ENTRETIEN – Mansour Kamardine est le responsable LR et ancien député (2002-2007 et 2017-2024) de Mayotte. Il a récemment publié Lois Mayotte : De la suppression du droit du sol ? (L’Harmattan, 2024). Il revient pour Epoch Times sur la crise migratoire que traverse l’île depuis de nombreuses années.
Epoch Times : La semaine dernière, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a ordonné au préfet de Mayotte d’organiser des « vols groupés pour pouvoir conduire les étrangers en situation irrégulière vers la République démocratique du Congo ». Cette mesure, constitue-t-elle une réponse satisfaisante à la crise migratoire que traverse Mayotte ?
Mansour Kamardine : Mayotte est submergée par les crises migratoires. Pour y répondre, il n’y a pas une, mais des solutions. Et celle annoncée par Bruno Retailleau en fait partie.
Il faut effectivement faire preuve d’une plus grande fermeté, notamment pour empêcher l’arrivée de ce qu’on appelle les « kwassa-kwassa » [nom comorien d’un type de canots de pêche rapides utilisés pour le transport de migrants, ndlr], mais aussi être ferme à l’encontre de ceux qui arrivent sur notre île et qui n’auraient pas de raison particulière d’y rester au regard de la législation française.
Il faut donc les reconduire dans leur pays d’origine. Le message doit être clair pour tout le monde, y compris pour ceux qui comptent s’installer illégalement sur notre territoire.
En réaction au propos du locataire de la place Beauvau sur les vols groupés, la députée LIOT de Mayotte Estelle Youssouffa a déploré de « l’esbroufe » ajoutant que « le plus gros problème, c’est l’immigration comorienne ». Qu’en pensez-vous ?
Pour ma part, je considère que l’immigration à Mayotte doit être arrêtée : qu’elle vienne des Comores ou d’Afrique continentale.
À l’heure actuelle, il y a certainement plus de Comoriens qui cherchent à se rendre à Mayotte que d’Africains de la région des Grands Lacs, mais si nous ne parvenons pas à fermer la route continentale, les continentaux vont s’ajouter aux centaines de milliers de clandestins comoriens qui veulent immigrer sur notre île – et nous allons dépasser le million d’entrées illégales !
C’est la raison pour laquelle, pour mieux contrôler ces flux, je prône une évolution de la législation applicable à Mayotte, et une réorganisation des services de protection de nos frontières afin de les prépositionner sur les véritables théâtres de l’immigration. Je pense notamment aux parties nord et sud de l’île. Renforcer la flotte de la police et de la gendarmerie avec de nouveaux intercepteurs me paraît également indispensable pour surveiller nos côtes. Nous n’en avons que deux alors que toutes les nuits, il y a environ une dizaine de kwassa-kwassa qui arrivent à Mayotte ! Entre huit et dix intercepteurs prépositionnés en mer sont nécessaires.
Par ailleurs, en parallèle du renforcement de la flotte, de nouveaux radars détectant les embarcations clandestines doivent être installés. L’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin nous avait également promis en début d’année la mise en place d’un « rideau de fer » sous l’eau pour endiguer l’immigration illégale. Je regrette qu’il ne soit toujours pas là presque un an après la promesse du ministre. Il doit absolument être installé dans les meilleurs délais.
J’appelle également à une meilleure organisation administrative de la lutte contre l’immigration clandestine avec l’instauration d’un Préfet délégué à l’immigration et à la sécurité sous l’autorité du Préfet de Mayotte. Ce dernier serait responsable de l’ensemble de l’arsenal : aussi bien de la police, de la gendarmerie que des services de la préfecture qui gèrent l’instruction des dossiers. Il s’agit de centraliser autour de cette personne la lutte contre l’immigration clandestine, et par conséquent, la rendre plus efficiente.
Par ailleurs, je pense que l’État français doit sortir de sa schizophrénie en affirmant vouloir réduire les arrivées de migrants, tout en les favorisant avec des politiques publiques mortifères pour l’île : la construction de logements sociaux, l’accès à l’école et aux soins pour tous, etc.
Il faut repenser la politique migratoire dans son ensemble, en prenant en compte les attentes des Mahorais, notamment en matière de restriction du regroupement familial ou d’accès à la nationalité. Je pense que le gouvernement gagnerait l’estime des Mahorais s’il acceptait de s’asseoir autour d’une table avec eux et de discuter de la mise en œuvre d’un plan global rapidement.
L’État dispose d’atouts pour mobiliser les autorités comoriennes et les encourager à participer à la lutte contre l’immigration illégale, ou le trafic d’êtres humains pour reprendre leur expression. Il en va aussi de l’intérêt de nos deux pays de protéger les populations en empêchant leur départ et de ne pas les laisser périr en mer.
Vous avez été député de Mayotte à deux reprises. Quelles réponses aviez-vous suggérées en tant que parlementaire pour tenter d’endiguer l’immigration clandestine ?
J’ai fait un grand nombre de propositions à l’époque, mais à chaque fois, elles ont été retoquées au nom de grands principes. Par exemple, au moment des débats sur la loi « asile et immigration » promulguée le 26 janvier 2024, j’avais déposé une proposition visant à « empêcher l’acquisition automatique de la nationalité française à 18 ans par le droit du sol pour tout mineur ayant fait l’objet d’une condamnation ».
En 2018, j’avais également déposé une proposition débattue un an plus tard qui abordait les problématiques migratoires, mais aussi de développement durable.
D’ailleurs, sur tous ces sujets, le gouvernement de l’époque avait menti puisqu’il avait indiqué que le contrat de convergence et de transformation (CTT) allait répondre à ces enjeux. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.
Finalement, les gouvernements successifs manquent de volonté claire et de fermeté pour endiguer le phénomène de l’immigration illégale à Mayotte. Ils font croire aux Mahorais qu’ils prennent le sujet au sérieux, alors qu’en réalité, ils ferment les yeux sur cette problématique.
Pour vous, les différents gouvernements de gauche, de droite ou du centre, n’ont donc pas apporté de réponses satisfaisantes aux différentes crises migratoires à Mayotte ?
Je tiens quand même à nuancer. Lorsque Nicolas Sarkozy était aux affaires, le nombre d’entrées illégales était en chute libre à Mayotte. Ce qui prouve que l’État a les capacités pour agir quand il veut s’en donner les moyens. Mais malheureusement, l’immigration clandestine est repartie à la hausse sous François Hollande, et ensuite sous Emmanuel Macron.
Cependant, j’ai eu l’impression que le président Macron avait enfin compris l’ampleur de la situation quand son ancien ministre, Gérald Darmanin a annoncé vouloir mettre un terme au droit du sol à Mayotte. Une bonne nouvelle quand on sait qu’environ 20.000 Comoriens obtiennent à Mayotte la nationalité française tous les cinq ans ! D’ailleurs, ce phénomène s’amplifie avec l’augmentation des naissances et le trafic de faux papiers…
C’est la raison pour laquelle je parlais tout à l’heure d’un plan global de lutte contre l’immigration illégale. Et encore une fois, les mesures que je propose ne sont pas nouvelles. Elles sont déjà sur la table du gouvernement depuis plusieurs mois. Nous avons par exemple proposé, parmi d’autres mesures, la fin du titre de séjour territorialisé.
Mais j’estime que ceux qui l’ont instauré envoient un message terrible aux Mahorais en leur disant que finalement puisqu’ils sont noirs et musulmans comme les Comoriens, ils peuvent vivre ensemble et qu’il n’est pas nécessaire que les Comoriens rejoignent la métropole. Voilà la réalité raciste que subissent nos territoires d’outre-mer. Ces mêmes personnes qui nous parlent d’atteinte à l’unité de la République s’opposent à la suppression du titre de séjour territorialisé.
Étrangement, elles ne disent rien contre ce même dispositif qui empêche les migrants illégaux de quitter Mayotte pour se rendre en Métropole !
Je rappelle que la crise migratoire que nous vivons ici a engendré un véritable chaos sécuritaire. La nation s’est, à juste titre, émue de la mort de la jeune Philippine le 20 septembre dernier dans le bois de Boulogne. Mais à Mayotte, nous vivons cette situation quasiment tous les jours.
Nous déplorons de nombreuses victimes, notamment chez nos enfants. Ces quinze derniers jours, deux jeunes ont perdu la vie dont un lycéen. Nous n’avons pas entendu l’émotion du gouvernement. Ici, ce sont les gendarmes qui assurent la sécurité de nos établissements scolaires. Vous ne verrez jamais cela en métropole.
Voilà des réalités qui gênent et qu’il faut regarder en face.
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