Une loi d’orientation agricole vient enfin d’être votée, après un accord trouvé le 18 février entre les deux chambres du Parlement. Le texte est présenté comme une réponse à la colère des agriculteurs en décembre 2023.
Maintes fois repoussée, une commission mixte paritaire (CMP) réunissant sept députés et sept sénateurs est parvenue à un compromis après que le texte a été adopté au Sénat à 218 voix contre 107, près de neuf mois après son adoption à l’Assemblée nationale juste avant la dissolution.
Juste avant l’ouverture du Salon de l’agriculture le 22 février, le texte a pour objectif d’ériger l’agriculture au rang « d’intérêt général majeur » – une mesure symbolique, et d’introduire la notion de « souveraineté alimentaire » permettant une protection supplémentaire.
Une adoption souhaitée avant le Salon de l’agriculture 2025
Présenté il y a près d’un an sous le gouvernement Attal en réaction à la crise agricole qui avait enflammé les ronds-points, les autoroutes et l’édition 2024 du Salon, le projet de loi avait été reporté par la dissolution puis la censure du gouvernement Barnier.
Son adoption ne fait à présent aucun doute. La CMP l’a approuvé à dix voix contre quatre, les élus du Rassemblement national ayant joint leurs votes à ceux des membres de la coalition gouvernementale.
« Je ne voudrais pas commencer ce Salon de l’agriculture en disant aux agriculteurs que les parlementaires ne les ont pas entendus », a déclaré la ministre de l’Agriculture Annie Genevard, devant le Sénat.
Le projet « porte un certain nombre de sujets fermement attendus par les agriculteurs. Il ne répond pas à tous les besoins des agriculteurs, mais c’est un texte utile et nécessaire qui conserve l’essentiel des apports du Sénat », s’est félicitée la présidente LR de la commission des Affaires économiques du Sénat, Dominique Estrosi-Sassone.
La gauche parle de régression et de durcissement du texte
La gauche dans son ensemble et les associations de défense de l’environnement se sont farouchement opposées au texte, s’inquiétant de « reculs environnementaux sans précédent ».
« C’est le projet de loi du Sénat, le projet de loi Duplomb », avec « des régressions majeures à laquelle même la ministre s’était opposée », a fustigé la présidente LFI de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, Aurélie Trouvé, en référence au sénateur LR Laurent Duplomb, principal artisan d’un net durcissement du texte à la chambre haute. « En six mois, il y a un très grave recul de la macronie », qui a voté des mesures qu’elle avait rejetées, a-t-elle aussi déploré. « Le Sénat a transformé le projet de loi en machine de guerre contre l’agriculture familiale et contre l’environnement », s’est indignée Aurélie Trouvé.
L’accélération de l’agenda parlementaire pour faire aboutir ce texte avant le Salon de l’agriculture ulcère la gauche. Le président des députés communistes, André Chassaigne, avait fait part le 18 février de sa « colère noire » face au « vote d’une loi à marche forcée ». Le socialiste Dominique Potier a dénoncé, lui, un texte « caricatural » et « déraisonnable ».
Lors d’une visioconférence le 18 février, plusieurs ONG de défense de l’environnement ont aussi craint « la pire régression du droit de l’environnement depuis au moins une décennie », selon Laure Piolle, animatrice du réseau Agriculture et alimentation au sein de France Nature Environnement.
Que contient le texte ?
La loi d’orientation va « permettre d’ouvrir un nouveau regard, une nouvelle perspective, un nouveau cap pour l’agriculture française », a au contraire estimé Laurent Duplomb, appelant à « stopper ce délire décroissant, cette folie normative, ces oppositions stériles » qui mettent les agriculteurs « sur le chemin du déclin ».
Le projet de loi d’orientation agricole est bâti autour de la notion de « souveraineté alimentaire », avec l’objectif affiché d’accélérer l’arrivée de nouvelles générations d’agriculteurs délestés de certaines contraintes environnementales.
Le texte balaye des sujets très divers, de la transmission d’exploitations pour faire face au vieillissement du métier aux objectifs de l’enseignement agricole, en passant par le statut des haies ou la répression des atteintes environnementales.
L’agriculture érigée au rang « d’intérêt général majeur »
Le texte entend surtout ériger l’agriculture au rang « d’intérêt général majeur ». L’objectif est de donner des nouveaux outils à la réflexion du juge administratif et faciliter le parcours des projets de structures de retenues d’eau ou de bâtiments d’élevage hors-sol lorsqu’ils sont mis en balance avec un objectif de préservation de l’environnement.
Des élus et des juristes doutent de la portée du dispositif, la protection de l’environnement ayant une valeur constitutionnelle, alors que cet intérêt général majeur est inscrit dans une loi simple.
Le texte porte aussi l’agriculture dans le champ de protection des « intérêts fondamentaux de la Nation » définis dans le code pénal et dont les atteintes sont durement sanctionnées. Le Sénat est allé plus loin dans ce rééquilibrage entre projets agricoles et environnement, en instaurant un principe décrié de « non-régression de la souveraineté alimentaire », sorte de miroir à la non-régression environnementale, qui prévoit que la « protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante ».
À l’initiative de la droite, le Sénat a aussi écarté la plupart des références à la « transition écologique et environnementale » dans les objectifs des politiques agricoles, lui préférant la notion plus neutre « d’adaptation ». Selon plusieurs sources parlementaires, le compromis parlementaire réintègre la notion de « transition climatique et environnementale » dans les grands enjeux des politiques agricoles, mais le terme « d’agroécologie » reste écarté de la loi.
Le soutien aux jeunes agriculteurs
Le projet de loi entend donner un cadre d’action au monde agricole pour relever le défi majeur d’attirer des bras face aux départs massifs à la retraite attendus d’ici dix ans.
À ce stade, il fixe comme objectif « 400.000 exploitations agricoles » d’ici 2035 et 500.000 paysans travaillant sur ces exploitations pour 2035. Un nouveau diplôme de niveau bac+3 pourrait également être créé – baptisé « Bachelor agro » – si la proposition du gouvernement, retenue par le Sénat, subsiste.
Le texte prévoit un « diagnostic modulaire » censé aider les jeunes agriculteurs à reprendre des fermes en leur fournissant des informations sur « la viabilité économique, environnementale et sociale » des exploitations.
Le Sénat a par ailleurs incité le gouvernement à créer en 2026 une « aide au passage de relais » pour les agriculteurs en fin de carrière qui mettent leurs terres à disposition de repreneurs.
La diminution des contraintes administratives
Le Parlement a nettement allégé les contraintes des agriculteurs en matière d’atteintes environnementales – largement dépénalisées -, d’installations agricoles ou de destruction de haies, privilégiant notamment une amende forfaitaire de 450 euros pour les atteintes « non-intentionnelles » aux espèces ou aux habitats naturels.
Le texte accorde une présomption d’urgence en cas de contentieux autour de la construction d’une réserve d’eau pour l’irrigation, dans le but de réduire les délais de procédures.
Cette présomption d’urgence concernera aussi des projets de bâtiments d’élevage, dont les permis de construire sont régulièrement l’objet de recours d’associations de défense de la nature.
Par ailleurs, les parlementaires ont fait un pas vers un « droit à l’erreur » des agriculteurs, en approuvant le fait que « la bonne foi » d’un exploitant « est présumée » lors d’un contrôle administratif.
Le texte met en place un guichet unique départemental (France services agriculture, rebaptisé France installations-transmissions au Sénat) pour accompagner les agriculteurs voulant s’installer ou céder leur exploitation.
Quelques frilosités autour de son adoption avant le Salon
Il n’y aura « pas d’accord à tout prix », a indiqué le chef des députés MoDem Marc Fesneau, qui avait porté le texte devant l’Assemblée en tant que ministre de l’Agriculture, mais s’inquiète de certains durcissements opérés par la droite sénatoriale.
L’absence d’un accord repousserait néanmoins de plusieurs semaines supplémentaires la fin du parcours législatif de ce texte.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.