« Pourquoi on le ferait pas, nous ? » En 2014, deux jeunes architectes se lancent le défi de mesurer les charpentes médiévales de Notre-Dame de Paris, sans imaginer que leurs relevés deviendront une pièce maîtresse de la reconstruction de la cathédrale après l’incendie.
C’est au soir du 15 avril 2019, quand la toiture de Notre-Dame est dévorée par les flammes, que Cédric Trentesaux et Rémi Fromont prennent conscience de l’importance de leurs relevés, les premiers jamais effectués dans ces charpentes depuis leur assemblage au XIIIe siècle.
Sans leurs travaux, une des prouesses du chantier de reconstruction — rebâtir les charpentes à l’identique — aurait été tout simplement impossible. « Pour la nef et le chœur, nos relevés ont été la source principale », convient pour l’AFP Rémi Fromont, qui n’a plus quitté Notre-Dame depuis l’incendie, devenant l’un des architectes du chantier qui va s’achever avec la réouverture de l’édifice le 7 décembre.
« Ces relevés, c’est un coup de bol dans cet immense malheur qu’a été l’incendie », complète Cédric Trentesaux.
Au départ, l’objectif des deux quadragénaires était pourtant modeste. « L’idée pour nous, c’était juste de documenter la cathédrale en se disant que ça servirait peut-être un jour, ou pas », se souvient M. Fromont. Quand ils se lancent dans l’aventure en 2014, les deux architectes exercent depuis dix ans et suivent une formation complémentaire sur le patrimoine qui les emmène à Notre-Dame.
« On y est allés comme des étudiants absorbés par notre passion »
C’est là, au détour d’une visite de l’édifice, qu’ils apprennent que la charpente médiévale, véritable forêt de chênes de 100 mètres de long et 12 mètres de haut, n’a donné lieu qu’à des mesures très fragmentaires et qu’un relevé minutieux reste à faire.
« On s’est bêtement dit: ça n’a été pas fait, pourquoi on le ferait pas, nous ? », se souvient Cédric Trentesaux. « Mais on ne se rendait absolument pas compte du travail que ça allait nous prendre et encore moins des répercussions que ça a aujourd’hui. On y est allés comme des étudiants absorbés par notre passion ».
« C’était pour la gloire et le plaisir »
Pendant un an, à raison d’un jour par semaine, les deux camarades inspectent les charpentes de fond en comble et effectuent les relevés à la main depuis une passerelle, l’enchevêtrement des bois rendant inopérants les scanners 3D.
Pendant l’hiver, un froid polaire règne dans les charpentes et les lieux sont plongés en permanence dans l’obscurité, contraignant à s’équiper en permanence de projecteurs et de lampes.
Mais les deux architectes ne songent jamais à renoncer. « On s’est pris au jeu. C’était pour la gloire et le plaisir », résume Cédric Trentesaux. Leurs travaux, complétés en fin de cycle par l’utilisation d’un appareil laser, s’achèvent en 2015 et reçoivent un accueil enthousiaste dans le milieu des charpentiers, sans dépasser toutefois les cercles professionnels. Jusqu’au 15 avril 2019.
Dépêchés en urgence à Notre-Dame
Dès le lendemain de l’incendie, les deux architectes sont dépêchés en urgence à Notre-Dame pour évaluer l’ampleur des dégâts et partager leur connaissance quasi intime des charpentes.
« On a été soulagés de voir qu’on avait bien fait notre travail »
« On avait passé un an de notre vie là-bas et c’était parti complètement en fumée », relate M. Trentesaux.
Quand l’idée d’une reconstruction à l’identique de Notre-Dame finit par s’imposer, leurs travaux sortent de l’anonymat pour devenir la pièce maîtresse sur laquelle des dizaines de charpentiers vont s’appuyer. Autant dire que la moindre imprécision dans leurs relevés ne serait pas passée inaperçue.
« On a été soulagés de voir qu’on avait bien fait notre travail », souffle Rémi Fromont, fier d’avoir contribué à « restituer » cet ouvrage avec le concours de charpentiers utilisant les mêmes techniques d’équarrissage du bois à la main qu’au Moyen-Âge.
Même les imperfections des charpentes ont été conservées
Pour les deux architectes, la reconstruction à l’identique n’est pas juste une prouesse technique ou une marque de respect pour les maîtres charpentiers du XIIIe siècle. « En restituant les charpentes avec les mêmes matériaux, les mêmes techniques, on assure à la cathédrale de Notre-Dame sa continuité historique », estime Rémi Fromont.
Même les imperfections des charpentes, liées aux progrès technologiques durant le chantier au Moyen-Âge, ont été conservées pour garantir cette authenticité. L’approche est radicale mais Notre-Dame est, selon M. Fromont, « un édifice qui aurait du mal à supporter le compromis ».
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