Les exploitants et salariés agricoles ont « un risque plus élevé » de 12% de se suicider que l’ensemble de la population, selon une étude publiée en juillet par la sécurité sociale de l’agriculture portant sur des données de 2015.
Tabou, le suicide dans le monde agricole reste peu étudié en France. L’agence Santé publique France avait certes pointé récemment « un excès de risque » chez les hommes, mais à partir de données restreintes aux chefs d’exploitation et remontant à 2011.
La Mutualité sociale agricole (MSA), qui soutient la sortie du film « Au nom de la Terre » avec Guillaume Canet portant sur le sujet, a visé plus large: parmi tous ses assurés d’au moins 15 ans « ayant consommé au moins un soin ou une prestation » en 2015, soit 1,36 million de personnes, elle a dénombré « 605 décès par suicide » sur l’année.
Sur ce total, 372 agriculteurs passés à l’acte sont chefs d’exploitation (292 hommes et 80 femmes), soit un suicide par jour environ. 233 sont salariés (204 hommes et 29 femmes).
La veuve d’un agriculteur témoigne de la souffrance des agriculteurs
« La plupart des agriculteurs souffrent énormément, mais personne ne le dit » a témoigné Camille Beaurain. À 26 ans, elle publie avec l’aide du journaliste Antoine Jandey, « Tu m’as laissée en vie » (Éditions du Cherche Midi), le récit des événements qui ont conduit au suicide de son mari Augustin, éleveur de porcs.
Le journaliste: Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Camille Beaurain: Le livre est pour mon mari, et pour moi c’est une étape dans mon deuil, on l’a écrit aussi pour que cela serve à d’autres familles dans le même cas que moi, leur dire que je ressens ce qu’ils ressentent. C’est tous les jours qu’il me manque, que le vide est présent. Et peut-être aussi pour dire à ceux qui sont en dépression, ou en burn-out, qu’il faut parler, qu’il faut essayer de sortir de sa bulle. Et peut-être espérer qu’un agriculteur qui voudrait passer à l’acte se dise ‘non, je ne vais pas le faire, ça fait du mal’. (…)
Je veux aussi faire réagir les gens, les consommateurs. Le prix qu’ils achètent la viande n’est pas le prix que l’éleveur touche. On a juste 1,40 euro dans la poche quand ils ont payé 6 euros (son mari était éleveur de porcs, NDLR), il y a trop d’intermédiaires entre les éleveurs et les consommateurs. Ce n’est pas des aides PAC qu’on vit, ça ne tombe qu’une fois par an. On les nourrit, il ne faut pas oublier que s’ils ont du pain c’est grâce à nous. Le boulanger sans les agriculteurs va avoir du mal à avoir de la farine, il ne faut pas oublier tout ça.
Le journaliste: A votre avis, les suicides d’agriculteurs traduisent-ils un malaise général du milieu agricole ?
Camille Beaurain: Personne n’en parle, et c’est bien ça le problème. C’est tabou. Or la plupart des agriculteurs aujourd’hui en France souffrent énormément, mais personne ne le dit. C’est une honte pour eux de dire ‘moi, ça ne va pas’, ‘moi je souffre’ ou ‘je n’ai pas de trésorerie, comment faire?’. Ils se mettent dans une bulle et ils y restent. Il faut bien se dire que c’est du travail du lundi au dimanche non stop, et même jour et nuit dans l’élevage quand il y a des mises-bas (pour les éleveurs, NDLR) (…) Les syndicats, les organismes comptables, les banques ou les chambres d’agriculture n’ont pas encore compris le mal-être des agriculteurs. Ce n’est pas qu’ils ne s’investissent pas, mais il ne faut pas voir que les chiffres, il faut se déplacer aussi sur les exploitations.
Le journaliste: Qu’est-ce qui a été le plus dur pour votre mari?
Camille Beaurain: D’abord il avait repris un élevage qui n’avait pas été renouvelé, puis la crise du porc nous a frappés, et des mises aux normes obligatoires aussi. Au fur et à mesure, cela devenait de plus en plus compliqué de gérer, moralement et physiquement, de travailler pour ne rien gagner, et en plus de ne même pas réussir à payer ses factures. Au fur et à mesure, la dépression s’est installée, avec une grande fatigue. On a eu une invasion de rats. Quand les porcs sont revenus, les prix du porc s’étaient effondrés ».
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