Il y a quarante ans, l’ayatollah Khomeiny, le père de la révolution iranienne, faisait un retour triomphal à Téhéran après plus de 14 années d’exil.
Voici une dépêche de l’envoyé spécial de l’AFP, Patrick Meney, diffusée ce 1er février 1979:
TEHERAN, 1er février (AFP) – Des millions et des millions d’Iraniens, visages épanouis, massés sur trente-deux kilomètres, ont fait le 1er février un accueil triomphal à « l’Exilé », l’ayatollah Khomeiny, dont la voiture a été engloutie pendant des heures dans une marée humaine en délire. A peine sorti de l’aéroport de Téhéran, où son avion s’était posé à 09H00 locales, l’ayatollah Khomeiny, visiblement ému mais serein, a été emporté par des millions de fidèles.
Le chef religieux, en robe et turban noirs, a pris place dans un break américain, suivi d’une véritable flotte de minibus remplis de journalistes venus du monde entier. Cinquante mille bénévoles devaient contenir la foule. Avec leurs brassards verts, ils s’étaient baptisés les « policiers islamiques ». Le gouvernement leur avait confié l’entière responsabilité de la sécurité de l’ayatollah.
Mais ce service d’ordre des religieux a été immédiatement débordé. En quelques secondes, la voiture de Khomeiny a disparu dans la foule, qui bloquait des dizaines d’ambulances chargées de manifestants ayant perdu connaissance, étouffés par la pression de cette masse noire qui s’étendait à perte de vue sur les longues avenues rectilignes de Téhéran.
Combien étaient-ils jeudi dans les rues ?
Cinq millions peut-être… ou six, c’est impossible à dire. Sans précédent, en tout cas. A l’entrée de la capitale, l’imposant mémorial du chah, symbole de l’Iran moderne, a été rebaptisé place Khomeiny. Où se trouve à présent la voiture de l’ayatollah ? On l’ignore. Il a disparu quelque part dans cette marée bruyante, dans cette vague grouillante, d’où surgissent des centaines de milliers de portraits du leader de la « Révolution islamique ».
Les femmes sont toutes venues en tchador (voile noir), un œillet rouge à la main. Depuis le lever du jour, elles chantent: « Khomeiny est notre chef ». Les banderoles disent: « Khomeiny, bienvenue dans ton pays ». Les hommes scandent: « Dieu est le plus grand ». Des religieux vaporisent de l’eau de rose sur les manifestants, qui offrent leur visage au parfum saint. Dans la capitale ensoleillée, dominée par les proches montagnes enneigées, résonne ce brouhaha:
Une seule clameur : « Khomeiny, Khomeiny ».
Les militaires ont totalement déserté la capitale. Parfois, les fidèles, qui retrouvent enfin leur « guide » déifié après quinze ans d’exil (un peu plus de 14 ans,) soulèvent la voiture de l’ayatollah et la portent sur plusieurs mètres. « Ton retour signifie la proclamation de la République islamique », crient les plus exaltés. Un mollah (religieux chiite), en turban blanc, s’exclame: « Qui aurait pu penser il y a seulement six mois que Khomeiny rentrerait en Iran, lui le pestiféré, aujourd’hui acclamé par des millions de musulmans? ».
Chacun est effectivement conscient de la signification du retour de l’exilé, alors que le récent départ du chah avait précisément des allures d’exil. Quand le Boeing 747 de l’ayatollah s’est posé à Téhéran, chacun s’était tu. Ce fut encore dans le silence que l’ayatollah a descendu la passerelle de l’avion, retrouvant son pays, mais ne reconnaissant pas sa capitale hérissée de tours modernes.
Quelques minutes plus tard, l’ayatollah lançait un appel à l’unité, car, a-t-il dit, « la lutte n’est pas finie, le départ du chah n’est que la première partie du chemin à accomplir ». Puis, l’ayatollah Khomeiny a violemment dénoncé son ennemi: « Le chah a tout détruit, notre culture, notre université, l’économie, l’agriculture. Nous démolirons le système qu’il a mis en place ».
Jeudi, tout l’Iran semblait au rendez-vous de l’ayatollah Khomeiny. De l’aéroport au cimetière de Téhéran, haut-lieu de la contestation religieuse, où l’attendait une foule énorme, le leader chiite a pu constater qu’il était suivi par tout un peuple à qui il entend « montrer la voie à suivre ». Alors que la monarchie est toujours en place, que les germes de la guerre civile, ou de la guerre sainte ? pointent en Iran, chacun se demande quelle sera, concrètement, cette voie islamique.
D.C avec AFP
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