Blés oubliés et fermentation naturelle: les pains à l’ancienne sont revenus au goût du jour, jusque sur les plus grandes tables comme celles du Bristol, palace parisien où un moulin a même été installé pour produire une farine maison.
Des miches, dont le chef 3 étoiles a conservé le goût de son enfance normande et des séjours chez ses grands-parents, ont remplacé en novembre des petits pains individuels dans ce palace situé à deux pas de l’Élysée. Parce que « le pain est une vraie valeur qui signifie avant tout le partage », explique le chef à l’AFP.
Celui qui « ne sait pas manger sans pain » a eu le « coup de foudre » en 2017 en visitant le moulin de Robert Feuillas, l’un des hérauts du pain nature, situé à Cucugnan, dans le sud de la France. Un an plus tard, ce dernier lui installe un moulin dans les sous-sols du Bristol: la farine est moulue quelques instants avant le pétrissage.
Eric Frechon pousse ainsi à l’extrême ce que le guide Fooding 2019 appelle le « panifétichisme » de ces chefs qui « mettent la main à la pâte dans leur resto et redécouvrent la magie de la fermentation naturelle, proche du vin nature ». « On a le luxe d’aller chercher de jolis blés d’exception » comme le khorasan, une très vieille variété oubliée qui donne « un pain au-dessus de tout le reste », le rouge de Bordeaux (sud-ouest), le roux de Bourgogne (centre-est), l’épeautre, raconte Eric Frechon.
Ces variétés « paysannes » avaient été abandonnées après la guerre pour pallier les insuffisances de la production céréalière, l’agriculture privilégiant le rendement. Le recours aux pesticides et le croisement des espèces ont fait que les blés ont perdu en taille, en diversité et en pouvoir nutritionnel. Les blés anciens ont été ressuscités à la fin des années 1990 grâce à des passionnés de boulangerie et de botanique. « On travaille dans le respect de la nature, ici le boulanger est presque en retrait par rapport au pain, moins il façonne, meilleur il est », raconte Eric Frechon.
Pour Ten Belles Bread à Paris qui fournit le pain à des restaurants étoilés, le consommateur a « envie de manger un pain qui a une traçabilité ». « Jusqu’à présent, il demandait au boucher d’où vient sa viande, au maraîcher pour ses légumes mais ne demandait jamais au boulanger d’où vient sa farine ou comment le pain a été fabriqué. Maintenant ça change ».
Les pains au levain ont tous les atouts pour plaire, ajoute-t-elle: plus aromatiques et plus digestes à cause de la fermentation naturelle, ils se conservent plusieurs jours et limitent les déplacements à la boulangerie pour les personnes âgées. « Des miches de 800 grammes permettent aux restaurateurs de réutiliser le pain parce que cela se garde sur trois, quatre jours alors qu’une baguette traditionnelle se dessèche dès qu’elle est coupée », souligne Alice Quillet.
Elle utilise aussi des variétés des blés anciens longtemps jugés comme non panifiables pour fabriquer les pains du jour, mais n’a jamais fait de baguette, au grand dam au début de ses clients.
La baguette, ce « fleuron de la culture française », n’est pas non plus la spécialité de Thomas Teffri-Chambelland, directeur de l’école internationale de boulangerie à Noyers-sur-Jabron dans les Alpes-de-Haute-Provence (sud-est). « Elle n’a que 100 ans, ce n’est pas un produit historique ». « C’est très agréable à manger, mais ce n’est pas un super aliment qui contient beaucoup d’amidon, pas mal d’améliorants, des acides ascorbiques, des résidus de pesticides. La baguette s’éloigne de ce qu’on recherche diététiquement et pour le côté sociétal », explique à l’AFP ce biologiste devenu une autorité internationale en matière de pain bio.
Et même si les Français mangent de moins en moins de pain, dans un contexte d’uniformisation de la boulangerie conventionnelle, « les initiatives singulières trouvent la faveur d’une partie de la clientèle et cela explique la très bonne santé des filières pain nature », ajoute-t-il. « Les gens en ont marre de manger des produits transformés, plein d’additifs et d’améliorants. »
D.C avec AFP
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