L’Arabie saoudite a enfin autorisé les femmes à conduire, brisant un tabou dans ce royaume ultraconservateur régi par une vision rigoriste de l’islam, qui continue à leur imposer d’autres restrictions.
Une décision saluée par la communauté internationale
La communauté internationale a salué la décision historique du royaume saoudien, le seul pays au monde à interdire jusqu’ici le volant aux femmes. Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres et le président américain Donald Trump y ont vu une avancée pour les femmes dans ce grand Etat arabe souvent critiqué pour son déficit en matière des droits de l’Homme. La cheffe du gouvernement britannique Theresa May s’est félicitée de cette décision, y voyant un « pas important vers l’égalité des sexes » en Arabie saoudite, tandis qu’à Paris, le Quai d’Orsay a espéré qu’elle « ouvre la voie à de nouvelles avancées pour les femmes ».
Mardi soir, le roi Salmane a ordonné la délivrance de permis de conduire « indifféremment aux hommes et aux femmes », selon un décret qui a résonné comme un séisme dans le royaume. Cette mesure, réclamée depuis 1990 par des militantes dont certaines ont été arrêtées pour avoir défié l’interdiction, doit entrer en vigueur à partir de juin 2018. La décision porte l’empreinte du prince héritier Mohammed ben Salmane, 32 ans, architecte d’un vaste programme de réformes économiques et sociales baptisé « Vision 2030 ».
« Je suis sous le choc, je ressens une très grande joie », a lancé Haya Rakyane, employée de banque de 30 ans installée à Ryad. « Je ne m’attendais pas à une telle décision avant 10 ou 20 ans », a-t-elle déclaré à l’AFP. « C’est un jour très heureux ! Je n’y crois pas encore, je n’y croirai pas avant de le voir de mes propres yeux », a affirmé Chatha Dousri, employée de la compagnie pétrolière Aramco à Dahran (est) qui dit avoir conduit à l’intérieur du complexe résidentiel fermé où elle habite mais jamais sur la voie publique. De nombreuses femmes de l’élite saoudienne, qui pouvaient conduire à Londres ou à Dubaï mais pas à Ryad, avaient tenté de braver cette interdiction en Arabie saoudite mais avaient été systématiquement arrêtées. « C’est la concrétisation du courage de militantes qui ont fait campagne pendant des années », a dit Amnesty International. Les femmes font encore l’objet de sévères restrictions en Arabie où elles sont notamment soumises à la tutelle d’un homme de leur famille –généralement le père, le mari ou le frère– pour faire des études ou voyager. Dans le cadre du plan « Vision 2030 », Ryad semble assouplir certaines mesures imposées aux femmes.
Favoriser les divertissements et la croissance économique
Samedi, les Saoudiennes ont été autorisées, alors que la mixité est interdite dans l’espace public, à célébrer la fête nationale dans un stade, une première dans le pays. Ryad tente prudemment de promouvoir des formes de divertissement malgré l’opposition des ultraconservateurs dans un royaume où la moitié de la population a moins de 25 ans. L’un des représentants de cette frange, Saad al-Hijri, a été suspendu de prêche récemment pour avoir affirmé que les femmes ne pouvaient être autorisées à conduire car elles n’ont que « le quart » du cerveau d’un homme. Le ministère saoudien de l’Intérieur a insisté dans une série de tweets sur le fait que la « majorité des oulémas » n’était pas contre cette décision. Mais il a en même temps averti que les autorités « n’hésiteront pas à prendre toute mesure pour préserver la sécurité et la stabilité » du pays. Dans un communiqué, le secrétariat général du Haut comité des oulémas a confirmé qu’il ne s’opposait pas à la décision, mais qu’il fallait l’encadrer de manière à « respecter la charia (loi islamique) et la dignité des femmes ».
En novembre dernier, le prince et milliardaire saoudien Al-Walid ben Talal, connu pour son franc-parler, avait lancé un vibrant appel pour que les femmes obtiennent le droit de conduire et déploré « le coût économique » de l’interdiction de volant des Saoudiennes. Les Saoudiennes dépendent, pour se déplacer, de chauffeurs privés « étrangers » ou de taxis, ce qui ne favorise pas leur entrée sur le marché du travail et coûte des milliards de dollars à l’économie. La décision « pourrait avoir un impact économique important en augmentant la participation très faible des femmes à l’économie et en stimulant la croissance potentielle du PIB », a relevé l’institut de recherche Capital Economics. Les tentatives d’assouplir les restrictions visent aussi à masquer des critiques sur une récente campagne de répression visant des religieux et des intellectuels critiques du régime, estiment des analystes.
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