ENTRETIEN – Selon des documents budgétaires en provenance de Bercy, le déficit pourrait atteindre 5,6 % du PIB en 2024 contre les 5,1 % visés par le gouvernement sortant. L’économiste Marc Touati, président du cabinet ACDEFI et auteur de plusieurs best-sellers économiques, analyse pour Epoch Times la situation.
Epoch Times : Marc Touati, quelle est votre analyse sur l’augmentation du déficit public ?
Marc Touati : Cette augmentation de la prévision est tout à fait logique. Je l’annonce depuis 8 mois. Il faut simplement faire preuve d’un peu de bon sens et regarder les chiffres. Quand on a moins de recettes à cause d’une croissance molle et des dépenses qui augmentent, le déficit public se creuse. C’est mécanique. Ce n’est donc pas une surprise.
Jusqu’à présent, monsieur Le Maire et le gouvernement de manière générale ont voulu mettre la « poussière sous le tapis » et ont continué à nier la réalité. Et maintenant, la réalité saute aux yeux ! Mais ce qui est beaucoup plus inquiétant, ce sont les prévisions à venir comme on peut le lire dans la note de la direction du Trésor. Les chiffres sont incroyables.
Pour 2025, le déficit annoncé par le gouvernement était de l’ordre de 4,1 % et finalement, il serait à 6,2 %. Pour 2026, il serait à 6,7 % contre les 3,6 % prévus. Tout ceci montre bien que le déficit est devenu incontrôlable. La croissance est faible, contrairement à ce que disait la Banque de France. Mais surtout, les taux d’intérêt de la dette publique française ont augmenté. Ils sont à 3 % pour le taux d’intérêt à 10 ans, alors que le gouvernement pensait qu’ils allaient se stabiliser voire baisser.
Par conséquent, la charge d’intérêts de la dette va encore augmenter. L’année dernière, celle-ci était de 54 milliards d’euros ; cette année 60, milliards, et elle devrait atteindre les 75 milliards d’euros dès l’année prochaine. C’est très dangereux.
Tous ceux qui disaient que la dette ne coûtait rien sont des menteurs puisqu’elle coûte énormément, non seulement pour les générations à venir, mais déjà pour nous-même en termes d’augmentation de la charge d’intérêts de la dette et de faiblesse de l’activité liée à l’augmentation des taux d’intérêt. Vous rendez-vous compte qu’en cinq ans, la charge d’intérêts de la dette va représenter plus de 300 milliards d’euros ? C’est énorme !
Cela montre qu’on a malheureusement un vrai problème structurel. Et encore une fois, ça devient incontrôlable. Et si ça devient incontrôlable, alors les investisseurs vont s’inquiéter et donc, les taux d’intérêt vont encore augmenter. C’est un cercle vicieux parce que l’augmentation des taux d’intérêt va casser la croissance économique. Il y aura encore moins de recettes fiscales, plus de déficit, de dette, etc.
Le ministre de l’Économie et des finances sortant Bruno le Maire a affirmé ne pas être responsable de la situation, selon Le Monde. Qu’en pensez-vous ?
On ne peut pas dire ça. Mettre la faute sur le dos des autres, la stratégie du bouc émissaire, ce n’est pas digne de Bruno Le Maire. Je suis très déçu. Le ministre sortant de l’Économie et des finances et le gouvernement sont dans le déni alors que c’était largement prévisible.
C’est un problème d’entendre celui qui a la charge de l’Économie du pays dire qu’il n’est pas responsable du déficit. Même si effectivement, les collectivités territoriales ont certainement dérapé, le gouvernement est censé être là pour limiter certains dérapages y compris au niveau des collectivités locales. Ce qui nous amène au problème numéro un : le millefeuille administratif. Autrement dit, il y a beaucoup de strates de dépenses, beaucoup de doublons de la dépense publique, et c’est extrêmement dangereux.
Quand on parle de la dépense publique, on pense directement aux dépenses sociales, mais quand on regarde en détail les chiffres officiels de l’INSEE de 2023, sur les 1608 milliards de dépenses publiques, 33 % sont effectivement consacrés aux prestations sociales, mais 32 % correspondent aux dépenses de fonctionnement. C’est là-dessus qu’il faut agir.
Sans majorité claire à l’Assemblée, le prochain gouvernement sera-t-il en mesure de mettre en œuvre une politique de réduction du déficit ?
C’est ingérable parce que soit on se retrouvait avec un gouvernement du NFP et le jour même, les taux d’intérêt de la dette publique auraient explosé, soit avec un gouvernement d’Union nationale, mais par définition dans l’Union nationale, vous avez tout et son contraire. Ceux qui veulent, par exemple, conserver la réforme des retraites et ceux prônant sa suppression. Même chose pour le déficit ou la dette. Et si un gouvernement de centre droit est nommé, les syndicats vont bloquer le pays.
Se pose également la question du budget 2025. Je rappelle qu’un budget doit être présenté le premier mardi du mois d’octobre et qu’il n’est pas du tout prêt. Après, il faudra le voter. Quelle sera la majorité pour le voter ? C’est toute la question ! Le 20 septembre, la France doit présenter un plan de réduction du déficit public, mais avec un gouvernement sans majorité, c’est difficile. Il y aura des motions de censure en permanence.
Cette instabilité politique est très dangereuse et je ne vois pas comment on va pouvoir diriger la France jusqu’en 2027. Déjà quand il y avait un gouvernement avec une majorité relative, les comptes publics dérapaient et le déficit n’était pas réduit, alors imaginez sans majorité ! Nous sommes encore à la fin de l’été dans la période des Jeux olympiques et paralympiques, et je crois qu’on ne réalise pas la gravité de la situation. La France est non seulement devenue ingouvernable, mais en plus, son déficit est devenu incontrôlable.
Le déficit ne risque-t-il pas de nous décrédibiliser vis-à-vis de nos voisins européens ?
Oui, mais c’est aussi dangereux vis-à-vis des Français. N’oublions pas que le risque est qu’on se retrouve à la fin avec une augmentation des taxes et impôts en tous genres. Mais effectivement, il y a un danger au niveau de la zone euro. Pour l’instant, nos partenaires européens ne disent pas grand-chose parce qu’ils attendent de voir.
Rappelons que tous nos voisins ont réduit leur déficit l’année dernière. La France est le seul pays de la zone euro où le déficit se creuse en 2023 et 2024. Nous jouons à un jeu très dangereux. Il y a un vrai risque d’implosion de la zone euro. Les Allemands, les Italiens et les Portugais qui ont fourni des efforts peuvent très bien taper du poing sur la table. Et nous ne sommes plus à l’époque de la crise sanitaire. La Banque centrale européenne ne va pas venir à la rescousse de la France. Il n’y aura pas de planche à billets.
Combien faudrait-il faire d’économies pour réduire le déficit public ? Bruno le Maire préconise 16 milliards d’économies.
Les 16 milliards préconisés sont en quelque sorte du colmatage de brèches parce que si vous faites ces économies, mais qu’en parallèle, vous augmentez les dépenses et si, en plus, il y a moins de croissance, il y aura moins de recettes fiscales. De plus les taux d’intérêt augmentent, in fine, vous perdez vos 16 milliards.
Je crois qu’il faut s’attaquer à l’élément principal aujourd’hui qui est la dépense publique. L’année dernière, les dépenses de fonctionnement ont, par exemple, augmenté de 25 milliards d’euros. Il faut lire le rapport de la Cour des comptes publié chaque année pour constater l’ampleur des gaspillages de la dépense publique. On parle de milliards d’euros gaspillés chaque année et qui ne vont ni dans l’investissement ni la protection des Français au sens large.
Le pire étant qu’en dépit de l’augmentation de la dépense publique, les services publics se détériorent. Il n’y a donc pas de problème de moyens, mais d’allocation de ces moyens. Les dépenses publiques doivent être rationalisées.
Je pense qu’on peut facilement les baisser de 30 milliards d’euros, mais il ne faut surtout pas augmenter les impôts. Autrement, le pays s’effondre. Nous sommes déjà le pays où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés du monde. Et si vous créez des impôts sur l’épargne, vous provoquerez une fuite de l’épargne.
Par ailleurs, ceux qui disent qu’il suffit de taxer les ultra-riches ne comprennent pas que ces derniers n’ont quasiment plus d’épargne en France. Quant aux entreprises du CAC 40, 80 % de leurs profits sont réalisés à l’étranger, il sera donc difficile de les taxer.
Dans ce cadre, et malheureusement comme d’habitude depuis 30 ans, c’est la classe moyenne française qui va payer. Or, cette dernière étant déjà très appauvrie, la France risque alors de tomber dans une crise sociale et sociétale sans précédent.
Vous pouvez également retrouver les chroniques vidéos de Marc Touati sur sa chaîne YouTube, qui compte plus de 185.000 abonnés.
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