Lolita C., une Française rentrée de Syrie en août 2021 et déjà poursuivie pour des infractions terroristes, est désormais également mise en examen pour génocide contre la minorité yézidie. C’est la troisième « revenante » en France à être poursuivie pour ces chefs d’accusations.
À l’issue d’un interrogatoire mardi, Lolita C. a été mise en examen pour génocide « à l’encontre de victimes yézidies » et complicité de génocide, ainsi que pour crimes contre l’humanité « à l’encontre de victimes civiles, notamment yézidies » et complicité, a indiqué vendredi le parquet national antiterroriste (Pnat), sollicité par l’AFP.
Selon deux sources proches du dossier, cette mère de famille, aujourd’hui âgée de 35 ans, est notamment soupçonnée d’avoir réduit en esclavage une enfant yézidie en 2017.
Lolita C. « conteste vivement » les accusations portées contre elle, selon ces sources proches du dossier. Mardi, la défense a plaidé « la contrainte », a précisé l’une d’elles. Son avocat Louis Heloun n’a pas souhaité commenter.
Elle l’avait traitée « comme sa propre fille »
Lors de précédents interrogatoires dont l’AFP a eu connaissance, elle avait expliqué qu’une « petite fille » de huit ans avait été amenée à son domicile par l’un des chefs de son époux, membre de l’EI, et qu’elle l’avait traitée « comme sa propre fille ». Pendant un mois, « le temps de son séjour chez moi, je ne me suis jamais servi d’elle, je ne l’ai jamais traitée comme une esclave mais comme une enfant », avait-elle assuré aux juges en mars 2022.
De nombreuses femmes yézidies, une minorité religieuse kurdophone non musulmane, ont été exploitées et ont subi des violences physiques et sexuelles, en étant notamment offertes comme « butin de guerre » aux soldats de l’EI. Pour les djihadistes, les Yézidis pratiquent une religion monothéiste hérétique. « Les Yézidis ont été la cible d’un projet de destruction massive mené par Daech entre 2014 et 2017 », selon le Sénat. En janvier 2020, le bilan est effrayant, rapporte le communiqué du Sénat : « 5 000 à 10 000 Yézidis tués, des hommes convertis ou meurtris, des jeunes garçons envoyés dans des camps d’endoctrinement et de recrutement, et près de 6 500 femmes et enfants enlevés ». En 2016, une commission d’enquête indépendante des Nations unies a établi que les faits commis à l’encontre des Yézidis étaient constitutifs de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et d’abus des droits de l’homme, invitant à la reconnaissance de ces derniers par la communauté internationale.
La justice française cherche à « documenter les crimes » de l’organisation terroriste État islamique à l’encontre des minorités et a ouvert fin 2016 une enquête préliminaire dite « structurelle », avait expliqué fin avril le Pnat à l’AFP.
Selon le Pnat, Lolita C. est la « troisième femme », parmi les « revenantes » poursuivies en France, à être également mise en examen pour ces chefs relevant du pôle Crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris et passibles des assises. Ainsi, avant Lolita C., une première mise en examen a été prononcée en 2022, précise une source proche du dossier.
Le Pnat a aussi requis début mai un procès pour une deuxième femme, Sonia M. Dans son cas, la victime présumée, une Yézidie âgée de 16 ans au moment des faits, a été retrouvée par les enquêteurs et a dénoncé un quotidien de maltraitance. En revanche, dans le dossier de Lolita C., la fillette n’a pas encore été retrouvée, selon deux sources proches du dossier.
Un éventuel embrigadement de son fils aîné
Lolita C. originaire de Rennes, s’est convertie à l’islam en 2009 pour s’installer en Syrie avec ses deux garçons durant l’été 2014. Elle épouse Lakhdar Sebouai, membre de la filière strasbourgeoise ayant rejoint les rangs de l’organisation terroriste État islamique (EI), et ses quatre enfants, dont deux nés en France d’une première union. Lakhdar Sebouai, surnommé Abou Ali Al Faransi, est proche de plusieurs membres du commando des attentats du 13 Novembre 2015. Il est également soupçonné d’avoir commandité un attentat déjoué en 2016 en région parisienne.
Aux juges, Lolita C. a expliqué sa velléité de partir pour les terres fantasmées de l’EI par son isolement : jeune maman, elle se sentait « très seule », minée par des « déceptions amoureuses », et voulait « se tourner vers Dieu et la prière ». « Je savais où j’allais, bien qu’il y ait certaines choses auxquelles je ne m’attendais pas du tout : les exécutions, les opérations martyrs », a-t-elle dit aux magistrats instructeurs en septembre 2022.
Eux la soupçonnent d’avoir co-dirigé une « maison des femmes » ou encore d’avoir appris le maniement des armes, comme la kalachnikov, ce qu’elle tempère disant avoir « essayé une fois de tirer ». Elle a aussi affirmé ne « jamais avoir porté » de ceinture explosive, même pas celle qui se trouvait « à son domicile ».
Au cours des trois dernières années, les juges l’ont aussi questionnée plusieurs fois sur un éventuel embrigadement de son fils aîné quand il avait cinq ans au sein des « Lionceaux du califat ». Elle a démenti catégoriquement, disant l’avoir inscrit à « une école normale » où il « apprenait l’arabe, les mathématiques, le Coran » et nullement la « formation aux armes ».
Après la chute du groupe État islamique en 2019, Lolita C. a été emprisonnée dans un camp kurde en Syrie, selon Le Parisien. Elle a réussi à s’échapper au bout de quelques mois, profitant d’une offensive militaire turque dans cette région. Elle a vécu à la frontière turque puis s’est rendue « huit mois plus tard ». Après « un an de captivité », elle a été expulsée de Turquie vers la France, précise le quotidien. La mère de famille a été mise en examen à Paris en août 2021 pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et pour « soustraction d’un parent à ses obligations légales » notamment. Elle est en détention provisoire depuis lors.
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