Législatives : « Nous vivons un effondrement du système politique de la Ve République », déclare Patrick Edery

Par Julian Herrero
8 juillet 2024 15:42 Mis à jour: 8 juillet 2024 21:23

ENTRETIEN – Contre toute attente, le Nouveau Front populaire est arrivé en tête du second tour des élections législatives, devant un bloc macroniste qui résiste et un Rassemblement national qui n’a pas réussi à transformer l’essai. Pour l’éditorialiste Patrick Edery, le RN a commis plusieurs erreurs qui ont ralenti sa progression, notamment le fait d’avoir mis sur la table le sujet de la binationalité et de n’avoir pas su répliquer contre les attaques visant certains de ses candidats.

Epoch Times : Le Nouveau Front populaire devrait avoir environ 187 sièges, le camp présidentiel 150 sièges et le Rassemblement national 143. Quelle est votre analyse ? La gauche a-t-elle réussi son pari ?

Patrick Edery : Je pense qu’il y a deux leçons à tirer du scrutin. C’est un effondrement du système politique de la Ve République. Ensuite, les Français ont voté au premier tour contre l’immigration, puis au second contre le Rassemblement national. Ce sont les deux faits majeurs de ces élections législatives.

Cet effondrement de la Ve République se fait par le Parlement et le système qui est complètement dévoyé. Nous l’avons vu avec les désistements dans l’entre-deux-tours. Ces désistements ont propulsé la gauche unie en tête de ce second tour. Mais pour se former, le NFP a passé un contrat législatif avec ses électeurs. Un contrat plein de promesses en matière de pouvoir d’achat, de protection de l’environnement, etc. Ce qui est en soi tout à fait louable et démocratique. Mais les désistements ont changé la donne, c’est-à-dire que certains électeurs centristes et de droite ont voté pour la gauche au second tour.

Se posent désormais deux questions légitimes. Vous avez d’un côté, Jean-Luc Mélenchon qui dit que le contrat législatif passé entre les partis de gauche et les électeurs doit être respecté, et d’autres au sein du NFP qui pensent que puisque des électeurs de droite et du centre ont voté pour eux, ils doivent rassembler et trouver un compromis avec Ensemble ou LR parce que ces électeurs, qui ne sont, par définition, pas issus de la gauche, ne veulent pas du programme du Nouveau Front populaire.

Toute cette situation crée un véritable quiproquo parce que les deux options sont vendables. En outre, ceux qui prônent le fait de travailler ensemble posent un problème démocratique en excluant le RN, et donc de fait, 40 % des Français.

Tout le système de la Ve République est donc abattu par ces désistements qui mettent au banc 40 % des Français et forcent les autres partis – et par conséquent 60 % des Français qui n’ont rien à voir entre eux,  à devoir s’entendre.

Et tous ces partis, des LR progressistes jusqu’à LFI partagent seulement une idée : ils sont immigrationnistes. C’est-à-dire qu’ils considèrent que, d’une part on ne peut pas arrêter l’immigration et que, d’autre part, elle est nécessaire. C’est la seule chose qui les unit contre le RN.

Le RN obtient une cinquantaine de députés en plus par rapport à la précédente législature, mais ne parvient pas à décrocher une majorité relative ou absolue. Ce résultat, en deçà des attentes du Rassemblement national, peut-il démobiliser son électorat lors des prochains scrutins ?

On revient ici à mon deuxième point. Les Français ont voté aux élections européennes et au premier tour des législatives contre l’immigration, et au second tour, contre le RN. Pourquoi ne veulent-ils pas du RN ? C’est effectivement multifactoriel.

D’abord, vous avez tout un écosystème progressiste qui va des médias aux partis politiques en passant par les sportifs et les acteurs qui est contre le Rassemblement national. Et le parti de Jordan Bardella n’a toujours rien imaginé contre ça. Il n’y a pas, dans ce parti, de problème de personnalités, mais plutôt quelque chose de structurel. Le RN est resté un parti à l’ancienne avec un très fort réseau sur le terrain, mais qui n’a pas su se renouveler. Il n’a aucun canal d’information par exemple. Les Insoumis sont très actifs sur internet, ils ont lancé un média et sont soutenus par des centaines d’influenceurs. Le RN dispose de peu d’influenceurs et ils sont tous très autonomes.

D’un point de vue médiatique, on pourrait dire qu’il y a Cnews, mais c’est une chaîne très volatile. Elle a été pro-Sarkozy, ensuite pro-Zemmour et juste un peu pro-RN pendant la campagne, mais je ne serais pas surpris si elle tournait casaque.

Le Rassemblement national a également commis deux grandes erreurs pendant la campagne. La première étant celle de la binationalité, le sujet était inutile par rapport aux enjeux. Ensuite, comment ont-ils pu investir autant de candidats pro-russes ? Je pense notamment à Pierre Gentillet qui est la figure centrale du pro-poutinisme en France. Tout ceci a fait peur aux Français. Si le RN compte un jour séduire plus d’électeurs, il devra se « dé-russifier ». Autrement, il restera dans une impasse.

Il y a aussi quelque chose qui m’échappe. Pourquoi le RN n’a-t-il pas été plus offensif quand ses adversaires pointaient du doigt certains de ses candidats, notamment celle dont une photo avec une casquette nazie a été publiée ? Ils auraient dû monter des dossiers sur les candidats macronistes ou NFP.

Enfin, même si Jordan Bardella a fait une belle campagne, notamment grâce aux réseaux sociaux, ce ne sont pas des outils structurels. Le RN ne s’est inspiré qu’en partie de la stratégie de Donald Trump, c’est-à-dire le côté « show » sans réaliser que derrière le show de Trump, il y avait un outil marketing qui s’appelle l’inbound marketing qui utilise l’IA et amène les électeurs jusqu’au candidat républicain. D’ailleurs, LFI utilise également cette méthode.

Si le RN veut gagner, il va devoir se réorganiser. Maintenant, le parti a l’argent pour le faire. À lui de jouer.

Sans majorité absolue, quel type de gouvernement va être nommé ? Édouard Philippe du parti Horizons a appelé hier à la création d’un accord entre les « forces centrales » sans le RN et LFI.

C’est un problème de personnes. Il faut se rappeler, par exemple, que Raphaël Glucksmann est arrivé en tête à gauche lors des élections européennes et avait donc toute la légitimité pour imposer sa ligne. Et puis, Emmanuel Macron lui a coupé son élan avec la dissolution et a redonné sans le vouloir de l’influence à Olivier Faure qui a refait un accord avec LFI.

Il va donc y avoir une bataille au sein du PS entre la ligne Glucksmann et celle de Faure. Le Parti socialiste est aujourd’hui dans le même état que les Républicains. Certains vont vouloir rejoindre le camp présidentiel, d’autres pas. Et je pense qu’une partie des socialistes, des écologistes et des LR ne suffiront pas pour obtenir une majorité absolue.

De quel parti pourrait-être issu le futur Premier ministre ? La secrétaire nationale des Écologistes Marine Tondelier a déclaré qu’Emmanuel Macron« devrait demander dès aujourd’hui au Nouveau Front populaire « un nom de Premier ministre ».

La balle est maintenant dans le camp d’Emmanuel Macron. Il va décider du type du nouveau gouvernement. Jusqu’à présent, nous avions un gouvernement de technocrates, ce qui peut être encore le cas. D’après ce que je vois, je pense qu’une alliance allant de Raphaël Glucksmann à Gérald Darmanin est possible. Concernant la nomination du Premier ministre, cela s’annonce plus compliqué. Si un socialiste est nommé à Matignon, les Insoumis ne vont pas suivre et inversement.

Il faut pour le moment voir le nombre de députés « modérés » qui seraient susceptibles de suivre Emmanuel Macron, et s’il n’y en a pas assez, il va être obligé de nommer un gouvernement issu du NFP. LFI étant le parti le plus puissant de cette alliance et, selon la logique des institutions, un Premier ministre LFI devrait être nommé. Mais là encore, leur programme ne pourrait pas être appliqué. Personne ne votera leurs projets de loi. Et même s’ils utilisent l’article 49-3, la plupart des députés voteront une motion de censure.

Je pense qu’on va revenir à ce qui se faisait sous la IIIe et IVe République. Deux ou trois gouvernements différents pourraient voir le jour dans les mois qui viennent.

Emmanuel Macron pourrait-il à nouveau dissoudre l’Assemblée dans un an ?

S’il arrive jusqu’à cette date, ça ne serait pas étonnant. Mais n’oublions pas que le Sénat, tenu par LR, constitue la deuxième force institutionnelle juste après Emmanuel Macron. Les Républicains disposent en plus d’un groupe pivot à l’Assemblée nationale.

Mais imaginons que les gouvernements successifs nommés tombent les uns après les autres. On pourra faire autant d’élections qu’on voudra, nous reviendrons systématiquement au point de départ.

Je pense que chacun devra alors prendre ses responsabilités et préparer le passage à la VIe République. L’historien des institutions Phillippe Fabry en parle depuis longtemps et ce qu’il avait annoncé est en train de se produire. On ne va donc pas avoir d’autres choix que de mettre en place une assemblée constituante et une nouvelle République.

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