Tout le monde utilise des produits cosmétiques au quotidien. Crèmes, gels, shampoings, produits solaires et capillaires… ils sont en effet indispensables pour nettoyer, protéger et entretenir notre peau, nos dents ou nos cheveux. Au-delà de cet usage esthétique, ils participent également à notre santé, en limitant le vieillissement prématuré des tissus ou en nous protégeant contre les UV A et UV B du Soleil si dangereux pour notre peau pour ce qui est des crèmes solaires.
Néanmoins, une vraie prise de conscience s’est faite ces dernières années concernant ces produits omniprésents.
Des études ont, par exemple, permis de suspecter certains de contenir des perturbateurs endocriniens. Ces préoccupations poussent de plus en plus de consommateurs à privilégier ceux qui mettent en avant des arguments rassurants : absence d’allergènes, de parfum, 100% naturels, etc.
De fait, les cosmétiques contiennent souvent de nombreux ingrédients – ce qui peut poser question. Ainsi, une simple crème hydratante peut en compter plusieurs dizaines : des agents hydratants, des corps gras, des tensioactifs, des conservateurs, des matières actives… et des parfums.
Quel impact pour les parfums ?
Les parfums sont généralement conçus à partir de divers composés : des molécules naturelles ou synthétiques associées à des extraits végétaux, tels que les huiles essentielles, assemblées pour créer une senteur agréable.
Privilégier les ingrédients naturels est une tendance actuelle forte dans ce domaine. Parmi les plus utilisés, on trouve des huiles essentielles de lavande ou d’orange douce qui sont composée de molécules telles que le linalol ou le limonène.
Pourquoi cette précision ? Parce que ces deux molécules naturelles ne sont pas, contrairement aux idées reçues, sans danger. Leur utilisation est d’ailleurs règlementée dans les produits cosmétiques car ils sont allergènes – le linalol peut provoquer des réactions de type eczémateux. Leur présence doit être indiquée sur les étiquettes des produits cosmétiques.
Ce n’est pas parce qu’une molécule est d’origine naturelle qu’elle est anodine ! Si elle est utilisée, c’est qu’elle a un effet… Tout est question de quantité.
Le plus simple ne serait-il donc pas de privilégier un produit cosmétique non parfumé – et sans allergènes ?
Des cosmétiques sans parfum ?
Il faut revenir brièvement aux rôles des parfums ajoutés à nos produits de soin. On en compte trois principaux :
– Créer une odeur et une sensation agréable. Lorsqu’on applique une crème sur notre visage, et donc près de notre nez, il est plus agréable d’y associer une odeur plaisante… Il y a aussi des odeurs qui sont rattachées à une marque précise et qui véhicule une valence positive. C’est le cas du parfum emblématique des fameuses crèmes au pot bleu ;
– Amplifier l’efficacité du produit. Certains parfums peuvent avoir un caractère apaisant ou vitalisant qui peuvent intensifier son action. Il peut être cognitif ou physiologique – par exemple avec un effet apaisant sur le rythme cardiaque ;
– Masquer l’odeur des autres ingrédients. Certains extraits de plantes utilisés comme actifs anti-âge ont des odeurs désagréables et peuvent difficilement être utilisés seuls.
Lorsque l’on développe un produit sans parfum, on perd donc ces trois effets.
Mais un produit sans parfum ajouté est-il pour autant sans odeur ? Contient-il moins de composés chimiques ? Les choses ne sont pas si simples…
En réalité, un produit auquel on a enlevé son parfum va conserver une odeur. Moins intense, celle-ci n’est pas totalement absente pour autant.
Sans parfum… mais pas sans odeur !
Les odeurs sont dues à des composés volatils capables d’atteindre les récepteurs olfactifs situés dans notre nez. Nous possédons une très grande sensibilité aux odeurs et quelques molécules seulement peuvent être détectées… Un composé odorant à l’état de traces sera donc perçu.
Les ingrédients utilisés peuvent ainsi avoir une odeur en propre. Nous ne parlons pas ici des parfums rajoutés, mais des ingrédients constitutifs du produit cosmétique utilisé : agents hydratants, corps gras, tensioactifs, conservateurs, matières actives… Et si les ingrédients ont une odeur, alors le cosmétique sera également odorant. Possiblement plus gênant, il peut y avoir des interactions entre composés, générant de nouvelles senteurs.
Évaluer l’intensité d’une odeur n’est pas évident, et il n’existe pas d’instrument de mesure universel. Pour cette raison, l’évaluation est généralement réalisée par… des nez humains ! Ce type d’analyse olfactive peut se révéler très subjective, d’où l’importance des précautions à considérer autour du nombre d’évaluateurs et de l’échelle de notation employée.
Pour pallier aux différences de sensibilité entre individus, le panel est composé au minimum de dix volontaires. Et pour assurer la cohérence de leurs évaluations (une intensité donnée doit être équivalente pour tous), une série de solutions de référence leur est transmise – en général la molécule de n-butanol, naturellement présente dans de nombreux aliments et d’une odeur plutôt désagréable, diluée dans l’eau à plusieurs concentrations. Les résultats permettent de « calibrer », « étalonner » le panel.
On peut ainsi évaluer l’intensité de l’odeur d’une crème hydratante parfumée, qui est en moyenne de 8/10. La même crème sans parfum ajouté aura une odeur plus faible, évaluée à 2,5/10, ce qui est peu… mais pas nul.
Quels sont les composés les plus odorants ?
Parmi les ingrédients potentiellement odorants, on peut mentionner les huiles et les corps gras qui ont de légères odeurs végétales ou de noisette. Appelés émollients en cosmétique, ils sont incontournables et se retrouvent dans les produits de soin de la peau ou du cheveu car ils protègent, assouplissent et nourrissent nos tissus.
Leur odeur résiduelle est due à la présence de composés couramment rencontrés dans la nature tels que des aldéhydes aux odeurs grasses, des esters fruités ou des alcools.
Pour créer un produit cosmétique sans odeur, il faudrait donc employer des ingrédients inodores… qu’il faut créer. On s’éloigne donc du naturel. Cela fait l’objet de travaux au sein de notre laboratoire de recherche.
Identifier les composés volatils et prévoir une « remédiation ciblée » permettent de réduire l’odeur des émollients : nous allons chercher à éliminer ou réduire la présence de molécules précises… Mais lesquelles cibler ? Les plus abondantes ?
Là encore, ce n’est pas si simple… Parfois des composés peu abondants peuvent avoir une puissance odorante : c’est donc eux qu’il faut cibler. Il faut alors isoler, identifier et quantifier ces éléments chimiques. Des analyses chimiques sont associées à une analyse sensorielle car tout est question, littéralement, de nez. Grâce à ces travaux, l’odeur résiduelle peut passer d’une intensité de 4/10 à 2/10, qui est pratiquement indétectable.
Un autre type d’ingrédients très courants peut avoir une odeur : il s’agit des conservateurs, par exemple le phénoxyéthanol ou les parabènes. Ces deux conservateurs synthétiques sont connotés péjorativement car ils sont suspectés d’être allergène cutané pour l’un et perturbateur endocrinien et reproducteur pour l’autre.
Ils sont autorisés dans les produits cosmétiques, mais leur utilisation est restreinte et réglementée au niveau des doses maximales d’emploi. À côté de ces potentiels effets sur la santé très surveillés, se cachent néanmoins des ingrédients indispensables : ils évitent notamment le développement des micro-organismes en présence d’eau, garantissant ainsi une conservation adéquate dans le temps, même à de faibles doses.
Comme les huiles et les corps gras, ils ont également une odeur caractéristique, en l’occurrence une senteur fleurie plutôt agréable ! Une senteur plaisante n’est bien sûr pas le critère de sélection d’un composé. On pourrait estimer qu’il est préférable de choisir des remplaçants naturels… sauf qu’ils sont souvent plus odorants que leur pendant synthétique.
On peut citer les huiles végétales naturelles (4/10) qui ont une intensité olfactive supérieure aux silicones synthétiques (1/10). Ces silicones inodores sont cependant sujettes à controverse concernant leurs impacts sur l’environnement et la santé.
Au final, des cosmétiques (ingrédient et produit) sans odeur, est-ce possible ? Oui, et c’est même le cas de l’ingrédient le plus utilisé dans nos crèmes hydratantes : l’eau pure !
Naturel, sans odeur, sans parfum : faire la part des choses
« Naturels », « sans parfum », « sans allergènes »… On le voit, les raccourcis sont nombreux, tout comme les contradictions qui émergent quand on cherche à minimiser l’impact de nos produits du quotidien sur la santé.
Ainsi, il existe aujourd’hui une volonté d’aller vers des cosmétiques toujours plus inodores, qui sont devenus un gage de qualité auprès du grand public – et, donc, un avantage concurrentiel pour les fournisseurs d’ingrédients.
Mais si l’on peut désormais diminuer la présence de parfum, et donc d’allergènes, et concevoir des bases de crèmes neutres, cela demande la mise en place de nouvelles étapes de purification parfois énergivores lors de la production industrielle !
Alors que l’odeur résiduelle initiale est anodine, sans risque…
Les produits parfumés restent pour l’heure majoritaires dans nos placards et beaucoup restent attachés à l’odeur de leur gel douche ou de leur lait pour le corps. Il y a toutefois une volonté d’aller vers des parfums toujours plus naturels.
Si le « plus naturel » s’est imposé comme un critère de vente, il ne faut pas en conclure que les ingrédients de synthèse sont forcément « plus mauvais » que leurs contreparties naturelles. Pour vraiment juger de la nocivité d’un produit, c’est au niveau moléculaire qu’il faut regarder – c’est le travail de la recherche : identifier les molécules à risque, à quelle concentration, dans quel environnement… Et c’est un travail toujours en cours !
Article écrit par Géraldine Savary, Enseignant-chercheur en analyse sensorielle dans le domaine des arômes, parfums et cosmétiques, Université Le Havre Normandie et Catherine Malhiac, Enseignant-chercheur à l’Unité de Recherche en Chimie Organique et Macromoléculaire, Université Le Havre Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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