Croissance perdue, investissements à l’arrêt, craintes sur la trésorerie : l’angoisse des chefs d’entreprises porte désormais moins sur le vainqueur des législatives que sur les mois d’incertitude économique redoutés dans tous les cas.
Dans les allées du parc Jourdan d’Aix-en-Provence, où se tiennent les 24èmes Rencontres Économiques organisées par le Cercle des Économistes, le scrutin de dimanche est dans toutes les bouches vendredi.
« La France traverse une période vertigineuse », résume lors d’une table ronde l’ancienne ministre Élisabeth Moreno, qui « en a perdu le sommeil ». Les intervenants espèrent que les vainqueurs auront l’économie et le projet européen à cœur. « Tout le monde se fout de l’économie, alors que l’économie, c’est la réalité ! », lançait déjà mercredi François Asselin, le président de la CPME.
En effet, dans les programmes des camps en lice pour le second tour des législatives dimanche, explique à l’AFP l’économiste Christian de Boissieu, on raisonne « comme si le gâteau (économique) à se partager était fixé, alors que la question centrale est quand même d’essayer d’augmenter sa taille », par « l’éducation-formation et l’innovation, et c’est là qu’on retrouve le rôle des entreprises ».
« On a perdu un trimestre de croissance » voire plus
Problème, l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale semble avoir suspendu les initiatives. Pour M. Asselin, « on a perdu un trimestre de croissance ». « Plus que ça », a estimé vendredi Alain di Crescenzo, président de CCI France, le réseau des chambres de commerce et d’industrie, qui s’attend à une croissance à zéro, voire pire cette année, contre une prévision gouvernementale de 1%.
La dissolution arrive en outre alors que la reprise n’était pas vraiment en vue : selon les chiffres communiqués cette semaine par les administrateurs et mandataires judiciaires, les 15.980 défaillances d’entreprises du deuxième trimestre marquent des hausses respectives de 15,9% et 57,1% par rapport aux deuxièmes trimestres de 2023 et 2022. « Cette augmentation va « au-delà d’un simple ‘retour à la normale’ des années pré-crise sanitaire », estiment les auteurs de l’enquête.
Une chute brutale de l’optimisme des entrepreneurs
L’enquête de juin de CCI France, réalisée entièrement après la dissolution, montre une chute brutale de 9 points de l’optimisme des entrepreneurs. Par ailleurs, ils ne sont plus que 19% (-7 points) à croire aux perspectives de l’économie française.
Les CCI, en tant qu’organisme de soutien aux entreprises, sont en « mode combat » selon M. Di Crescenzo, qui anticipe de mettre en place des services d’astreinte pour répondre aux questions d’entrepreneurs inquiets, « un peu comme dans la période Covid-19 ».
Les organisations patronales ont toutes dénoncé après la dissolution des risques économiques liés à certains programmes, mais aspirent surtout à présent, comme le Medef, « à de la visibilité, de la stabilité » du cadre économique.
Christian de Boissieu les juge « un peu en retrait du débat ». Il évoque les appels récurrents depuis 2010 de milliardaires, surtout américains, à payer plus d’impôts : « si un certain nombre de grandes entreprises françaises avaient pris ‘le lead’ là-dessus, on aurait évité quelques propositions ‘démago’ dans les programmes ».
« Des nœuds au cerveau »
Des entrepreneurs rencontrés à Aix essaient de garder leur sang-froid. « On attend de voir », résume le communicant d’un groupe industriel. « Dans une période pareille, la réaction est de « mettre sur pause » les gros projets d’investissement, confirmait mercredi sur BFM Business Patrick Bertrand, directeur général des opérations d’Holnest, entreprise d’accompagnement des entrepreneurs.
Mais l’image de l’entreprise, en général, « est excellente et on va voir qu’elle est au cœur du bon fonctionnement de la société et du pays », espérait-il. Quid enfin des investissements étrangers dans une France classée cinq fois de suite pays le plus attractif d’Europe par le cabinet EY ?
Plusieurs projets annoncés en mai au sommet Choose France seraient au point mort depuis la dissolution, selon un connaisseur du dossier.
Le directeur général d’une grosse entreprise étrangère refusait encore vendredi à Aix de se faire « des nœuds au cerveau ». Pour lui, la France a « un cadre raisonnablement pro-business ». « Si cela venait à être complètement remis en cause, on verra, mais pour le moment on ne va pas conjecturer », concluait-il.
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