L’esclave qui a défié Napoléon

Toussaint Louverture est né dans l'esclavage, mais il s'est élevé au-dessus de sa condition pour combattre Napoléon et jeter les bases de la liberté haïtienne

Par Walker Larson
5 mars 2025 22:52 Mis à jour: 6 mars 2025 05:23

Napoléon Bonaparte craignait peu de gens, mais il en craignait un en particulier : un esclave noir haïtien nommé Toussaint Louverture, originaire de la colonie de Saint-Domingue dans les Caraïbes. Napoléon craignait que ce petit génie militaire d’un mètre cinquante ne construise un empire capable de défier le sien.

Toussaint, qui n’a pris le nom de famille de « Louverture » que plus tard dans sa vie, avait pour principal objectif de libérer son peuple. Il disait de lui-même : « Je suis né esclave, mais la nature m’a donné l’âme d’un homme libre. Chaque jour, je lève les mains en prière pour implorer Dieu de venir en aide à mes frères et de répandre sur eux la lumière de sa miséricorde. »

C’est à ce jeune homme sans envergure que l’on doit d’avoir soustrait le territoire de la Louisiane et Saint-Domingue à l’emprise de l’empereur Napoléon et d’avoir créé Haïti, la première république noire indépendante. Comment a-t-il fait ?

Les débuts de l’histoire d’Haïti

Pour répondre à cette question, il est important de comprendre un chapitre des débuts de l’histoire d’Haïti. Malgré l’interdiction de l’esclavage par la reine Isabelle d’Espagne, de nombreux colons espagnols du Nouveau Monde ont réduit en esclavage les populations indigènes qui y vivaient déjà. Cependant, ces personnes avaient tendance à mourir en captivité. Les marchands d’esclaves espagnols et portugais ont alors commencé à capturer des esclaves noirs en Afrique et à les transporter à travers l’Atlantique, dans des conditions impitoyables.

Le père de Toussaint Louverture est arrivé à Saint-Domingue à la suite de ce commerce d’esclaves. Toussaint Louverture est né esclave à la plantation de Breda, dans le nord de la colonie française de Saint-Domingue, sur l’île d’Hispaniola. Il est possible qu’il ait été le fils d’un roi africain capturé lors d’une bataille et vendu comme esclave, bien que les récits diffèrent. Qu’il s’agisse d’un héritage royal, d’aptitudes naturelles ou des deux, Toussaint a acquis un statut et un leadership parmi les autres esclaves de la plantation.

Toussaint possédait une intelligence brillante et un tempérament déterminé et attaché aux principes. Un prêtre nommé Père Luxembourg, qui exerçait son ministère sur l’île, a remarqué l’intelligence profonde du jeune esclave et lui a appris à lire et à écrire le français et le latin. Sous l’influence du père Luxembourg, Toussaint se convertit au catholicisme et reste un fervent catholique tout au long de sa vie. Il s’oppose fermement à la religion vaudou, communément pratiquée par les esclaves de l’île.

Au fil du temps, il gagne les faveurs du directeur de la plantation et se voit confier des postes à responsabilités croissantes : d’abord muletier, puis guérisseur pour les pansements des animaux, cocher et, enfin, intendant. Toussaint obtient sa liberté en 1776, se marie et a deux enfants. Il cultive son propre lopin de terre et continue à gérer la plantation de son ancien propriétaire.

À la fin des années 1780 et au début des années 1790, les nouvelles de la révolution française parviennent aux colonies des Caraïbes et semblent susciter chez les esclaves un désir de liberté de plus en plus profond. En août 1791, cette étincelle de rébellion s’est transformée en une véritable conflagration. La révolution éclate à Saint-Domingue et des milliers d’esclaves se soulèvent contre leurs maîtres. Cette révolte sanglante et violente est le résultat d’années de tensions réprimées.

Au début, Toussaint hésite à prendre parti. Finalement, il aide son propre maître à s’enfuir, puis rejoint la révolution, tout en condamnant les excès et les atrocités de certains de ses compagnons révolutionnaires. Toussaint forme et entraîne sa propre armée et démontre rapidement ses brillantes capacités tactiques en tant que commandant militaire.

Son deuxième nom, « Louverture », qui signifie « ouverture » en français, fait peut-être référence à ses prouesses militaires et à sa propension à « saisir une ouverture » qui lui permettait d’obtenir un avantage tactique sur le champ de bataille.

Un portrait de Toussaint Louverture, vers 1804 ou 1805, par Alexandre-François-Louis. Huile sur toile (Domaine public)

Une lutte permanente

La situation sur l’île d’Hispaniola se complique encore lorsque la partie française (Saint-Domingue) et la partie espagnole (Santo Domingo) entrent en guerre l’une contre l’autre en 1793. Les commandants noirs rejoignent le camp espagnol et Toussaint continue à faire la preuve de son génie militaire pendant qu’il est au service de la cause espagnole. Son succès est tel qu’il est anobli et promu général. Il contribue à mettre les Français à genoux.

Mais l’évolution de la politique européenne a donné un tour inattendu à la guerre. En 1794, la Convention nationale française interdit l’esclavage et libère ses esclaves. Toussaint change alors de camp et se rallie aux Français. Il ne peut plus travailler avec les Espagnols, qui maintiennent toujours l’esclavage dans leurs domaines.

Le vent de la guerre tourne lorsque Toussaint change de camp et les Espagnols sont bientôt vaincus. Le gouverneur français de Saint-Domingue nomme Toussaint lieutenant-gouverneur. Au cours de la décennie suivante, Toussaint, en gravissant les échelons et en soumettant astucieusement tous ses rivaux, réussit à unifier l’île entière sous son autorité, bien qu’il reste nominalement un représentant du gouvernement français.

En France, l’avalanche de changements politiques et d’instabilité se poursuit. Dans un geste audacieux, Napoléon Bonaparte prend le contrôle du gouvernement français lors du coup d’État de 1799 et, en tant que Premier consul de France, il s’intéresse à la situation turbulente de la colonie française de Saint-Domingue. Au début de l’année 1800, Napoléon envoie un message aux Noirs de l’île. Il leur promet de ne jamais les remettre en esclavage et nomme Toussaint capitaine général de la colonie et commandant en chef de l’armée.

La même année, Toussaint défait les forces mulâtres qui menacent son contrôle dans le sud de l’île.  En 1801, il va à l’encontre des ordres de Napoléon et conquiert également la partie espagnole de l’île.

Le Général français Toussaint Louverture recevant le général britannique Thomas Maitland, 1821, par François Grenier de Saint-Martin et Jean-François Villain.(PD-US)

Le succès de Toussaint s’étend aux affaires intérieures. Son règne impressionne les Noirs, les Blancs et les mulâtres, car il libère les esclaves et améliore l’économie. Il restaure les plantations, mais cette fois avec une main-d’œuvre rémunérée. Il vend du sucre à d’autres pays et conclut des accords profitables avec la Grande-Bretagne et les États-Unis. Parmi ces accords, Toussaint promet, en échange d’armes et de marchandises, de ne pas envahir la Jamaïque ou le sud des États-Unis. Les exportations américaines vers la colonie augmentent de plus de 260 %.

Toussaint établit une constitution dans laquelle il est gouverneur à vie et où le catholicisme est la religion d’État. Cependant, malgré son contrôle quasi absolu de l’île, il continue à rendre hommage à Napoléon et se proclame un français loyal.

Le fourbe Napoléon prend alors une décision cruciale. D’anciens propriétaires de plantations l’ont convaincu de rétablir l’esclavage dans les colonies. De plus, il voyait Toussaint gravir les échelons du pouvoir, et il ne savait pas jusqu’où ce leader pouvait aller. Les historiens pensent que Napoléon craint que Toussaint n’étende ses domaines au-delà d’Hispaniola, peut-être même sur le continent américain. Cela interférerait avec les propres objectifs impérialistes de Napoléon. Il décide alors de se débarrasser de Toussaint et d’enchaîner à nouveau la population noire de l’île.

Toussaint Louverture, 1805, par John Kay. (PD-US)

Napoléon envoie des troupes bien entraînées, sous le commandement du général Charles Leclerc, pour envahir Hispaniola en janvier 1802. Toussaint était prêt, ayant stocké des provisions et constitué ses propres forces.

L’armée impériale française et les anciens esclaves se livrent un combat acharné dans les jungles denses et moites. Les hommes de Toussaint ont tenu bon face à la force de frappe la plus redoutable du monde à l’époque. L’historien Warren Carroll a décrit une bataille clé dans son livre The Revolution Against Christendom (La Révolution contre la chrétienté) :

« Les hommes noirs et les anciens esclaves d’Haïti n’ont rien cédé en valeur aux vétérans de Napoléon. Le fort a résisté au siège de 12.000 des meilleurs soldats de Napoléon. La garnison se battit si magnifiquement que le général Leclerc, mourant de la fièvre jaune, déclara que « des hommes aussi épris de liberté que les nègres de Saint-Domingue et aussi vaillants que les soldats français méritaient un meilleur sort que celui auquel le Premier consul les avait condamnés ».

Leclerc ne peut vaincre Toussaint dans une bataille rangée. Mais lorsque les propres généraux de Toussaint le trahissent, ce dernier accepte de se rendre à condition que Leclerc promette de ne pas rétablir l’esclavage. Peu après sa reddition, Toussaint est attiré dans un piège et capturé par les Français. Il est emmené dans une forteresse impénétrable située dans les neiges du Jura français et emprisonné jusqu’à sa mort en 1803.

Cette représentation de Toussaint Louverture emprisonné dans un fort du Jura est anonyme et non datée. (Domaine public)

Un héritage durable

Malgré sa fin tragique, les réalisations de Toussaint ont eu des effets considérables. Selon Kedon Willis, professeur de littérature latino-américaine et caribéenne, « les historiens attribuent [à la révolution de Toussaint] le mérite d’avoir dissuadé la France de poursuivre ses efforts coloniaux dans l’hémisphère et d’avoir incité Napoléon à céder le territoire de la Louisiane aux États-Unis, doublant ainsi la taille de la jeune république ». Les actions de Toussaint pourraient bien avoir épargné aux Amériques la domination napoléonienne.

Napoléon s’est débarrassé de Toussaint, mais il a perdu 63.000 hommes sur l’île, principalement à cause de la fièvre jaune. Carroll décrit les regrets qu’éprouvera plus tard Napoléon à l’égard de cette action militaire, que d’aucuns considèrent comme sa plus grande erreur. En exil à Sainte-Hélène, Napoléon réfléchit à sa carrière politique et militaire et écrit : « J’ai à me reprocher l’attaque de cette colonie. J’aurais dû me contenter de gouverner l’île par l’intermédiaire de Toussaint. »

Après la capture de Toussaint, son lieutenant Jean-Jacques Dessalines a continué à se battre. Il finit par fonder la nation souveraine indépendante d’Haïti en 1804. Ainsi, Toussaint a donné à son peuple une nation indépendante, comme il en avait rêvé longtemps auparavant dans la plantation de Breda, même s’il n’a pas vécu pour voir la pleine floraison de l’arbre qu’il avait planté.

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