Dans le débat actuel au sujet de la future loi sur la fin de vie en France, il semble qu’une alternative à l’euthanasie et au suicide assisté a été un peu délaissée et mériterait d’être davantage développée. Cet « autre chemin » s’appelle les soins palliatifs. Ces derniers permettent aux patients, dans une immense majorité des cas, de finir leur vie apaisés et surtout mieux soulagés de leurs douleurs. En quoi consiste véritablement cette spécialité de la médecine et que peut-elle apporter aux patients ?
Le sujet de l’euthanasie est un sujet extrêmement complexe. Trop souvent présenté noir ou blanc, il est en fait composé de multiples nuances de gris. Pour essayer d’entrevoir quelques aspects du débat actuel sans trop les simplifier, nous ne pouvons pas nous contenter d’un seul article. Nous nous sommes donc d’abord penchés sur l’expérience du Québec, champion mondial de l’euthanasie, puis sur l’importance du choix des mots et la confusion que cela entraine dans le public.
Dans ce nouvel article, Epoch Times s’est entretenu avec le Dr Océane Dantec, jeune médecin passionnée. Spécialisée dans les soins palliatifs, elle œuvre depuis sept ans dans le Val-d’Oise. Son expérience l’a amenée à travailler tant à domicile qu’au sein d’un petit hôpital et encore dans plusieurs Ehpad. Pour elle, les soins palliatifs sont avant tout des soins de vie, insiste-t-elle.
Epoch Times : Quelle est votre définition des soins palliatifs et à qui s’adressent-ils ?
Dr Océane Dantec : Il n’est pas rare que les soins palliatifs soient perçus par la société et par les soignants aussi – nos collègues d’autres spécialités – comme des soins pour la fin de vie. En vérité, le but, c’est vraiment d’accompagner le plus précocement possible les patients qui ont des diagnostics de maladie grave, incurable, ou encore au moment où leur maladie s’aggrave et devient incurable.
On parle des cancers, mais on parle aussi des maladies neurodégénératives comme les maladies de Charcot, les démences de type Alzheimer ou encore la maladie de Parkinson en phase d’aggravation. Nous accompagnons également les patients qui ont des insuffisances respiratoires, cardiaques, rénales, terminales lorsque les soins de supplémentation vitale arrivent au bout de ce qu’ils peuvent faire. Nous nous intégrons aussi à ce moment-là dans une démarche palliative.
Si notre accompagnement peut débuter précocement, c’est toujours mieux. Cela nous permet d’accompagner, de rencontrer le patient, de connaître son histoire, son univers, sa famille, ses valeurs, etc. Nous l’accompagnons tout au long de ce cheminement, de sa maladie jusqu’à sa fin de vie, puis jusqu’à son décès et jusqu’après le décès puisque nous faisons aussi des suivis de deuil pour les proches.
L’idée, c’est vraiment d’être présents à chaque période d’instabilité. Donc il y a une partie très médicale d’adaptation des thérapeutiques, pour soulager toutes les souffrances. Il y a la souffrance physique, la douleur, l’inconfort respiratoire, les angoisses, la souffrance existentielle, etc. Il y a aussi une dimension spirituelle que l’on prend en compte.
Le fait de pouvoir les accompagner précocement, cela nous permet de discuter de façon anticipée avec eux sur leurs souhaits à telle ou telle étape de leur maladie. De cette manière, nous pouvons anticiper aussi les moments où cela va moins bien aller et savoir ce que le patient voudrait ou ne voudrait pas.
À partir de quand peut-on commencer un accompagnement palliatif ?
On peut commencer même quand il y a encore des chimios si l’on sait que la maladie ne guérira pas. En fait, nous pouvons déjà être là, en parallèle des autres spécialités, pour accompagner, commencer à faire cheminer le patient progressivement, adapter les traitements pour tous les inconforts qui vont malheureusement apparaître au moment de l’aggravation de la pathologie.
On est vraiment sur un processus évolutif dans le cadre de maladie grave, incurable, avec un pronostic vital engagé à plus ou moins long terme. Il y a des patients que j’ai accompagnés pendant quatre ou cinq ans en soins palliatifs, qui sont aujourd’hui décédés, mais que j’avais rencontrés plusieurs années avant leur fin de vie.
Quelles sont les problématiques que vous et les autres soignants rencontrez dans votre spécialité ?
Je pense qu’il y a une vraie méconnaissance de ce qu’est le soin palliatif.
Les mots “soins palliatifs” font peur. Certains patients refusent de nous rencontrer, pensant que nous sommes synonymes de “fin de vie imminente”, voire “d’euthanasie”. Cela fait peur aux patients d’être suivis par une équipe de soins palliatifs et du coup ils n’acceptent pas la proposition ou disent “oui, mais pas tout de suite”. Et parfois, plus tard, c’est déjà trop tard….
Il faut donc informer davantage le public et les patients pour montrer qu’un accompagnement en soins palliatifs ne vise ni à prolonger déraisonnablement, ni à accélérer la fin de vie, mais plutôt à leur permettre de vivre de manière agréable et confortable leur maladie et leurs derniers instants. Cette information passe aussi bien sûr par nos collègues, eux-mêmes parfois en difficulté pour expliquer ce que sont les soins palliatifs à leurs patients…
En France, il manque énormément de soignants dans toutes les spécialités, et en soins palliatifs aussi malheureusement. Depuis des années, on dit qu’il faut développer les soins palliatifs, qu’il faut créer des postes, créer des structures, etc. Sauf que l’on manque de ressources humaines pour intégrer ces structures.
Faute de pouvoir accueillir en soins palliatifs tous les patients qui le nécessitent pour les apaiser par ces soins, on a l’impression de se tourner vers une autre solution – une euthanasie ou un suicide assisté – puisqu’on ne parvient pas à développer les soins palliatifs. J’ai l’impression qu’on propose aux gens : « Soit vous souffrez, soit vous êtes euthanasiés ».
L’option intermédiaire est d’avoir un accompagnement palliatif digne de ce nom, que ce soit dans une structure ou à domicile – il ne faut pas oublier qu’on peut très bien faire des accompagnements palliatifs à domicile. Il y a un autre chemin qui est là, qui est présent mais qui n’est encore pas assez connu.
L’euthanasie est souvent présentée par les politiciens comme l’unique remède à la souffrance de la fin de vie. Or, personne ne veut souffrir…
Je ne suis personne pour juger de la souffrance d’un patient qui, malgré un accompagnement adapté, dirait : « Je n’en peux plus et je veux mourir ». Mon rôle de docteur en soins palliatifs, c’est d’entendre cette demande de mort, de voir comment je pourrais accompagner cette demande de mort et la souffrance qui se cache derrière. Une fois que j’ai compris d’où elle vient, j’essaie de pallier cette souffrance d’une manière ou d’une autre, de faire un pas de côté, sans entendre frontalement la demande : « Il demande à mourir, alors je lui donne la mort ».
Parfois on est appelés par nos collègues parce qu’il y a des patients qui sont en demande d’euthanasie et les soignants ne savent pas quoi répondre. Nous intervenons pour accompagner cette demande, l’entendre, discuter avec le patient et nous nous rendons compte qu’avec un accompagnement adapté et une écoute, ces patients ne sont plus en demande de mort.
Il faut qu’ils se sentent entendus dans leur demande de mort, entendus dans leur souffrance et apaisés dans cette souffrance. Et au final, dans la grande majorité des cas, cette demande d’euthanasie disparaît.
Ma carrière n’est pas très longue – je fais du soin palliatif depuis sept ans – mais je n’ai jamais eu un patient qui est allé en Belgique ou en Suisse pour accéder à une aide à mourir. Certains parmi les patients que j’ai accompagnés avaient pourtant déjà entamé des démarches dans ce sens, entamé tout le processus. La prise en compte de leurs souffrances et leurs soulagements a permis de leur redonner goût à la vie, à cette vie différente qui était maintenant la leur avec la maladie.
Est-ce qu’il y a des souffrances que la médecine n’arrive pas à soulager ?
La souffrance la plus compliquée à soulager, pour laquelle on dispose de peu de médicaments, est ce qu’on appelle la souffrance existentielle. Ce n’est pas de l’angoisse, ce n’est pas de la douleur, ce ne sont pas des difficultés respiratoires : c’est vraiment une souffrance d’exister.
Je compte sur les doigts de ma main les patients qui étaient dans une telle souffrance existentielle qu’on peinait à apaiser. On a fini en toute fin de vie par aborder avec eux la possibilité d’une sédation profonde dans le cadre de la loi, mais tous n’ont pas souhaité y accéder. [ndlr : le sujet de la sédation profonde et continue fera l’objet d’un autre article prochainement]
Pour quelles raisons prônez-vous des soins palliatifs précoces ?
La catastrophe, c’est quand nous prenons en soins un patient à qui on a dit : « On arrête les chimios, donc vous êtes maintenant en soins palliatifs ». Non seulement il vit un sentiment d’abandon parce qu’il a l’impression d’une rupture avec son parcours de soins d’avant, mais en plus on arrive sur un moment d’aggravation de sa maladie. Il a souvent des douleurs. Il est angoissé, il est inquiet de sa fin de vie. Bref, on réunit le panel de toutes les souffrances possibles et on arrive à un instant T où il faut tout gérer.
Si on a accompagné le patient précocement, on a pu déjà aider au soulagement des douleurs quand elles apparaissaient, sur le plan physique comme sur le plan des angoisses. On les soulage au fur et à mesure qu’elles évoluent. Tout a été accompagné progressivement et il n’y a pas eu de point de rupture dans la prise en soin du patient.
Ne faut-il pas encore davantage de personnel pour un accompagnement précoce ? Est-ce vraiment une solution alors qu’on manque déjà de soignants ?
Les accompagnements précoces sont vraiment bénéfiques pour tout le monde. Ce sont les mêmes équipes qui font les accompagnements précoces et les accompagnements « terminaux ». Il s’agit d’un continuum de soins, ce qui est toujours plus paisible pour tout le monde, pour le patient, pour ses proches, pour nous, pour les autres médecins, pour les autres soignants. On voit bien que ces accompagnements précoces mènent à une fin de vie apaisée. Il y a moins de moments d’urgence.
Quand on fait un accompagnement à domicile, on sait organiser une hospitalisation en unité de soins palliatifs lorsque cela devient nécessaire. Les proches savent nous appeler quand cela va moins bien. Le patient est déjà connu parce que le dossier a déjà été anticipé. Dans nos pratiques, c’est lorsqu’il y a un accompagnement précoce que cela se passe le mieux.
À qui s’adresser pour faire accompagner un proche par une équipe de soins palliatifs comme la vôtre ?
Il faut savoir que les soins palliatifs, c’est un droit pour tous depuis la loi de 1999. La plupart du temps, nous sommes appelés par des collègues qui veulent qu’on vienne les aider dans des prises en charge. Cependant, le patient lui même et ses proches ont le droit de faire appel à une équipe de soins palliatifs. Après, libre à l’équipe de dire si c’est pertinent à l’instant T d’intervenir ou pas, mais en tout cas, c’est un droit pour chaque patient de demander un accompagnement palliatif.
Vous pouvez aussi essayer de vous adresser à votre médecin de famille. De façon très pratico-pratiques, dans le livret d’accueil du patient à l’hôpital, il y a l’information qu’une équipe mobile intervient dans l’établissement.
Avec la nouvelle loi sur la fin de vie et l’euthanasie, qui devrait être votée le 11 juin prochain, quelles sont vos inquiétudes personnelles et celles des soignants qui vous entourent ?
Cela nous fait peur, très peur dans le milieu des soins palliatifs. Globalement, on entend la voix de la société qui tend vers cela de façon un peu irrémédiable. On aura beau militer, on n’arrivera pas à changer le point de vue de la société. Cela prendrait trop de temps pour que cela change et ce projet de loi va probablement passer maintenant.
Nous avons surtout des inquiétudes sur la façon dont cela va changer nos pratiques. Est-ce que nos équipes vont exploser en plein vol ? Parce que forcément, chaque personne est humaine et porte des valeurs personnelles différentes.
On touche aussi à la mort et à la fin de vie, demander à être euthanasié est un choix personnel et individuel, ce n’est pas une discussion qui devrait être portée par des équipes de soins. Pour moi, cela n’a rien à voir avec la médecine. Les soins palliatifs se sont néanmoins intégrés au débat parce que cela touche directement le cœur de notre profession ainsi que nos valeurs.
Nous suivons beaucoup cette actualité là. Cependant, dans les autres spécialités ou en médecine générale, je ne sais pas si les soignants sont autant informés de ce qui est en train de se passer. En y réfléchissant, je me dis que ce n’est peut être pas nous, en soins palliatifs, qui allons être tant impactés que ça. Peut-être que, dès lors que cette loi sera promulguée, ce seront d’autres médecins moins appétents et moins formés en soins palliatifs, qui s’en saisiront… Je ne sais pas du tout comment cela va se répercuter.
Quel est votre point de vue personnel sur l’euthanasie ?
Si cela reste des exceptions individuelles d’aide à mourir, dans des cadres très singuliers, je peux l’entendre. Mais cela ne suivra pas mes valeurs en tant que soignante. Si je fais des soins palliatifs, c’est parce que je suis convaincue que chaque moment mérite d’être vécu dans les meilleures conditions.
Je pense que ce n’est pas pour rien qu’il y a ce processus de fin de vie. Peut-être que psychiquement, il se passe des choses et peut-être que ce temps de mourir est nécessaire à l’être humain pour régler ce qu’il a à régler. Dans ma démarche palliative, je suis convaincue qu’il faut laisser la vie se faire jusqu’au bout, jusqu’au moment où elle ne doit plus se faire.
Quand il y a ces demandes d’euthanasie chez les patients qu’on accompagne, on a le sentiment que cela provient parfois d’une volonté de contrôler leur vie qui leur échappe. La mort fait peur. Peut-être que le but de notre pratique, c’est de leur montrer qu’ils peuvent encore reprendre le contrôle, mais d’une autre manière.
Je ne vis pas ce que mes patients vivent et je ne peux pas juger du bien-fondé ou non de leur désir de mort. Tout ce que je sais, c’est que dans mes valeurs de médecin, donner la mort, ce n’est pas soigner un patient. Dans le serment d’Hippocrate, il est dit : “Je ne provoquerai jamais la mort délibérément”. Comme le dit si bien Mme Claire Fourcade [ndlr : présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs – SFAP], “la main qui soigne n’est pas la main qui tue”.
Je ne sauve pas des vies, mais je sauve un peu la vie d’une certaine manière, de ce qu’elle vaut d’être vécue jusqu’au bout.
On a qu’une mort, on a qu’une fin de vie. Ce sont des moments uniques et précieux dans une vie, à accompagner, à bien accompagner, qu’il ne faut pas “louper”.
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