« Cher Jean d’Ormesson »… deux lettres ouvertes au romancier

17 juin 2015 16:29 Mis à jour: 17 juin 2015 16:31

Jean d’Ormesson, qui fête ses 90 ans aujourd’hui, a été une source d’inspiration pour nombreux de ses pairs. L’amour de l’humain, l’exploration des mystères de l’existence et de ses paradoxes, la recherche du bonheur et du sens rythment l’oeuvre du prolixe romancier. A l’occasion, voici deux lettre ouvertes à Jean d’Ormesson publiées l’une par la romancière Émilie Frêche, l’autre par Franz-Olivier Giesbert, éditorialiste au Point. 

Cher Jean d’Ormesson,

Je vous ai rencontré pour la première fois en 1993, c’était un soir du mois d’août dans une belle et grande villa sur les hauteurs de Ramatuelle. On y donnait une fête à laquelle je n’avais pas eu l’autorisation de me rendre. Trop d’alcool, et trop de coke ! avait dit mon père. Je venais tout juste d’avoir dix-sept ans. Il avait donc fallu que j’attende qu’il s’endorme pour mettre des coussins sous ma couette, sortir de la maison en catimini, rejoindre le village en stop puis, de là, appeler un copain d’une cabine qui n’existe sans doute plus pour qu’il vienne me chercher d’un coup de scooter – bref, toute une aventure !

Il devait être déjà vingt-trois heures lorsque nous sommes arrivés. La vue sur Pampelonne et les lumières de Saint-Raphaël semblaient peintes à la gouache, les jambes des filles aussi, je me souviens que les filles étaient déjà toutes un peu ivres, qu’elles portaient des jupes très courtes, plus courtes que la mienne, qu’elles dansaient sur All that she wants qui était le tube de cet été-là comme moi je ne saurais jamais danser – et cela m’avait rendue triste. J’avais quitté la terrasse. J’étais allée explorer les toilettes, les salons déserts, puis je m’étais aventurée au premier étage et c’est là, dans une des chambres qui donnaient sur la mer, que j’étais tombée sur vous. Vous étiez seul, posé au beau milieu de ce grand lit, cela m’avait beaucoup troublée. J’avais eu envie de m’excuser et de disparaître, mais en même temps, on aurait dit que vous m’attendiez. J’étais venue m’asseoir au bout du lit.

Vous aviez commencé à me parler d’amour et d’Italie, « cette patrie, disiez-vous, où l’on aime à cause du soleil », et très vite, j’avais eu le sentiment d’y être, de voir se dresser sous mes yeux toutes les merveilles de Rome où je n’étais encore jamais allée, ses cireurs de chaussures, ses vendeurs degelati. Avec vous, la nuit avait filé comme un train à grande vitesse. J’avais été pendue à vos phrases, jusqu’à la dernière, mais au petit jour, je m’étais endormie et je vous avais laissé glisser sur ma poitrine. C’est là le grand privilège des écrivains : même après leur mort, ils finissent entre les seins de tant de femmes ! Le lendemain de cette soirée, évidemment, mon père, furieux, m’avait demandé des comptes. Pour une fois, je ne lui avais pas menti. J’avais dit J’ai passé la nuit avec Jean d’Ormesson, et cela m’avait valu deux gifles – il n’avait jamais voulu croire que j’avais lu, en une nuit, Un amour pour rien.

Aujourd’hui que tant d’étés ont passé, ces deux gifles ont le doux parfum du soleil, de la mer, de la jeunesse et de la littérature, tout ce que vous aimez, je crois. Tout ce que vous serez toujours pour moi. Joyeux anniversaire, très cher Jean d’Ormesson.

Émilie Frèche est écrivaine et scénariste. Dernier livre paru : Deux Étrangers, Actes Sud.

Lettre de l’éditorialiste Franz-Olivier Giesbert, éditorialiste

Cher Jean,

Merci de nous faire tant de bien depuis si longtemps. Dans un pays pessimiste et ronchon, tu restes le plus français d’entre nous, avec ton sourire et ta joie de vivre. Tu es la revanche de l’esprit français dans un monde décérébré. Le souffle de la culture sur le désert de la pensée. Le pied de nez de l’aristocratie à la face de notre robespierrisme haineux.

Tu incarnes ce que nous avons toujours rêvé d’être, nous autres Français : des gentilshommes bien dans leur peau, au teint hâlé, les pieds nus dans leurs mocassins beurre-frais, les cheveux encore mouillés après leur bain de mer. Afficher son bonheur est la meilleure façon de se faire des ennemis, mais à la longue tu les as tous lassés ou semés. C’est ainsi que tu es devenu un grand monument national, quelque part entre la tour Eiffel et le château de Versailles.

Ce que ça doit être drôle d’être visité comme ça de son vivant, avec ces foules de visiteurs qui vont et viennent, en quête de sens, au plaisir de Dieu ! J’entends ton rire…

Franz-Olivier Giesbert

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