L’urbanisation modifie, restreint et isole les habitats naturels favorables pour de nombreux organismes vivants. Malgré leur capacité à voler et donc à se déplacer facilement, ces contraintes s’appliquent aussi aux oiseaux, qui rencontrent en ville de nombreux bouleversements environnementaux d’origines anthropiques. Parmi les modifications observées, une augmentation en ville de la température moyenne et de la pollution atmosphérique peuvent affecter la physiologie des individus. De plus, les activités humaines, comme les passages des piétons et des voitures dans un vacarme permanent et une luminosité constante la nuit, sont de nature à affecter le comportement et le niveau de stress des oiseaux.
Paradoxalement, les oiseaux trouvent en ville de nombreuses opportunités pour se nourrir et nicher. Certaines espèces d’oiseaux peuvent même tirer profit des conditions de vie urbaine, mais doivent pour se faire s’acclimater durant de leur vie et possiblement s’adapter génétiquement au fil des générations au stress de la vie en ville. Plusieurs équipes de recherche françaises travaillent sur les réponses biologiques et génétiques des oiseaux en ville, avec souvent pour modèle biologique la mésange charbonnière.
La mésange charbonnière est une espèce de passereau très largement répandue en Europe qui niche dans des cavités déjà existantes. On peut l’étudier facilement : en effet, comme sa cousine la mésange bleue, elle construit volontiers son nid dans un nichoir mis à sa disposition. Cela facilite la capture et le baguage individuel des parents et des poussins, et en fait un modèle de choix pour les scientifiques ornithologues.
La mésange charbonnière est notoirement très présente dans le milieu urbain, mais les mésanges des villes présentent de nombreuses différences avec leurs congénères vivant dans des habitats naturels tels que des forêts de chênes. Une étude à long terme initiée en 2011 sur les mésanges charbonnières de Montpellier et d’une forêt proche a permis d’analyser les différences morphologiques, de reproduction, et de comportement des oiseaux urbains et forestiers. En particulier, cette étude a révélé que les mésanges urbaines sont plus petites et plus légères, qu’elles se reproduisent plus tôt au printemps, pondent des nichées contenant moins d’œufs, ont un rythme cardiaque accéléré et des scores d’exploration d’un environnement nouveau plus rapide.
Diversité génétique
Suite à la découverte de ces deux écotypes urbains et ruraux, notre équipe de recherche s’intéresse à l’origine et à la potentielle maintenance de cette variation entre les groupes d’oiseaux. Deux questions fondamentales se posent. En premier lieu, est-ce que les populations de mésanges charbonnières en ville et en forêt diffèrent génétiquement du fait de leurs isolements géographiques ? Ou bien cela résulte-t-il de choix délibérés des individus de s’installer pour se reproduire dans un milieu similaire à leur milieu de naissance, ce qui pourrait à terme favoriser la divergence génétique des deux populations d’oiseaux ? En second lieu, des différences génétiques particulièrement grandes à certains gènes pourraient-elles résulter de sélection divergente entre milieu urbain et naturel, et être impliquées dans une adaptation au milieu urbain ?
Tout récemment, nous avons étudié ces potentielles modifications génétiques en réalisant du séquençage à haut débit de l’ADN des mésanges. Les variations relevées sur 50 000 marqueurs génétiques chez 140 mésanges nichant dans des zones présentant différents niveaux d’urbanisation à Montpellier ont confirmé les soupçons évoqués. Cette recherche a été publiée dans le journal Evolutionary Applications.
Les mésanges sont génétiquement différentes selon le taux d’urbanisation du site et leur diversité génétique diminue avec l’urbanisation. De plus, plusieurs centaines de marqueurs localisés dans plusieurs gènes impliqués dans diverses fonctions biologiques, varient avec le niveau d’urbanisation. Ces résultats suggèrent que l’urbanisation du milieu a d’une part des effets sur la démographie des populations de mésange, et d’autre part, agit comme une pression de sélection susceptible de faire évoluer de nombreuses fonctions biologiques.
Le fait que les différences génétiques ne semblent pas s’accumuler fortement autour d’un ou de quelques gènes mais plutôt être disséminées dans la totalité du génome des individus au travers de variations de centaines de gènes suggère une réponse complexe à une sélection multifactorielle en milieu urbain, affectant de nombreux caractères phénotypiques complexes encodés par de nombreux gènes. Par exemple, certains des gènes identifiés concernaient le neurodéveloppement.
Ce résultat fait écho à plusieurs travaux parallèles montrant des variations de gènes impliqués dans la régulation du comportement chez les oiseaux colonisant les villes. Ce résultat est également à mettre en lien avec les modifications comportementales observées chez les mésanges à Montpellier. La complexité de cette réponse des génomes au milieu urbain n’est pas sans rappeler la complexité des variations génétiques qui sous-tendent de nombreux traits phénotypiques quantitatifs ou certaines maladies chez l’homme. Par exemple, la taille humaine est un trait dont la variation est encodée par de très nombreux variants génétiques. Le très grand nombre de variations génétiques contrôlant la plupart des caractères est actuellement au cœur de casse-têtes méthodologiques dans le domaine de la génomique : comment développer des approches permettant de comprendre et prédire les variations phénotypiques observables dans toute leur complexité ?
Épigénétique
En ce qui concerne les mésanges, après avoir mis en évidence des différences génomiques complexes entre mésanges des villes et des forêts, nous nous intéressons désormais aux effets de l’urbanisation sur les marques épigénétiques des gènes des mésanges. Les marques épigénétiques constituent une couche d’information, transmissible et rapidement réversible en fonction de l’environnement, qui affecte l’expression du code génétique sans en faire partie. Ces marques épigénétiques pourraient être impliquées dans les réponses adaptatives rapides de ces organismes en milieu urbain…Charles Perrier, Chercheur en génomique des populations, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Anne Charmantier, Directrice de Recherche en écologie évolutive, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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