Les agriculteurs sud-africains en proie à des invasions de leurs terres ; certains parlent de « justice foncière »

Le gouvernement ne saisit pas les fermes, mais des groupes marginaux radicaux encouragent l'invasion des terres qu'ils accusent les colons blancs d'avoir volées

Par Darren Taylor
4 mars 2025 20:50 Mis à jour: 4 mars 2025 20:52

JOHANNESBURG – Il y a une bande de terre sur la côte nord de la province luxuriante du KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud, et elle est magnifique. Des rangées interminables de canne à sucre remplissent les collines émeraude, avec en toile de fond l’océan Indien azur.

L’endroit semble paisible, mais une bataille y fait rage depuis près de 15 ans.

« J’ai déjà pensé à abandonner, mais je me souviens que mes ancêtres ont versé leur sang pour cette terre à la fin du XIXe siècle afin que je puisse y connaître une certaine prospérité, et puis je décide de continuer à me battre », a déclaré Desmond Thompson, un éleveur de bétail et producteur de sucre âgé de 54 ans.

À quarante kilomètres de là, un autre homme est hanté par les fantômes du passé.

Inkosi (chef) Mqoqi Ngcobo, chef du clan zoulou AmaQadi, a déclaré à Epoch Times que les esprits de ses aïeux lui disaient de s’emparer des terres de Thompson.

« Chaque nuit, les ancêtres me parlent », murmure-t-il sur la ligne téléphonique de son village, près de la ville de Ballito. « Ils me disent que les colons britanniques ont volé cette terre à mon clan et qu’il est de mon devoir, en tant que chef, de reprendre ce qui nous appartient. Je n’arrêterai pas de me battre pour cette terre. Je me moque de ce que peut me dire un juge. Les juges n’ont aucune autorité dans le monde des esprits. »

C’est une bataille de volonté qui appartient au passé et qui se déroule dans le présent.

Pendant six mois en 1879, les troupes britanniques livrèrent une série de batailles sanglantes contre les indigènes zoulous du KwaZulu-Natal. Les Zoulous ont résisté courageusement, mais leurs lances n’ont pas fait le poids face aux fusils et aux canons.

Les Britanniques ont pris les terres qu’ils voulaient et la nouvelle s’est répandue en Grande-Bretagne de l’existence d’une terre verdoyante à l’extrémité sud de l’Afrique.

« Mon arrière-arrière-arrière-grand-père Arthur est venu du Royaume-Uni au début des années 1890 pour exploiter une ferme », a raconté M. Thompson.

Ne vous attendez pas à entendre beaucoup parler afrikaans dans le KwaZulu-Natal. Ce n’est pas pour rien que cette région est surnommée « le dernier avant-poste » et que l’Union Jack (le drapeau britannique, ndlr) est fièrement arboré dans les maisons, les pubs et les fermes. Les habitants blancs soutiennent souvent les équipes anglaises de football, de cricket et de rugby avant les équipes sud-africaines.

En 1948, le Parti national afrikaner a confirmé l’isolement des Zoulous en instaurant l’apartheid. Les Zoulous ont été confinés dans un territoire séparé appelé KwaZulu.

Le régime de la minorité blanche a pris fin en 1994 lorsque le Congrès national africain (ANC : African National Congress) de Nelson Mandela est sorti vainqueur des premières élections multiraciales d’Afrique du Sud.

Mandela a promis de rendre les terres à leurs « propriétaires légitimes ».

Les Zoulous sont un groupe ethnique bantou originaire d’Afrique du Sud, vivant principalement dans la province du KwaZulu-Natal. (Grafissimo/Getty Images)
Le président du Congrès national africain, Nelson Mandela, s’adresse à la foule à Soweto, un township de la ville de Johannesburg, le 2 mai 1993. (Walter Dhladhla/AFP via Getty Images)

Pour de nombreux Sud-Africains, cependant, c’est une promesse qui n’a pas été tenue.

« Je pensais que mon clan récupérerait ses terres il y a 31 ans », a déclaré Mqoqi Ngcobo. « Mais nous voici aujourd’hui, et des juges noirs – pouvez-vous imaginer, des juges noirs – m’interdisent d’occuper la ferme Thompson, pour mon peuple et pour moi. Ça nous fait très mal. »

Mqoqi Ngcobo reconnaît qu’il demande « souvent » aux membres de son clan de pénétrer sur les terres de M. Thompson, où ils érigent des cabanes… jusqu’à ce que la police arrive pour les démolir.

Les autorités parlent d’« invasion des terres ». Moi, je parle de « justice foncière », a-t-il souligné.

Des scènes comme celles-ci se produisent dans toute l’Afrique du Sud, a indiqué Johann Kotze, directeur général d’AgriSA, le plus grand syndicat agricole d’Afrique du Sud.

La police n’a pas agi lorsque l’invasion a commencé et, aujourd’hui, il est quasiment impossible d’expulser ces personnes de ces terres sans effusion de sang. La terre de l’agriculteur n’a plus aucune valeur.

« Nous sommes bien conscients des injustices historiques du passé, et il se peut que certaines personnes aient des revendications légitimes sur des terres actuellement occupées par des fermiers blancs. Mais ils doivent alors déposer leur demande auprès de l’État et c’est à partir de là que nous agirons. Les invasions illégales de terres doivent cesser », a insisté M. Kotze auprès d’Epoch Times.

« Je peux vous emmener dans des fermes où des dizaines de milliers de personnes ont envahi et établi d’immenses camps de squatters. La police n’a pas agi lorsque l’invasion a commencé et, aujourd’hui, il est presque impossible de faire partir ces personnes sans effusion de sang. La terre de l’agriculteur n’a plus aucune valeur. »

La question de la propriété foncière en Afrique du Sud s’est récemment retrouvée sur le devant de la scène lorsque le président américain Donald Trump a publié un décret dans lequel il alléguait que le gouvernement du président Cyril Ramaphosa autorisait la confiscation de terres appartenant à des Blancs.

L’action de M. Trump a été en partie motivée par la signature par M. Ramaphosa d’une loi sur l’expropriation. Cette loi permet à l’État de saisir des terres dans « l’intérêt public » sans indemniser les propriétaires.

L’Alliance démocratique, parti politique centriste et principal partenaire de l’ANC au sein du gouvernement de coalition du pays, a demandé à un tribunal d’annuler l’acte du dirigeant de l’ANC.

« Nous sommes convaincus que notre dossier est solide », a affirmé John Steenhuisen, chef de file de l’Alliance démocratique. « L’ANC ne peut pas s’attendre à prendre un terrain gratuitement lorsqu’elle décide que c’est dans l’intérêt public. Les propriétaires doivent être indemnisés à la valeur du marché si l’État veut la propriété. »

M. Kotze a déclaré que son organisation, AgriSA, « ne voit aucun inconvénient à ce que le gouvernement acquière des exploitations agricoles si le propriétaire est disposé à les vendre et si l’agriculteur obtient un prix équitable. »

« C’est ce qui s’est passé jusqu’à présent. Je le saurais si le gouvernement a confisqué des terres à un seul fermier blanc. Cela ne s’est pas produit … jusqu’à présent. »

Les gens vaquent à leurs occupations quotidiennes parmi les huttes du campement illégal de fortune de Khayelitsha, près du Cap, en Afrique du Sud, le 17 mai 2018. (Rodger Bosch/AFP via Getty Images)
Une structure sans toit se trouve parmi d’autres sur un terrain vacant que les habitants sont accusés d’envahir illégalement, à Lawley, au sud de Johannesburg, le 20 avril 2020. (Marco Longari/AFP via Getty Images)

Mais, a-t-il ajouté, des invasions de terres par des « forces malveillantes » se produisent régulièrement, et elles ne sont pas aussi « décentes » que Ngcobo, le chef de la tribu.

« La plupart du temps, ils n’ont aucun lien historique avec le territoire qu’ils revendiquent, et ils n’hésitent pas à recourir à l’intimidation et à la violence », a souligné M. Kotze. « Ils brûlent souvent les terres agricoles, ce qui constitue une menace pour la sécurité alimentaire. »

L’un de ces groupes s’appelle Black First Land First (BFLF). Il se présente comme un « mouvement révolutionnaire panafricain » et est dirigé par l’activiste Andile Mngxitama.

Selon ses statuts, le BFLF adhère au léninisme, une idéologie politique développée par le révolutionnaire marxiste russe Vladimir Lénine. Cette idéologie prône le soulèvement de la classe ouvrière pour renverser le capitalisme et le remplacer par le communisme.

« Tous les Blancs d’Afrique du Sud sont des voleurs de terres », a déclaré M. Mngxitama à Epoch Times. « Ils ont volé tout le pays aux premiers habitants noirs. C’est un fait historique. »

Il a parfois appelé ses partisans à « verser du sang blanc ».

M. Mngxitama a reconnu qu’il « parle parfois au sens figuré », mais que ses propos ont souvent incité les Noirs à occuper des terres appartenant à des Blancs.

M. Malema a appelé à la nationalisation de toutes les formes de richesse de l’Afrique du Sud, notamment les terres, les mines et les banques.

« Ils obtiennent des interdictions judiciaires contre moi, mais ça ne m’arrête pas parce que j’ai la vraie justice de mon côté, pas la justice colonialiste », a-t-il fait valoir. « Comment puis-je être un voleur de terre si la terre m’appartient ? Je n’ai pas besoin d’un titre de propriété pour prouver que je possède cette terre. La couleur de ma peau montre que la terre m’appartient. »

Une autre organisation qui a encouragé l’invasion et l’occupation de terres appartenant à des Blancs est le parti d’extrême gauche Economic Freedom Fighters (EFF : Combattants pour la liberté économique), qui détient 38 sièges au Parlement.

Son chef, Julius Malema, s’habille souvent, comme ses partisans, d’une salopette et d’un béret rouges, symboles de son adhésion au communisme.

M. Malema a déclaré à ses partisans lors d’un rassemblement de l’EFF en 2016 : « Quand nous partirons d’ici, vous verrez n’importe quel beau morceau de terre, vous l’aimerez, vous l’occuperez, il vous appartiendra […]. C’est la terre qui nous a été enlevée par les Blancs, par la force, par un génocide. »

Le leader des Combattants pour la liberté économique, Julius Malema, s’adresse à ses partisans lors d’un rassemblement célébrant le 10e anniversaire du parti, à Johannesburg, le 29 juillet 2023. (Guillem Sartorio/AFP via Getty Images)
Des membres du parti politique Black First Land First (BFLF) bloquent une intersection lors de leur marche vers les bureaux de la société d’audit financier, de fiscalité et de conseil KPMG, dans le cadre d’une manifestation à Johannesburg, le 28 septembre 2017. (Guillem Sartorio, Gulshan Khan/AFP via Getty Images)

M. Malema a également appelé à la nationalisation de toutes les formes de richesse de l’Afrique du Sud, notamment les terres, les mines et les banques.

« Le pouvoir économique des Blancs s’en trouvera brisé », a-t-il déclaré à Epoch Times. « Politiquement, les Noirs sont libres. Sur le plan économique, nous sommes toujours enchaînés. »

M. Malema est également connu pour avoir chanté une chanson de lutte contre l’apartheid intitulée « Kill the boer (Afrikaner), kill the farmer » (Tuer le boer [l’Afrikaner], tuer le fermier), qui, selon lui, ne doit pas être prise au pied de la lettre.

« Elle symbolise simplement la lutte des Noirs contre l’oppression des Blancs », a-t-il ajouté.

Pour M. Malema, les Blancs doivent partager les terres « avant que quelque chose de grave ne se produise » à l’avenir.

« Les Noirs sont en colère. Ils voient qu’un fermier blanc possède 100.000 hectares de terres alors qu’un quartier à côté se bat pour avoir un espace où installer une cabane. »

M. Malema a ajouté : « Est-ce que je veux que les fermiers blancs soient assassinés ? Non. Est-ce que je veux que leurs terres soient redistribuées aux pauvres noirs ? Oui. Je demande poliment que les terres leur soient rendues ».

Incitation par des groupes marginaux

Chris Burgess, rédacteur en chef de la plus grande publication agricole d’Afrique du Sud, Landbou Weekblad (Farmer’s Weekly), a déclaré à Epoch Times qu’il était important de noter que les invasions de terres étaient le fait de « quelques groupes marginaux ».

« Ce magazine a enquêté sur d’innombrables invasions de fermes depuis 1994 », a-t-il ajouté. « Ce sont les extrémistes de gauche et de droite qui causent des problèmes à tout le monde. »

Pour M. Burgess, l’État de droit se maintient en Afrique du Sud.

Cette situation fait peser une lourde charge financière sur des milliers de propriétaires privés, qui ne sont pas seulement des Blancs.

« Les hommes politiques font des déclarations irresponsables, oui. La police est souvent incompétente lorsqu’il s’agit d’invasions de terres et elle tarde souvent à agir. Mais pour l’essentiel, les agriculteurs sont protégés par un système juridique solide », a-t-il souligné.

Toutefois, M. Steenhuisen, chef de file de l’Alliance démocratique, a déclaré que « les accaparements de terres orchestrés et illégaux » constituaient une crise en Afrique du Sud.

« Cette situation fait peser d’immenses charges financières sur des milliers de propriétaires privés, et ils ne sont pas seulement blancs », a-t-il indiqué. « Les invasions de terres sont un problème depuis des décennies, mais elles se sont accélérées de façon spectaculaire lors des confinements du Covid-19, lorsque des propriétés d’une valeur de plusieurs milliards de rands ont été perdues. »

La politique de confinement de l’Afrique du Sud en réponse à la pandémie a été l’une des plus longues au monde, puisqu’elle a duré du 23 mars 2020 au 20 mars 2022.

D’après M. Steenhuisen, la législation qui protège actuellement les propriétaires terriens contre les occupants illégaux n’est pas adéquate, et l’Alliance démocratique a présenté un projet de loi visant à renforcer la loi.

Elle prévoit des mesures punitives pour ceux qui incitent à des invasions orchestrées et illégales ou qui en font la promotion.

Les Red Ants, une équipe municipale chargée des expulsions, démolissent une structure érigée sur un terrain envahi à Bloemfontein, en Afrique du Sud, le 8 mars 2024. (Lihlumelo Toyana/AFP via Getty Images)
Les Red Ants, une équipe municipale chargée des expulsions, démolissent une structure érigée sur un terrain envahi à Bloemfontein, en Afrique du Sud, le 8 mars 2024. (Lihlumelo Toyana/AFP via Getty Images)

« Pour l’instant, ces personnes s’en tirent pratiquement à bon compte », a déclaré M. Steenhuisen.

De retour dans sa ferme près de Ballito, M. Thompson ne veut pas entendre parler de punition. Il veut parler de paix.

« Ils disent que les fils paieront pour les péchés des pères, mais il m’est difficile de voir quel péché mes aïeux ont commis alors que tout ce qu’ils voulaient faire était de construire une vie meilleure, de trouver la paix », a-t-il déclaré.

« Mais bien sûr, les Zoulous ont beaucoup souffert. C’est peut-être ce que veut aussi ce type qui veut ma ferme : la paix. Nous nous battons donc pour la paix. C’est fou si on voit les choses sous cet angle. J’aime trop ma terre. Je suis un peu perdu. Je n’ai pas de réponses. »

Ses commentaires reflètent la confusion qui règne dans le processus de réforme agraire en cours en Afrique du Sud.

Le gouvernement de M. Ramaphosa sait que s’emparer d’une seule ferme appartenant à des Blancs pour la remettre aux propriétaires « légitimes » déclenchera plus que probablement une implosion économique, exacerbée par l’émigration massive des contribuables blancs et la fuite des investisseurs étrangers.

Mais, être vu comme ne faisant rien, c’est risquer la colère de millions de citoyens noirs.

Le juste milieu est aussi flou que la brume qui plane sur la mer, au-delà des montagnes qui surplombent la ferme de M. Thompson.

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