimant qu’il « permet de rendre compétitive la recherche en France » par rapport à l’Espagne ou à l’Italie.
« Si on le supprime, Michelin ne mourra pas, mais pourra réfléchir à comment réallouer ses efforts de recherche dans le monde […] On a un attachement historique à la France mais il faut quand même que je sois capable d’expliquer que je gère l’argent des actionnaires et des investisseurs correctement dans un environnement concurrentiel débridé », a indiqué Florent Menegaux.
Le marché automobile européen a fortement baissé en 2024, entraîné notamment par la morosité des marchés allemand, français et italien. En cause, des constructeurs automobiles européens qui risquent 15 milliards d’euros d’amendes s’ils ne respectent pas les nouvelles règles de l’UE sur la fin des moteurs thermiques en 2035, alors que les faibles ventes de voitures électriques ralentissent la production automobile européenne et réduisent en contrepartie la vente de pneus.
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