La restauration, voire la reconstruction à l’identique de Notre-Dame de Paris, alimente toutes les conversations chez le coiffeur ou sur les réseaux sociaux, dans les éditoriaux des meilleurs journaux et sur les écrans de télévision. D’autres exemples de reconstruction existent en Europe, pas loin de chez nous entre autres et l’inauguration de la nouvelle Notre-Dame de Dresde reconstruite à l’identique a eu lieu en 2006, voici 13 ans à peine, à l’occasion du 800ème anniversaire de la ville. Petit retour en arrière.
Dresde, la Florence sur l’Elbe
Dès le 18ème siècle, Dresde doit sa réputation de capitale européenne des arts à deux Princes de Saxe au faîte de leur puissance. Le premier, Auguste II, était un admirateur inconditionnel de la cour de Versailles. Il retint ce conseil de Colbert, homme de confiance de Louis XIV : « Pour que la postérité se souvienne de vous, ne faites pas la guerre mais soyez bâtisseur ! ». Dresde va devenir l’écrin dans lequel se pose le maître du pays, son électeur sacré roi. Celui-ci dote sa ville de bâtisses plus imposantes les unes que les autres qui se concentrent à l’intérieur des fortifications : le château-résidence, la gigantesque église luthérienne Notre-Dame, l’église catholique Ste-Croix, le palais du Zwinger dont les cours servaient de cadre à des tournois, des fêtes et des feux d’artifice admirés depuis les balustrades rehaussées de multiples statues. Grands collectionneurs d’objets d’art, Auguste II et surtout son fils Auguste III prirent soin d’ouvrir aux visites les salles de leur château. C’est déjà un avant-goût du musée tel que nous le connaissons aujourd’hui avec des œuvres classées et réparties par écoles pour encourager l’étude de l’art. (Christiane Goor et Charles Mahaux)
Au 19ème siècle, les années fastes appartiennent au passé et Dresde sommeille dans une atmosphère empreinte de nostalgie. On connaît la suite : le 13 février 1945, les bombardiers alliés s’acharnent sur la capitale de la Saxe, histoire de saper le moral des troupes allemandes. La ville n’est plus qu’un champ de ruines calcinées. Les collections saxonnes cessent d’exister. Transférées au début de la guerre dans des châteaux et abris de la région, elles furent saisies par l’armée soviétique et transportées en Russie.
Il fallut attendre 1955 pour que le Kremlin, soucieux de soigner son image, modifie sa politique extérieure et encourage le gouvernement de la RDA à reconstruire à l’identique des bâtiments anciens auxquels la population de Dresde était attachée. La restauration du Zwinger se termina dans les années 60 et toutes les oeuvres réparties dans les musées de Moscou et de St-Pétersbourg retrouvèrent leur place dans les galeries du palais. Une collection unique de toiles exceptionnelles signées par des maîtres comme Raphaël, Rubens, Vermeer, Rembrandt ou Bruegel, des trésors d’orfèvrerie, des horloges savantes, des porcelaines de Chine et de Meissen, du cristal de roche ciselé, des coupes incrustées de pierres précieuses, des coquillages sertis de vermeil, bref une débauche d’ambre, d’argent, d’or, d’ivoire et de gemmes à la hauteur de l’incroyable mégalomanie des princes de Saxe.
Autre chantier colossal, la reconstruction du très prestigieux opéra national de Saxe dit de Semper du nom de son architecte. Dorures, miroirs, stucs, l’ahurissant décor baroque est restauré dans les moindres détails même si les techniques actuelles ont permis de donner à du toc l’apparence de l’authentique. Toute la décoration n’a nécessité que 2 petits kilos d’or pour la dorure à la feuille d’or et, à l’inverse, quelque 600 tonnes de plâtre modelé et peint pour donner l’illusion de colonnes de marbres et de murs lattés de bois précieux.
La réunification de l’Allemagne
Elle insuffle une accélération aux chantiers de reconstruction. Dans l’ancien château des princes électeurs, les somptueux objets d’art de la célèbre Voûte Verte sont enfin offerts à l’admiration abasourdie des visiteurs. Cette salle aux trésors allie le faste architectural et la beauté de près de 3000 objets d’art parmi les plus précieux présentés dans des salles d’apparat reconstituées à l’identique pour servir d’écrin aux trésors amassés par Auguste le Fort.
Le pouvoir communiste avait délibérément conservé à l’état de ruines la gigantesque église Notre-Dame comme mémorial du bombardement allié. Pourtant dès 1990, l’appel de Dresde (Ruf aus Dresden) touche une audience mondiale et cette association s’enrichit de quelque 5000 membres répartis dans plus de vingt pays dont l’« Association Reconstruction de la Frauenkirche à Dresde » en France. D’expositions en concerts, de donations en subventions, le projet de reconstruction trouve son véritable point de départ avec la mise en place de la Stiftung Frauenkirche Dresden sous le patronage du Land de Saxe et de l’Église protestante. Les travaux de reconstruction sont évalués à quelque 125 millions d’euros et vont devenir le symbole de la réconciliation grâce à la récupération des pierres de l’ancien édifice incorporées au nouveau bâtiment.
Aujourd’hui le temple luthérien a retrouvé son lustre d’antan et son dôme resplendit dans le ciel de Dresde. La croix dorée qui couronne la coupole a été offerte par l’Angleterre et ciselée par un artiste fils d’un des aviateurs de la Royal Navy Air Force qui largua ses bombes sur la ville. Geste de réconciliation s’il en est ! L’ensemble du bâtiment ressemble un peu à un damier géant car les anciennes pierres noircies contrastent avec les nouvelles d’une belle couleur crème. Pourtant d’ici quelques décennies, elles prendront toutes la même teinte d’ébène typique des pans de murs et des statues qui ont survécu aux raids alliés. En effet le grès saxon à haute teneur en manganèse noircit avec le temps. Un détail qui permet de décoder l’architecture de Dresde : ce qui est sombre a survécu aux affres de la guerre, le reste n’est que reconstruction.
Écrit par Christiane Goor et Charles Mahaux
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