ENTRETIEN – Yannick Guillodo est médecin du sport à Brest. Il est également conférencier et auteur du livre : « Le smartphone tue » dans lequel, comme son nom l’indique, il dénonce les dangers du téléphone portable sur la santé physique. Dans un entretien accordé à Epoch Times, il revient sur son ouvrage et l’actualité marquée par la violence chez les jeunes.
Epoch Times – Qu’avez-vous voulu dire en employant le verbe « tuer » dans le titre de votre ouvrage ? N’est-ce pas un peu fort ?
Yannick Guillodo – Il y a deux raisons qui expliquent pourquoi j’ai choisi ce titre. Premièrement, l’éditeur souhaitait que j’opte pour un titre qui frappe le lecteur. Deuxièmement, pour une raison médicale. Dans mon livre, je me penche davantage sur l’impact du smartphone sur la santé physique et moins sur le neuropsychique.
Je pense que le smartphone détruit les trois piliers de la santé que sont : le mouvement, manger correctement et le sommeil de qualité. Une heure de smartphone en plus correspond à une heure de sédentarité en plus, et c’est aussi augmenter le risque de mourir prématurément d’entre 5 et 12 %. La sédentarité est le facteur de risque principal de décès au XXIe siècle, alors qu’au XXe siècle, on parlait plutôt d’inactivité physique. Et c’est un facteur de risque que la pratique d’une activité physique régulière, voire d’une activité sportive n’élimine pas. Des sportifs de haut niveau peuvent être sédentaires, c’est-à-dire qu’ils restent plus de sept heures par jour sur leur téléphone. La sédentarité est devenue un facteur de risque en raison de l’environnement numérique et plus précisément du smartphone qui est l’écran le plus familier, notamment des jeunes et des moins jeunes.
Aussi, le smartphone a un impact sur notre alimentation parce qu’il détruit notre manière ancestrale de nous nourrir, c’est-à-dire prendre son petit-déjeuner, déjeuner et dîner au profit de nouvelles habitudes alimentaires que sont le grignotage et les livraisons via des applications.
Enfin, on oublie toujours le sommeil dans la prévention alors que c’est un pilier aussi important que les deux précédents. Nous avons perdu une heure de sommeil ces dernières années et on sait qu’une heure de sommeil en moins revient à augmenter de 22 % le risque de faire du diabète. Et puis, la baisse de la durée du sommeil à laquelle nous assistons est largement due au temps passé sur le smartphone et au numérique de manière générale.
Donc, on peut dire que le smartphone tue parce que c’est la raison principale de notre sédentarisation et parce qu’il nuit gravement à nos habitudes alimentaires et à notre sommeil.
Vous dites que les smartphones peuvent engendrer des problèmes de santé. Mais aujourd’hui, pour certains emplois, il est devenu indispensable…
Vous avez tout à fait raison. Comme je l’écris dans mon livre, je ne souhaite pas revenir à la bougie. Cependant, le télétravail, introduit lors de la crise sanitaire, a en quelque sorte fait tomber le mur entre le numérique professionnel et le numérique des loisirs. Nous avons fait rentrer le numérique professionnel chez nous, sans enlever le numérique des loisirs qui était déjà dans nos maisons.
Bien entendu, le numérique était déjà présent au travail avant l’épidémie avec WhatsApp, les SMS etc. mais le confinement et le télétravail ont définitivement brisé la frontière entre le numérique professionnel et celui des loisirs. Pour ma part, je considère que le télétravail représente un danger pour la santé.
Pour vous, les smartphones représentent plus un danger pour les adultes, les plus jeunes ou l’ensemble de la société ?
Je dirais l’ensemble de la société même s’il est vrai que ceux qui ont plus de 50 ans ont passé la moitié de leur vie sans écran « de poche » tandis que ceux qui ont en moyenne 25 ans, ont toujours connu le smartphone. Les plus âgés ont été à l’abri de ça pendant des années et vont donc moins en subir les conséquences. Cela étant, on remarque dans la rue que tout le monde est penché sur son téléphone portable.
La chose qu’il faut noter chez les jeunes est que le smartphone remplace tout. Il remplace la montre, la télévision, l’appareil photo. Les personnes plus âgées, même celles qui ont un smartphone, ont tout de même conservé ces objets plus classiques.
L’ultraviolence semble s’être emparée de la jeunesse. Existe-t-il, selon vous, un lien entre les smartphones et cette ultraviolence ?
Ma réponse est oui. Nous vivons de moins en moins ensemble et de plus en plus côte à côte. Nous avons beaucoup de followers sur les réseaux sociaux, mais plus un seul ami. Il y a une telle possibilité d’avoir des relations, qu’il n’y a plus de relations.
L’époque des enfants avec un sac à dos dans la rue qui traînent et qui jouent au foot est terminée. Ce temps d’échange qu’il y avait autour de l’école était un moyen de s’opposer de manière ludique ou de converser sur la route, mais il n’existe plus. On est en train de détruire le lien social chez les enfants parce que l’école est formatée.
Quelles propositions faites-vous pour réguler les smartphones ?
La première, c’est déjà de faire la promotion de la santé, de dire qu’il n’y a pas d’interdiction, mais de sensibiliser les gens sur le temps qu’ils passent sur leur smartphone. À Brest, nous avons lancé l’opération « Posons nos smartphones ». Nous avons demandé aux gens de réduire d’une heure pendant une semaine leur temps sur leur téléphone.
Parmi les volontaires, 75 % ne sont pas parvenus à le faire. Ce qui veut dire qu’il est urgent d’intervenir. Deuxièmement, et c’est pour ça que nous pouvons être optimistes, il faut capitaliser sur les 25 % de gens qui y arrivent. Ces 25 % sont plus actifs au quotidien. Il ne faut pas donc pas faire de la prévention primaire, mais s’attaquer à la racine du mal qu’est le smartphone, et avec cette opération, je démontre que les 25 % des gens qui arrivent à réduire d’une heure leur temps d’utilisation de leur smartphone sont plus actifs et prennent plus soin de leur santé.
À la suite de « Posons nos smartphones », nous avons fait des publications en indiquant que cela ne coûte rien, que les gens peuvent être informés sur leur temps passé sur les écrans, qu’ils peuvent avoir des feedbacks etc. L’État et nos politiques devraient donc s’en inspirer. C’est sans prise de risque puisque nous avons déjà publié dessus.
Finalement, pour reprendre le slogan que j’ai créé, je dirais que le smartphone, c’est maximum trois heures par jour et pas tous les jours trois heures par jour parce qu’il est très difficile de passer moins de trois heures quotidiennement sur cet objet qui fait partie de notre vie.
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