L’exploitation minière illégale en Afrique alimentée par le crime organisé et la corruption

Les gangs incontrôlés étaient largement ignorés par la police, mais récemment une attaque brutale a choqué la nation

Par Darren Taylor
20 août 2022 22:12 Mis à jour: 20 août 2022 22:12

JOHANNESBURG, Afrique du Sud – À l’ombre d’une décharge de mine haute de six étages, le sable excavé luisant au soleil, un jeune homme, la sueur ruisselant sur son torse nu, passe ses doigts dans un seau de terre pierreuse qu’il vient de tirer des profondeurs d’un puits sombre.

David Mokushane (pseudonyme) est un zama zama, un mineur illégal. Il vit dans la banlieue ouest de Johannesburg.

Dans la langue de Sesotho, il glousse : « Tout le temps, tous les jours, nous attendons la grande, grande trouvaille, quelque chose laissé derrière nous il y a de nombreuses années, qui nous rapportera de l’argent pour nourrir nos familles pendant un an. »

Lorsque de l’or a été découvert sur le Witwatersrand (« la crête des eaux blanches ») par un minéralogiste gallois en 1852, une ruée vers les gisements d’or les plus riches du monde a débuté, jetant les bases de l’économie la plus industrialisée d’Afrique, donnant à Johannesburg son nom zoulou « Egoli » (ville d’or) et déclenchant la guerre anglo‑boer.

Vue générale d’une installation minière illégale utilisée pour extraire de la poussière d’or près de l’exploitation minière Harmony Gold à Randfontein, le 2 août 2022. Une opération d’infiltration a été menée par les autorités pour démanteler un syndicat minier illégal dans la région. (Phill Magakoe/AFP via Getty Images)

Depuis lors, les minerais font l’objet de conflits, désormais centrés sur la présence des zama zamas. Il s’agit généralement de migrants sans papiers originaires d’autres pays africains riches en histoire minière, notamment le Lesotho, le Mozambique, la République démocratique du Congo (RDC) et la Zambie.

Il y a environ dix ans, en partie pour faire face à des attaques anti‑étrangers et pour protéger leur butin, les mineurs illégaux ont commencé à former des gangs et à s’affilier à des groupes de crime organisé, selon Julian Rademeyer, directeur de l’Observatoire de l’Afrique orientale et australe de l’Initiative mondiale contre le crime organisé transnational [GITOC : Global Initiative against Transnational Organized Crime].

En entrevue pour Epoch Times, M. Rademeyer explique que les gangs de zama zama se sont équipés d’armes, telles que des fusils d’assaut AK‑47 de fabrication russe.

Pendant des années, le gouvernement sud‑africain et sa police ont largement ignoré la crise, alors que les zama zamas, souvent recouverts de lourdes couvertures dissimulant des armes, le visage caché sous des cagoules, semaient la terreur dans les communautés minières du centre et du nord de l’Afrique du Sud.

Mais, dans la nuit du 28 juillet, un événement s’est produit qui a bouleversé le pays, pourtant habitué aux crimes brutaux.

Alors qu’une équipe d’une vingtaine de personnes tournait un clip dans une ancienne mine près de la ville de Krugersdorp, à l’ouest de Johannesburg, des dizaines de zama zamas les ont entourés et ont agressé sexuellement huit femmes du groupe.

Lorsque la nouvelle de ces exactions est parvenue dans les rues, des foules furieuses se sont formées dans certains quartiers, chassant les zama zamas et les « étrangers sans papiers ».

À Kagiso, près de Krugersdorp, les habitants se sont armés avec tout ce qui leur tombait sous la main, pierres, pioches, marteaux, couteaux et pelles. Ils se sont déchaînés à travers la zone, incendiant les cabanes appartenant à des étrangers.

Le commissaire de police de Gauteng, le général Elias Mawela, a affirmé à Epoch Times que certains mineurs présumés illégaux avaient été déshabillés et sévèrement agressés, avant d’être traînés au poste de police.

Au moins un n’a pas eu cette chance.

Le corps d’un mineur illégal gît sur le sol après avoir été extrait d’une mine d’or illégale à Benoni, à l’extérieur de Johannesburg, le 18 février 2014. (Mujahid Safodien/AFP via Getty Images)

Epoch Times a vu ses restes carbonisés, un officier de police expliquant : « La foule l’a frappé avec des briques, y compris les vieilles dames. Ils ont dit que c’était un ‘makwerekwere’ [argot local désobligeant signifiant étranger], un ‘tsotsi’ (criminel). Puis ils ont jeté un pneu sur lui, ont versé de l’essence et y ont mis le feu. »

David Lewis, directeur du groupe Corruption Watch, a expliqué à Epoch Times que des années de négligence et de corruption commises par le Congrès national africain (ANC) au pouvoir, et surtout son incapacité à créer des emplois, ont conduit les populations pauvres et sans emploi d’Afrique du Sud à déverser leur colère sur les migrants étrangers.

L’Afrique du Sud a le taux de chômage le plus élevé au monde, soit environ 35%.

Alors que les groupes d’autodéfense se déchaînent, les forces de Mawela ont lancé ce qu’elles ont appelé une « répression à grande échelle » contre l’exploitation minière illégale. Elles ont arrêté 81 suspects en rapport avec le drame de Krugersdorp, l’ADN ne liant que 7 d’entre eux aux viols.

Au cours d’une opération menée dans le district de Westonaria, Mawela a montré du doigt une zone presque entièrement entourée d’énormes décharges minières et a déclaré aux journalistes : « Caché là, nous avons trouvé un centre pour traiter l’or frais. À chaque coin de cette zone, se trouvaient deux tireurs, qui protégeaient l’installation des intrus. »

Là, la police a arrêté plus de 50 zama zamas présumés, dont certains avaient entre 12 et 16 ans.

Dave Davis, un enquêteur de l’unité spéciale de la police de Hawks, a expliqué à Epoch Times que les gangs forcent les garçons victimes de trafic vers l’Afrique du Sud depuis les pays voisins à travailler dans des tunnels étroits dans lesquels ils sont parfois enterrés vivants.

« Les gangs volent des matériaux aurifères dans différentes mines, ils les lavent et finissent par en faire un amalgame avec du mercure. Ils le fondent pour en faire des pépites d’or, qui se retrouvent sur le marché illicite », explique M. Davis.

M. Rademeyer souligne que l’exploitation minière illégale se développe à une « échelle sans précédent » sur le continent, en particulier dans des pays riches en minerais, comme la RDC.

Au début de l’année, un rapport de l’Institut français des relations internationales (IFRI) à Paris affirmait que les sociétés minières et forestières chinoises illégales « sévissent dans la province orientale du Sud‑Kivu en RDC, alimentant la corruption qui donne du pouvoir aux élites dirigeantes et appauvrit les communautés locales ».

Selon les chercheurs de l’IFRI Justin Mwetaminwa et Thierry Vircoulon, les autorités de la RDC, dont l’armée, coopèrent avec six entreprises chinoises pour exploiter illégalement les mines d’or.

Ils écrivent : « Ces opérations minières incontrôlées s’accompagnent d’une militarisation des sites miniers, qui se traduit souvent par des violences contre les civils. »

« Ces dernières années, la RDC s’est engagée à mettre en place des procédures de certification administrative, sociale et environnementale pour les activités minières. »

« Cependant, le contrôle du secteur minier par un partenariat prédateur entre des intérêts étrangers et certaines élites locales et nationales rend illusoire toute tentative d’améliorer la gouvernance minière. »

« Malgré la mobilisation des communautés locales et l’interdiction des activités des compagnies minières chinoises dans cette zone, elles continuent à exploiter les mines. »

Les entreprises chinoises – ainsi que le gouvernement de la RDC – n’ont pas répondu aux demandes de commentaire formulées par Epoch Times.

Selon M. Rademeyer, le maintien de l’ordre réactif pratiqué par la plupart des polices africaines, lorsqu’elles ne sont pas elles‑mêmes impliquées dans le crime, « ne permettra jamais d’endiguer » l’exploitation minière illicite.

« La police déploie des forces spéciales et des équipes d’intervention tactique. Tout cela est très bien, mais aussi trop tard. Ce qui est nécessaire, ce sont des enquêtes ciblées, fondées sur le renseignement, et une stratégie très claire pour lutter contre le crime organisé. »

Selon le GITOC, ce n’est pas une coïncidence si certains des endroits les plus violents de la planète sont des zones où l’on pratique l’exploitation minière illégale, notamment au Sud‑Kivu.

En 2019, indique l’organisation financée par l’Union européenne, le nombre de meurtres dans la région des champs d’or de l’État libre d’Afrique du Sud a atteint 55 cas pour 100.000 personnes, un taux qui la place parmi les 15 endroits les plus violents de la planète.

Selon M. Rademeyer, l’exploitation minière illégale fait partie d’une chaîne d’approvisionnement illicite aux multiples tentacules.

« Au cours de la dernière décennie, des syndicats sophistiqués se sont impliqués car, contrairement au trafic de drogue, par exemple, les autorités n’ont pas l’œil sur l’exploitation minière illégale. Des rackets d’extorsion y sont liés. Il y a des réseaux de personnes connectées à travers les raffineries d’or, les bijoutiers d’occasion, les vendeurs de ferraille… »

Il est convaincu que la majorité des gouvernements africains et des organismes chargés de l’application de la loi ne prennent pas le problème du crime organisé suffisamment au sérieux… Certains, parce qu’ils en profitent.

« Dans certains cas, les autorités aident les gangs à récolter et à faire de la contrebande d’or, de diamants et d’autres minéraux précieux. Les zama zamas ne s’enrichissent pas. Ils servent de pions. Des personnes puissantes deviennent de plus en plus riches grâce à ce système », déclare M. Rademeyer.

« Nous avons vu des postes de police presque entièrement corrompus, qui aident ouvertement les zama zamas en transportant de l’or dans des véhicules de police. Des rapports signalent que des policiers servent de tueurs à gages à des gangs de zama zama. Ce phénomène est tellement enraciné qu’il est incroyablement difficile à combattre. »

Les enquêteurs du GITOC ont retrouvé la trace d’une grande partie de l’or africain volé jusqu’aux Émirats arabes unis, où il est raffiné puis revendu à des contacts répartis dans le monde entier, notamment aux États‑Unis et en Europe.

« Une partie va également en Chine et en Inde », poursuit M. Rademeyer. « C’est une activité extraordinairement lucrative qui fonctionne de manière transnationale. »

« On peut arrêter des centaines de zama zamas ; on peut les expulser. Cependant, ces mesures ne permettront pas de régler le problème des liens criminels transnationaux plus vastes. On a donc besoin d’enquêtes crédibles et ciblées. »

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