Où est Boualem Sansal ? L’inquiétude règne du monde des lettres jusqu’à la présidence française autour d’une « disparition » de l’écrivain franco-algérien de 75 ans, en lutte contre le fondamentalisme religieux et l’autoritarisme, qui n’a plus donné de nouvelles depuis plusieurs jours.
Boualem Sansal est l’une des grandes voix de la littérature francophone contemporaine, auteur d’une œuvre engagée contre l’obscurantisme et pour la démocratie. Né en 1949 à Theniet El Had, en Algérie, d’un père d’origine marocaine et d’une mère qui a reçu une éducation à la française, il commence à écrire à 48 ans et publie son premier roman, Le Serment des Barbares, deux ans plus tard. Il y raconte la montée en puissance des intégristes qui a contribué à faire plonger l’Algérie dans une décennie de guerre civile ayant fait 200.000 morts entre 1992 et 2002.
Après une carrière d’enseignant, de chef d’entreprise et de haut fonctionnaire, il est limogé en 2003 du ministère de l’Industrie algérien pour sa position critique contre le pouvoir, en particulier sur l’arabisation de l’enseignement.
Arrêté « à l’aéroport d’Alger »
En 2019, il participe à Alger aux manifestations qui conduisent à la démission du président Abdelaziz Bouteflika. Selon plusieurs médias, dont l’hebdomadaire Marianne, l’écrivain aurait été arrêté samedi à l’aéroport d’Alger, en provenance de France. L’agence gouvernementale algérienne APS a confirmé une « arrestation » de l’écrivain « à l’aéroport d’Alger », sans toutefois donner de date.
Aucune autre information officielle, ni même sous couvert d’anonymat, n’a cependant filtré sur son sort des deux côtés de la Méditerranée, dans un contexte de relations tendues entre les deux pays.
Selon Le Monde, les autorités algériennes pourraient avoir très mal pris des déclarations de M. Sansal au média français Frontières qui reprennent la position marocaine selon laquelle le territoire du pays aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l’Algérie.
D’après le quotidien, il s’agirait d’une « ligne rouge » pour Alger, qui pourrait valoir à l’écrivain des accusations d’« atteinte à l’intégrité nationale ». Jeudi soir, l’entourage du président Emmanuel Macron a fait savoir que ce dernier était « très préoccupé par la disparition » de Boualem Sansal et précisé que « les services de l’État sont mobilisés pour clarifier sa situation », sans donner davantage de détails.
Son œuvre dénonce l’islamisme
L’œuvre de Boualem Sansal évoque sans tabou, et dans un style parfois caustique, l’histoire de l’Algérie, la mémoire, les relations avec la France, et dénonce inlassablement l’islamisme.
Parmi ses titres célèbres, Le village de l’Allemand (2008), censuré dans son pays d’origine, invoque à la fois la Shoah, la guerre civile en Algérie et la vie des Algériens dans les banlieues françaises. Dans 2084, la fin du monde (2015), il prend des accents orwelliens pour dénoncer la menace que fait poser le radicalisme religieux sur les démocraties, en imaginant l’islamisme au pouvoir.
Édité dans la prestigieuse collection Blanche de Gallimard, Boualem Sansal est habitué des prix littéraires en France : l’Académie française lui a décerné son Grand prix de la francophonie, puis son grand prix du roman pour 2084, la fin du monde.
Son engagement et ses mises en garde de l’Europe, et de la France en particulier, contre les dangers de l’islamisme, ont valu à cet athée revendiqué de solides inimitiés. Et le soutien d’intellectuels et de médias de droite et de droite nationaliste, applaudissant ses déclarations choc sur un « ordre islamique » qui tenterait « de s’installer en France ».
En Algérie, les menaces ont redoublé depuis qu’il s’est rendu en Israël pour y recevoir un prix littéraire en 2014. Ses prises de position lui attirent parfois des accusations d’islamophobie, dont il se défend inlassablement. « Je n’ai jamais dit quoi que ce soit contre l’islam qui justifierait cette accusation » mais, « ce que je n’ai cessé de dénoncer, c’est l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques et sociales », expliquait-il à l’AFP en 2017.
La « France Macronito-sioniste »
Plusieurs responsables politiques français ont exprimé leur inquiétude depuis jeudi, notamment l’ex-Premier ministre Édouard Philippe qui a estimé que l’écrivain « incarne tout ce que nous chérissons : l’appel à la raison, à la liberté et à l’humanisme contre la censure, la corruption et l’islamisme ».
« L’agitation comique d’une partie de la classe politique et intellectuelle française sur le cas de Boualem Sansal est une preuve supplémentaire de l’existence d’un courant “haineux” contre l’Algérie. Un lobby qui ne rate pas une occasion pour remettre en cause la souveraineté algérienne », écrit l’agence de presse algérienne dans son article, selon Le Figaro. « L’agence en profite pour tacler sévèrement la “France Macronito-sioniste”, qui “s’offusque de l’arrestation de Sansal (à l’aéroport d’Alger)” et qui “n’a toujours pas déclaré au monde si elle a la souveraineté nécessaire de pouvoir arrêter Benyamin Netanyahou, si jamais il se pointerait à l’aéroport Charles De Gaulle !” », rapporte également le quotidien national.
Du côté des auteurs, les marques de soutien affluent aussi, du Franco-Marocain Tahar Ben Jelloun, appelant à « libérer » Boualem Sansal, au Français Nicolas Mathieu.
« Boualem Sansal et moi sommes aux antipodes l’un de l’autre », a écrit son compatriote Yasmina Khadra, également « critique envers le système algérien », dans un communiqué à l’AFP. « Cependant, son arrestation m’insupporte. La place d’un intellectuel est autour d’une table ronde, autour d’un débat d’idées, et non en prison. »
Dans Le Point, le Franco-Algérien Kamel Daoud a dénoncé le fait que son « frère » Boualem Sansal soit « derrière les barreaux, comme l’Algérie toute entière ».
L’auteur est lauréat cette année du Goncourt (le plus prestigieux prix littéraire français) pour Houris, roman évoquant la guerre civile. Sa maison d’édition française Gallimard a été interdite de venir au Salon international du livre d’Alger cet automne, et Kamel Daoud est également visé par deux plaintes en Algérie. Elles l’accusent, avec son épouse psychiatre, d’avoir dévoilé et utilisé l’histoire d’une patiente pour l’écriture de Houris.
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