L’impulsion donnée à la renaissance de la civilisation occidentale après la chute de Rome peut être attribuée en grande partie à un seul homme.
Aux 7ème et 8ème siècles, après la chute de l’Empire romain en Europe occidentale, l’ancienne culture romaine s’était éteinte. La lumière du savoir s’était presque éteinte. L’érudition était rare et les livres n’étaient pas largement diffusés. Les écoles et l’érudition étaient confinées dans les monastères.
Si vous cherchiez le plus grand érudit du monde pendant cet « âge des ténèbres », vous le trouveriez dans le coin le plus reculé de l’ancien monde romain : le nord de l’Angleterre, juste à la limite orientale du mur d’Hadrien. C’est là que se trouve un homme au nom inhabituel, Bède (672-735 apr. J.-C.), le « Vénérable Bède », comme on l’a surnommé.
Bède n’a jamais voyagé. Il est resté toute sa vie dans son monastère noyé sous la pluie, travaillant activement sur ses livres, compilant et synthétisant pratiquement toutes les connaissances dont il disposait à l’époque. Le monde qui l’entoure est sinistre et désordonné, dans le chaos post-romain des tribus qui s’affrontent et des chefs de guerre rivaux. Trouver le plus brillant érudit de l’époque dans un tel environnement reviendrait à le trouver aujourd’hui dans les faubourgs de Brownsville, au Texas, près de l’extrémité orientale du mur frontalier entre les États-Unis et le Mexique.
Dans la Grande-Bretagne post-romaine de l’époque de Bède, l’ordre ancien avait disparu depuis longtemps. Il n’y avait pas de culture ou de langue commune, et encore moins de sentiment d’identité partagée. Les Britanniques autochtones, les Irlandais, les Pictes et les immigrants et les envahisseurs scandinaves et saxons plus récents se bousculaient et s’affrontaient, souvent violemment. Il en est résulté une multitude de langues et de systèmes de croyance, dont différentes formes de christianisme et de paganisme. La légende nationale se souvient de cette époque comme étant celle du roi Arthur, qui n’a probablement jamais existé. C’était plus probablement l’époque du héros épique Beowulf, ou peu de temps après ; une époque de guerriers aux épées étincelantes et aux cornes brillantes d’hydromel, de monstres nocturnes tels que Grendel, et de trésors gardés par des dragons. C’est du moins ce dont les poètes se sont souvenus bien plus tard.
Les grandes réalisations de Bède ont été de donner une forme intelligible au désordre et de donner à ses contemporains une place dans l’histoire. Son érudition est un pont à travers le temps, qui enjambe l’âge des rois et des monstres mythiques dont on se souvient à peine, et qui reconnecte sa propre époque avec l’ancien monde romain qui avait disparu. C’est ce que fait Bède dans un texte intitulé « The Ecclesiastical History of the English People » (Histoire ecclésiastique du peuple anglais), qu’il a rédigé en latin.
Il s’agit d’un ouvrage court, rédigé à l’intention d’un public profane dans un style attrayant qui, aujourd’hui encore, fait l’objet d’une bonne lecture lorsqu’il est traduit. Mais à l’époque, l’objectif de Bède n’était pas tant de divertir ses lecteurs que de leur montrer leur place dans l’espace et le temps. Il a établi une histoire unique et cohérente, entremêlant diverses traditions chrétiennes, païennes, irlandaises, saxonnes et romaines, et les maintenant ensemble dans la tension dynamique de l’apprentissage du latin de la chrétienté romaine.
L’œuvre de Bède a eu une grande influence à l’étranger et a inspiré des réformes intellectuelles et sociales sur le continent européen, ce qui a ravivé l’intérêt pour la littérature ancienne, les élites ressentant un lien plus fort avec le passé. Nous sommes toujours les héritiers presque ruinés du vénérable Bède, puisque c’est lui qui a popularisé l’utilisation de la datation des événements par rapport à la naissance du Christ — l’origine du système AD/BC (Anno Domini, années du Seigneur, à partir de la naissance de Jésus-Christ/Before Christ, avant Jésus-Christ) que nous utilisons encore aujourd’hui.
Notre époque n’est évidemment pas un « âge sombre » comme le chaos post-romain, mais elle est marquée par une instabilité et une confusion croissantes. Les anciennes certitudes s’estompent, quand elles n’ont pas complètement disparu. Le nouvel ordre né après les deux guerres mondiales semble vaciller. Depuis la fin de la guerre froide, la mondialisation a rapproché de nombreuses personnes par le biais du commerce et des migrations. Mais contrairement à ce qu’elle promettait, la mondialisation n’a pas fait du monde une seule et même communauté. Les nations occidentales ne sont pas non plus devenues plus unifiées et plus riches sur le plan culturel. C’est le contraire qui s’est produit, hélas. Nous sommes divisés et atomisés, et nous avons négligé ou détruit la culture et les traditions locales.
On a dit du Canada qu’il n’avait « pas d’identité profonde ». Mais si cela est vrai, nous ne pourrons pas rester longtemps une communauté saine et prospère, et nous ne pouvons pas nous attendre à ce que la promotion uniquement de la différence et de la division nous apporte quoi que ce soit de bon.
À l’instar de l’époque de Bède, notre époque appelle un nouveau récit. Nous avons besoin d’une histoire qui nous dise qui nous sommes et d’où nous venons, mais pas en tant que simples individus ou groupes rivalisant pour l’ascension. Plus que jamais dans l’histoire récente, nous avons besoin de savoir qui nous sommes en général et comment nous nous inscrivons tous dans une même communauté.
Peut-être l’exemple de Bède nous indiquera-t-il un jour la voie à suivre.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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