Ne fais pas ton Français !, de David Duquesne : « Il me fallait faire ce livre, peu importe le prix à payer »

Par Etienne Fauchaire
22 novembre 2024 16:18 Mis à jour: 22 novembre 2024 17:54

ENTRETIEN – Dans un récit autobiographique intitulé Ne fais pas ton Français !, publié aux éditions Grasset, David Duquesne, né d’une mère française d’origine algérienne et d’un père ch’ti, relate son parcours en tant que « bâtard de la République », une expression qu’il utilise pour illustrer son double héritage et la complexité de sa position au sein de la société française. Son récit entremêle l’histoire de sa famille et la grande Histoire, sur fond d’immigration algérienne durant la colonisation française, suivie des bouleversements de la décolonisation. Totalement assimilé à la culture française, mais accusé de renier l’héritage islamique de sa mère, qui avait pourtant « cassé les codes et les barrières » pour vivre à la française, il dévoile les pressions subies et les dilemmes identitaires qui ont jalonné tant son parcours que celui de sa famille. Pour certains membres de la communauté d’origine de sa mère, il est perçu comme un « traître » ; aux yeux de certains Français, comme un « métèque » ou un « provocateur islamophobe ». À travers ce témoignage personnel riche et percutant, il révèle les limites d’un modèle républicain devenu incapable de garantir l’assimilation des immigrés et de leurs enfants nés en France.

Epoch Times : Quand avez-vous ressenti le besoin de commencer à écrire et qu’est-ce qui vous a poussé à le faire ?

David Duquesne : J’ai commencé à écrire en 2012 sur les réseaux sociaux, suite aux crimes perpétrés par Mohamed Merah. Avant que l’on connaisse l’identité du tueur, j’étais persuadé que celui-ci ne venait pas de l’extrême droite traditionnelle, mais qu’il s’agissait certainement d’un jeune d’une cité qui s’était radicalisé. Je me suis fait beaucoup d’ennemis, mais de plus en plus de personnes me suivaient sur Facebook ; je prédisais ce qui allait arriver avec le Bataclan et des individus qui se feraient décapiter en France. Le réel m’a donné raison.

Plusieurs maisons d’édition m’ont approché pour me proposer d’écrire un livre afin de « mettre en scène » mon histoire et celle de ma famille maternelle arrivée d’Algérie en 1947. L’objectif était d’utiliser mes expériences de vie et celles de ma famille pour en tirer des observations et analyses éclairantes pour les enjeux de société liés à l’immigration en provenance du Maghreb. J’ai finalement accepté l’offre de Grasset après m’être rétracté sous la pression de mon entourage proche et notamment de mon ex-femme.

On entend souvent dire qu’en France, les premières générations d’immigrés du Maghreb ont réussi à s’assimiler. Pensez-vous que cette affirmation soit juste ? Diriez-vous que vos grands-parents du côté de votre mère étaient assimilés à la société française ?

Cette affirmation est fausse : les immigrés quels qu’ils soient n’arrivent pas assimilés par je ne sais quelle opération du Saint Esprit Républicain en traversant la frontière.

Mes grands-parents étaient en 1947, avant la colonisation, des citoyens français avec le statut de l’indigénat. Ils n’ont jamais fait la démarche en Algérie de la demande de la pleine citoyenneté qui avait l’exigence de l’assimilation. C’était quasiment considéré comme de l’apostasie, une trahison pour les Algériens musulmans.

Une assimilation se joue en général en trois générations. La première arrive avec son bagage culturel, et anthropologique lorsqu’il est question d’une autre civilisation. La seconde doit braver la loyauté familiale pour s’émanciper, et, en général, la troisième est enfin assimilée presque naturellement de par les efforts faits par la seconde et au contact de la population historique et par le rôle clé que joue l’école. Mes grands-parents respectaient les lois françaises, encourageaient leurs enfants à étudier mais étaient structurés par les mœurs de l’Algérie musulmane et principalement du douar d’origine.

Quels sont, selon vous, les facteurs qui ont progressivement complexifié le processus d’assimilation ?

Les traditions musulmanes, dès le départ, sont un obstacle énorme à l’assimilation. Il ne faut pas oublier que ce qui bloquait l’accession à la pleine citoyenneté en Algérie, était les cinq coutumes coraniques : la polygamie, le droit de « djebr » qui permet à un père de marier son enfant jusqu’à un certain âge, le droit de répudier son épouse à la discrétion du mari, le privilège des mâles en matière de succession et la théorie de l’enfant endormi qui permettait de reconnaitre un enfant né plus de 10 mois et jusqu’à 5 ans après le départ ou dissolution d’un mariage.

Ensuite durant la guerre d’Algérie, des agents du FLN surveillaient les Algériens en France et leur interdisaient d’adopter les mœurs des Français, et ils devaient s’acquitter de l’impôt qui finançait l’effort de guerre contre la France. Cela a mis les Algériens dans une peur de la trahison car ceux qui ne jouaient pas le jeu étaient tout simplement exécutés. Il ne fallait pas que l’on vous suspecte, lorsque vous alliez en vacances rendre visite à votre famille au bled, de faire votre « Français ».

Puis avec le regroupement familial qui a remplacé l’immigration de travail par une immigration de peuplement, la pression démographique est devenue une pression communautaire, et de par sa spécificité, périlleuse pour les assimilés.

En effet, l’immigration nord-africaine est une immigration qui véhicule des valeurs claniques qui sont reproduites en France par le jeu d’une politique de logement social calibrée pour recomposer les clans des douars d’origine. Beaucoup de familles pratiquent le mariage arrangé, et parfois avec des cousins, ce qui favorise les logiques claniques qui structurent les pays du Maghreb.

Ensuite, l’arrivée des socialistes et le projet SOS racisme ont tué presque définitivement le processus d’assimilation, en le remplaçant par le mot intégration tout en défendant l’enrichissement culturel venant de l’immigré, et cela, à une période où les Français percevaient les problèmes que suscitaient certaines immigrations.

Parallèlement, la gauche médiatique et celle des professeurs s’est mise à mépriser les classes populaires historiques brocardées en un ramassis de Dupont Lajoie racistes, c’est l’âge d’or du Beauf de Cabu, du père de Gérard dans le sketch de Coluche. On imagine bien que pour un petit Français d’origine maghrébine, c’est compliqué de respecter des gens décrits comme des racistes à l’hygiène douteuse. Ce sont les prémices de la préférence diversitaire.

Le modèle de l’école républicaine en France a longtemps été un pilier essentiel de l’assimilation des immigrés ou des enfants d’immigrés. Fondé sur des principes tels que la laïcité, l’égalité des chances et la transmission d’une culture commune, ce système éducatif visait à intégrer tous les élèves dans un cadre unifié, où les origines ethniques et sociales étaient mises au second plan. Comment expliquer que le modèle de l’école républicaine et ses grands principes couronnés de succès, notamment la transmission des savoirs autrefois au cœur de son rôle d’assimilation, aient été progressivement abandonnés ?

Avant la montée en puissance de l’islam en France et l’abandon de la nation pour pouvoir faire l’Europe, ces transmissions sont les grands axes permettant la citoyenneté future des enfants. De plus, les enfants d’immigrés s’imprègnent naturellement des enfants des classes populaires qu’ils côtoient. Ces enfants des classes populaires sont le produit anthropologique d’une maturation de civilisation au long cours. Les Français faisaient de la laïcité de façon naturelle sans même y penser : c’était dans les mœurs.

Mai 68 a joué un rôle capital dans le délitement de l’école républicaine et dans le lien entre les élites de gauche et les classes populaires historiques. Les ouvriers n’ont pas compris ce que les enfants de bourgeois, qui étaient maoïstes ou qui rêvaient de Cuba ou d’Alger, nouveau mirage socialiste, voulaient pour eux. Les étudiants, sans problèmes matériels, estimaient que les préoccupations des ouvriers étaient bassement consuméristes.

Les élites de gauche qui accèdent au pouvoir en 1981, ont dans leurs bagages beaucoup d’anciens étudiants de mai 68. La gauche va aussi privilégier les déconstructivistes qui ont déjà bien œuvré dans les universités françaises, mais aussi américaines (les French theory) et vont avoir un rôle fondamental dans la déconstruction de la nation, de la famille, mais aussi plus tard dans celle de l’identité et du genre.

Le virus de la repentance va être progressivement instillé dans les programmes scolaires où l’on présentera la France comme une succession de pages sombres et de crimes contre l’humanité. Cela produira deux types de citoyens, celui honteux et recherchant son rachat par la sublimation vengeresse de la diversité supérieure moralement, et celui fier et revanchard dont on raconte la supériorité de sa civilisation et de ses apports sans laquelle la France serait encore au Moyen-Âge.

De plus, on place l’enfant au centre de l’enseignement et on renonce à l’exigence et à la discipline. Tout cela va finalement aller dans le sens d’une Union européenne qui favorise l’absence de lien charnel avec la nation. Ne plus faire nation est un préalable pour faire l’Europe, et quoi de mieux que de prioriser une immigration qui n’a pas ce lien charnel avec les nations européennes, dont la France, et qui peut avoir une haine revancharde de l’ancien colonisateur qu’est la France.

L’Éducation nationale étant un bastion de la gauche, celle-ci va surenchérir dans la mise en avant de la diversité dans un contexte où la montée du FN exige de donner des gages d’antiracisme et d’ouverture à l’autre. Celui qui s’assimile devient orphelin d’une citoyenneté douteuse, d’une culture commune qui n’existerait pas, d’une nation et d’une identité rejetées et suspicieuses.

Pouvez-vous revenir sur les différences d’attitude de certains enseignants envers les enfants qu’ils avaient à instruire, selon qu’ils étaient d’origine immigrée ou française ?

L’antiracisme a eu comme effet délétère de voir certains enseignants faire dans le paternalisme et le misérabilisme en refusant d’avoir les mêmes exigences envers les enfants issus de l’immigration maghrébine et subsaharienne.

La méritocratie républicaine a été supplantée progressivement par la préférence diversitaire qui est le paravent de la discrimination positive. De plus, beaucoup de jeunes Maghrébins, à mon époque, avaient intégré la peur de passer pour racistes par beaucoup de professeurs, et moi-même j’en ai joué afin de les terroriser.

Comment expliquer que certaines personnes, notamment des enseignants qui souvent défendent le droit du sol pour les immigrés, renvoient simultanément certains de leurs élèves à leurs origines familiales, en mettant en avant les liens du sang ? N’est-ce pas paradoxal ? Selon vous, cette attitude relève-t-elle d’un racisme inversé ou d’une forme de discrimination positive ?

Cela fait 40 ans qu’il est martelé que l’immigration est une chance pour la France, que l’islam est une civilisation merveilleuse à laquelle l’Occident devrait tout. C’est un discours venant des élites politiques et médiatiques mais aussi de beaucoup d’intellectuels de gauche. Les programmes scolaires, la formation des professeurs des écoles, les contenus des manuels scolaires, mais aussi les programmes télévisés et radiophonique du service public, ont intégré cette propagande ; y déroger c’est le risque de se faire ostraciser.

Dans un tel contexte idéologique, il ne faut pas s’étonner que certains enseignants aillent dans la surenchère et deviennent les vecteurs de la préférence diversitaire et magnifient l’Autre, comme Emmanuel Macron vantant les joies de la tolérance sous Al Andalus et niant l’existence d’une culture française.

Selon vous, pourquoi le monde intellectuel et les responsables politiques en France n’ont-ils pas pris la mesure des spécificités de l’immigration musulmane, en particulier les différences culturelles profondes liées aux sociétés claniques d’où proviennent certains immigrés, même lorsque des voix, telles que celle de Boualem Sansal, qui connaissaient mieux ces réalités que les membres des sociétés judéo-chrétiennes, les mettaient en garde ? Comment expliquer cet aveuglement, ce mutisme et ces débats confisqués ? Y avait-il des intérêts sous-jacents à ce silence ?

Le monde intellectuel en France, celui qui a le plus de visibilité médiatique et qui est le plus mis en avant dans nos universités et grandes écoles, est celui de gauche. Les intellectuels de droite, comme les artistes de droite, ont peu voix au chapitre.

Une partie de la gauche, la gauche de Mitterrand, la gauche de gouvernement, républicaine et laïque, est héritière de la Troisième République, cette République qui fut championne de la colonisation au nom des idéaux de la Révolution qu’il fallait apporter aux « civilisations inférieures ». Cette expérience historique fut un fiasco, les peuples de ces territoires colonisés, leur ont adressé une fin de non-recevoir.

Mais cette gauche des instituteurs est très donneuse de leçons, et très orgueilleuse. Elle est entrée dans une certaine forme de messianisme universaliste et tente de reconstituer en métropole les colonies afin de réaliser son utopie. Elle refuse de prendre des leçons des descendants des colonisés, car « elle sait » et applique une grille idéologique qui a réussi pour le catholicisme. Elle refuse, en apparence, de voir une civilisation, elle ne voit qu’un autre monothéisme à séculariser, et elle ne voit pas des peuples structurés par le tribalisme solidaire mais des individus à émanciper.

Pour cette gauche intellectuelle, les peuples sont interchangeables. De plus elle s’est construite contre la monarchie et le catholicisme, ne veut pas admettre ce que son universalisme doit à la matrice de notre civilisation, et veut démontrer la pertinence de son projet à l’épreuve de la civilisation musulmane.

Depuis 1981, nous vivons sous la domination d’une gauche qui détient quatre miradors idéologiques permettant de formater les citoyens, de contrôler leur pensée en dictant le licite et l’illicite au niveau des mots et des thématiques, de mettre socialement à mort quiconque brave les interdits, mais aussi de les poursuivre dans des tribunaux avec l’aide d’associations subventionnées. Ces quatre miradors sont l’Éducation nationale et le monde universitaire, la culture, la justice et les médias.

La gauche de gouvernement s’est en plus convertie à l’européisme sous Mitterrand et estime que la nation est dépassée, source de guerres, de xénophobie et de racisme. Les problématiques soulevées par cette immigration relèvent pour cette gauche d’effets collatéraux nécessaires et certainement regrettables, des problèmes qu’il faut minorer, invisibiliser, euphémiser, relativiser tout en punissant sévèrement les insolents qui osent braver la doxa dominante.

Votre récit, à la fois puissant, bouleversant et riche en réflexions, retrace avec une grande précision l’histoire de votre famille. Comment vos proches ont-ils vécu cette démarche, notamment face aux enjeux identitaires et aux souvenirs familiaux que cela a dû raviver ?

Ma mère a eu peur car elle savait que le miroir qui lui serait tendu ne serait pas toujours à son avantage. Ma famille maternelle découvrira ou pas mon livre en le lisant. Une de mes sœurs s’est éloignée de moi car très proche de mes tantes. Elle sait que celle-ci n’apprécieront pas le portrait que je fais de leur père. Le père est sacré dans la culture nord-africaine : c’est un peu le prophète de la famille. Cela participera peut-être encore plus à une volonté de mise à mort sociale en ce qui me concerne.

Une autre partie de mon entourage très proche a estimé que je ne devais pas aborder ces thèmes et encore moins écrire un livre sur ce sujet. Cela est allé très loin : j’ai subi des pressions, des intimidations, on m’a expliqué que mes enfants seraient en danger à cause de moi, on a manœuvré afin de faire en sorte que mes enfants ne portent plus mon nom.

Ces personnes, très sensibles à leur petite réputation sociale, craignaient que je sois décrit dans les médias comme raciste, d’extrême droite, islamophobe, et que, par capillarité, cette réputation sulfureuse leur tombe dessus. Le plus ironique, est que ces personnes refusent l’enrichissement culturel et vivent dans des quartiers protégés de ces problématiques.

Il me fallait faire ce livre, et peu importe le prix à payer, je pense qu’il est de salubrité publique et permettra de faire avancer le débat, car notre pays est au bord du gouffre.

Ne fais pas ton Français ! – Itinéraire d’un bâtard de la République, David Duquesne (Grasset), 20 €.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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