Les fresques de Fra Angelico : dissoudre la matérialité par la contemplation

Les scènes de la vie du Christ représentées devaient inspirer la méditation, la prière et la dévotion des moines dominicains

Par Mari Otsu
22 avril 2025 15:46 Mis à jour: 22 avril 2025 22:45

Au couvent San Marco de Florence, en Italie, l’art contribuait à la communion des moines dominicains avec le monde spirituel. Dans les espaces communs et dans leurs dortoirs privés, les moines méditaient sur des fresques représentant des scènes de la vie du Christ. Au fur et à mesure que la contemplation spirituelle d’un moine s’approfondissait, des fresques de plus en plus complexes s’offraient à sa contemplation.

San Marco est un complexe dominicain composé d’une église et d’un couvent. Il est connu pour avoir abrité le prédicateur Girolamo Savonarola et pour abriter les fresques mystiques de Fra Angelico et la tombe du théologien humaniste de la Renaissance Jean Pic de la Mirandole. Les moines vallombrosains puis sylvestrins occupèrent l’actuel couvent de San Marco. Le complexe avait été confié à l’ordre des Dominicains au début du XVe siècle.

Selon la célèbre série de biographies d’artistes de Giorgio Vasari, Les Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, en 1437, Cosme de Médicis l’Ancien, un éminent banquier et homme politique italien, avait investi quelque 40.000 florins pour rénover le couvent afin de l’adapter aux sensibilités de la Renaissance. À l’époque de Médicis, un seul florin permettait à une personne frugale de subvenir à ses besoins pendant un mois.

Le cloître du couvent San Marco à Florence, Italie (silverfox999/Shutterstock)

La rénovation du couvent a été réalisée par Michelozzo, l’architecte préféré de la famille Médicis, et a duré cinq ans. L’inauguration a eu lieu le 6 janvier 1443, la nuit de l’Épiphanie, qui commémore la venue des Rois mages. Fra Angelico (vers 1395-1455) a prononcé ses vœux comme frère dominicain et a ensuite peint 44 cellules (chambres utilisées pour dormir) et deux couloirs à San Marco, où il vivait.

Les degrés d’éveil spirituel

Les fresques de San Marco ont joué un rôle dans les pratiques de méditation dominicaines, amenant les moines à approfondir leur engagement spirituel par la contemplation.

L’une des 44 scènes peintes par Fra Angelico au couvent San Marco de Florence, en Italie. Elle dépeint la transformation spirituelle du Christ. (Anna Pakutina/Shutterstock)

Au deuxième étage du couvent se trouvaient les cellules du dortoir où dormaient les moines. Chaque cellule était ornée d’une image différente représentant une scène de la vie du Christ destinée à évoquer la méditation, la prière et la dévotion. Hormis l’unique image peinte à fresque ornant un mur de chaque cellule, les dortoirs des moines étaient simples et sobres. Les autres murs avaient seulement un humble enduit blanchi à la chaux.

Les images peintes à fresque variaient en complexité spirituelle et intellectuelle. Les images les plus simples étaient destinées à être contemplées par les jeunes frères, tandis que les images plus sophistiquées étaient destinées à être méditées par les frères supérieurs.

Trois fresques illustrent cette profondeur spirituelle ascendante : L’Annonciation, La Transfiguration et Noli Me Tangere.

L’Annonciation

L’Annonciation, 1439-1443, par Fra Angelico pour la cellule 3. Fresque, détrempe et plâtre ; 175 x par 147 cm. Couvent San Marco, Florence. (Domaine public)

Dans L’Annonciation, la vierge Marie reçoit humblement le message de l’ange Gabriel lui annonçant qu’elle concevra et enfantera un fils, Jésus, par la puissance de l’Esprit Saint. La fresque dépeint l’épisode scripturaire de Luc 1:26-38. Une lumière douce illumine l’espace architectural, et l’attitude de Marie est empreinte de révérence et de grâce.

L’architecture du cloître dans laquelle se déroule la scène reflète l’environnement des moines à San Marco, faisant le lien entre le passé et le présent. Elle souligne l’idée que l’ascension spirituelle commence dans la réalité quotidienne.

L’Annonciation, une fresque de premier niveau, représente la première étape de la croissance spirituelle – la réceptivité et l’acceptation de la Parole divine. Tout comme Marie ouvre son cœur à la volonté de Dieu, le moine qui contemple cette fresque est encouragé à pratiquer l’humilité et l’obéissance, en devenant réceptif aux messages divins.

La Transfiguration du Christ

La Transfiguration, 1440-1442, par Fra Angelico pour la cellule 6. Fresque, tempera et plâtre ; 180 x 152 cm. Couvent San Marco, Florence. (Domaine public)

Dans La Transfiguration, Jésus emmène Pierre, Jacques et Jean au sommet du mont Thabor, où il est transfiguré devant eux. Cet événement est relaté dans Matthieu 17:1-8. Le visage de Jésus y est décrit comme lumineux et ses vêtements éclatants.

En effet, Fra Angelico représente Jésus dans une mandorle – un éclat de lumière éblouissante en forme d’amande – et ses vêtements blancs brillent de mille feux. Toute la lumière de la composition rayonne de la figure du Christ, signifiant qu’il est la source de l’illumination spirituelle de ses disciples.

Les apôtres tombent par terre et sont représentés à genoux aux pieds de Jésus, dans un état de crainte et d’admiration, un état auquel les frères dominicains (représentés sur le registre central de la composition) participaient par la prière et la contemplation. Jacques et Jean se protègent les yeux et reculent, symbolisant la lutte humaine pour saisir les réalités divines supérieures. Leurs réactions mêlées de révérence, de peur et de confusion reflètent l’ascension spirituelle de l’âme vers l’illumination.

Juste en dessous des bras tendus du Christ se trouvent les têtes de Moïse et d’Élie, témoins célestes de la scène glorieuse, représentant respectivement la Loi de l’Ancien Testament et les Prophètes.

Alors que L’Annonciation dépeint l’âme s’ouvrant à la présence divine, La Transfiguration représente l’âme faisant l’expérience de la réalité écrasante de la gloire de Dieu. La divinité se manifeste ouvertement dans l’état glorifié du Christ, dans une vision mystique qui préfigure la résurrection au Golgotha.

Noli Me Tangere

Noli Me Tangere, 1439-1443, par Fra Angelico pour la cellule 1. Fresque, détrempe et plâtre ; 180 x 139 cm. Couvent San Marco, Florence. (Domaine public)

Si le Christ est révélé dans La Transfiguration, il demeure encore dans le temps. Dans Noli Me Tangere (Ne me touche pas), Marie-Madeleine s’agenouille avec crainte devant le Christ ressuscité, devenu un être glorifié au-delà du temps et de l’emprise physique, un événement scriptural relaté dans Jean 20:17. La composition est baignée d’une lumière douce. Dans un geste de bénédiction et de commandement, Jésus se détourne de Marie-Madeleine qui cherche à le toucher. Noli Me Tangere signifie ainsi une transformation spirituelle complète où l’âme transcende la perception terrestre et recherche la pleine communion avec le Christ.

Le sol verdoyant est parsemé de petites fleurs écarlates qui, selon l’historien de l’art Georges Didi-Huberman, symbolisent « de petites taches incarnées […] du sang du Christ ». En effet, Fra Angelico a utilisé la même couleur « terra rosa » – un pigment composé de minuscules fragments de silicate, dont les qualités texturales échappent à la capture photographique – pour peindre le sang du Christ dans La Crucifixion et les fleurs dans L’Annonciation et Noli Me Tangere.

« Ainsi, les fleurs rouges dispersées dans ce jardin printanier tracent quelque chose comme une ligne pointillée menant de la Chute – les fleurs de l’Eden perdu – à l’Incarnation, et de l’Incarnation au sacrifice rédempteur : les fleurs du martyre. […] Son sang imbibe la terre et y fait croître une humanité nouvelle, une humanité à l’imitation du Christ, une humanité rachetée du péché », écrit Didi-Humberman dans sa monographie Fra Angelico : Dissemblance et Figuration.

La fresque de Fra Angelico invite le moine contemplatif à méditer sur la nature intangible de la transformation spirituelle. Marie-Madeleine désire une relation avec Jésus. Son désir de proximité s’exprime dans son effort pour toucher le Christ ressuscité. Cependant, le refus du Christ de la laisser le toucher rappelle aux personnes qui regardent cette fresque que la véritable relation avec Dieu transcende les formes physiques. Elle s’approfondit par la foi, la prière et la contemplation.

En conséquence, le moine est appelé à se détacher des désirs physiques et de tous les attachements terrestres, et à embrasser à la place une résurrection spirituelle de l’âme.

Dans son livre Italian Hours, publié en 1909, l’écrivain Henry James s’est penché sur la fresque La Crucifixion de Fra Angelico, d’une superficie de 9,4 x 5,4 m.

« J’ai regardé longtemps ; on ne peut guère faire autrement. La fresque traite du pathétique à grande échelle et, après avoir admiré sa beauté, on se sent aussi peu libre de partir brusquement que de quitter l’église pendant le sermon. Vous pouvez être aussi peu chrétien formellement que Fra Angelico l’était ; vous vous sentez pourtant exhorté par la décence spirituelle à laisser une vision si ardente de l’histoire chrétienne agir sur vous de la manière la plus efficace possible. »

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