Notre-Dame : l’art moderne pour remplacer 6 vitraux traditionnels

Les créations d'une artiste française basée à Los Angeles sont destinées à remplacer les vitraux du XIXe siècle dans le chef-d'œuvre du gothique français

Par Lorraine Ferrier
9 mars 2025 03:23 Mis à jour: 9 mars 2025 03:23

Un nouvel incendie menace l’intégrité architecturale de Notre-Dame de Paris. Il s’agit cette fois d’un incendie intellectuel, qui a été déclenché à maintes reprises : la question de savoir si les styles modernes ont leur place dans l’architecture ancienne.

Les monuments historiques du monde entier ont été préservés à divers degrés, de restaurations sympathiques aux rénovations complètes, en fonction des opinions de la société de l’époque. Souvent, ces efforts de restauration ont été attisés par les flammes de la célébrité et au nom du progrès artistique.

En 2026, six vitraux contemporains seront installés dans six des sept chapelles du bas-côté sud de la nef du chef-d’œuvre gothique. Ils remplaceront les vitraux du XIXe siècle qui ont survécu à l’incendie.

Avant de découvrir ces nouveautés, il est important de visiter les caractéristiques de l’architecture gothique.

La Jérusalem céleste

Considérée comme le joyau de l’architecture gothique française, Notre-Dame de Paris a été conçue dans les moindres détails pour susciter la dévotion. Les trois éléments principaux de l’architecture gothique, les arcs brisés, les plafonds voûtés et les rosaces en vitrail, pointent tous vers le ciel, que ce soit par leur sujet ou par leur conception architecturale.

Le chef-d’œuvre gothique français Notre-Dame de Paris, depuis la rive de la Seine. Six fenêtres de la chapelle datant du XIXe siècle seront remplacées par des vitraux contemporains et figuratifs en 2026. (Production Perig/Shutterstock)

Dans L’histoire de l’art, l’historien de l’art E.H. Gombrich (1909-2001) décrit comment les cathédrales gothiques offrent aux fidèles un aperçu de la Jérusalem céleste :

« Avec ses portes de perles, ses joyaux inestimables, ses rues d’or pur et de verre transparent (Apocalypse xxi) […] cette vision était descendue du ciel sur la terre. Les murs de ces édifices n’étaient pas froids et rébarbatifs. Ils étaient formés de vitraux qui brillaient comme des rubis et des émeraudes. Les piliers, les nervures et les tracés étaient étincelants d’or. Tout ce qui était lourd, terrestre ou banal était éliminé. Les fidèles qui s’abandonnaient à la contemplation de toute cette beauté sentaient qu’ils s’approchaient de la compréhension des mystères d’un monde hors de la portée de la matière. »

Le sentiment de Gombrich fait écho à l’inscription de l’abbé Suger sur les portes de la basilique gothique de Saint-Denis à Paris, écrite plus de 800 ans auparavant :

« Vous tous qui cherchez à honorer ces portes, Ne vous étonnez pas de l’or et des dépenses, mais de l’artisanat de l’œuvre. L’œuvre noble est lumineuse, mais, étant noblement lumineuse, l’œuvre doit éclairer les esprits, leur permettant de voyager à travers les lumières.

[…]

L’esprit obtus s’élève à la vérité par le biais des choses matérielles, et il est ressuscité de son ancienne immersion lorsqu’il voit la lumière. »

L’abbé Suger (1081-1151) est considéré comme le père de l’architecture gothique. Lors de la restauration de Saint-Denis, il écrit : « Nous avons cherché à sauvegarder à la fois le respect de l’ancienne consécration et une cohérence harmonieuse avec l’œuvre moderne selon le modèle déjà établi. »

Les vitraux de Notre-Dame

Entre 1855 et 1865, les architectes Eugène Viollet-le-Duc (1814-79) et Jean-Baptiste Lassus (1807-57) se sont attelés à la création d’un nouveau schéma décoratif pour les vitraux dans le cadre de la restauration de la cathédrale, afin de retrouver l’atmosphère médiévale de l’église.

La chapelle Saint-Pierre à Notre-Dame de Paris. Franck (Legros/Shutterstock)

La plupart des vitraux colorés du XIIIe siècle ont été retirés de la nef en 1753 pour apporter plus de lumière à l’église. Entre 1855 et 1860, les verriers ont créé des grisailles en s’inspirant des vitraux que Viollet-le-Duc avait vus à la cathédrale de Bourges, dans le centre de la France.

Dérivée du français « gris », la grisaille a gagné en popularité lorsque l’ordre cistercien interdit les vitraux colorés et figuratifs en 1134. Dans le sermon 45 sur le Cantique des Cantiques, le moine cistercien Saint-Bernard de Clairvaux avait prêché : « Il n’y a ici (dans la contemplation), comme je le pense, aucun besoin ou usage d’images matérielles, transmises par les sens, de la chair ou de la croix du Christ, ou de toute autre représentation qui appartient à la faiblesse de sa mortalité. »

La grisaille de la chapelle Saint-Pierre de Notre-Dame de Paris est l’une des six fenêtres de la chapelle qui seront remplacées par des vitraux contemporains en 2026. Des losanges rouges répartis dans les lancettes (fenêtres hautes et étroites dont la pointe est en forme de lance) mettent en valeur l’étoile rouge de la rosace située au sommet. Elle est entourée d’un délicat feuillage en grisaille. (Domaine public)

Les peintres sur verre ont créé deux types de grisaille : le verre transparent avec feuillage peint en argent et le verre transparent avec du plomb définissant des motifs géométriques.

Loin d’être un parent pauvre du vitrail coloré, la grisaille est riche en symboles. Selon le magazine en ligne Vidimus : « La végétation [en grisaille] représenterait le Christ créateur symbolisant la vérité, la résurrection et l’arbre de Jessé. La grisaille géométrique représente l’ordre divin et rationnel de la création. »

La grisaille de la chapelle Saint-François-Xavier de Notre-Dame de Paris est l’une des six fenêtres de la chapelle qui seront remplacées par des vitraux contemporains en 2026. Les verriers ont créé des motifs géométriques de losanges, de demi-quadrilobes et de mandorles sur les feuillages peints en grisaille des fenêtres à lancettes (fenêtres hautes et étroites avec une pointe en forme de lance). La bordure colorée fait écho aux couleurs utilisées dans l’ensemble de la fenêtre. (Domaine public)
La grisaille de la chapelle Saint-Joseph de Notre-Dame de Paris est l’une des six fenêtres de la chapelle qui seront remplacées par des vitraux contemporains en 2026. Les motifs géométriques souvent complexes et colorés de la grisaille permettent encore à la lumière de couleur neutre de pénétrer dans la chapelle. (Domaine public)

Les fenêtres d’art moderne de 1935

En 1935, le verrier Louis Barillet avait écrit à la Commission des Monuments Historiques au nom de 12 verriers. Il proposait de remplacer les hautes baies en grisaille du XIXe siècle de la nef de Notre-Dame de Paris.

Il s’agissait de retrouver l’atmosphère colorée des vitraux médiévaux d’origine en utilisant le style artistique d’avant-garde du cubisme. Vers 1907, Pablo Picasso (1881-1973) et Georges Braque (1882-1963) ont inventé le mouvement artistique moderne du cubisme, dans lequel de multiples perspectives d’un sujet sont présentées dans une image abstraite.

Certains de ces vitraux sont actuellement exposés dans le cadre de l’exposition Notre-Dame de Paris : la querelle des vitraux. L’exposition présentée à la Cité du vitrail de Troyes, dans l’Aube, dans le nord de la France, explore les 30 années qui se sont écoulées entre 1935 et 1965, au cours desquelles des artistes modernes ont voulu marquer de leur empreinte le chef-d’œuvre gothique.

Marie-Hélène Didier, commissaire de l’exposition, a déclaré dans le communiqué de presse : « Ces vitraux n’étaient pas considérés comme étant en harmonie avec l’architecture de la cathédrale. »

Bien que l’archevêque de Paris (le cardinal Verdier) et l’inspecteur général des monuments historiques, Eugène Rattier, avaient donné des instructions aux artistes en matière d’iconographie, les problèmes étaient nombreux.

Le 25 mars 1935, le vice-président de la commission, Gabriel Ruprich-Robert, avait fait part de ses inquiétudes dans une lettre adressée au directeur général des Beaux-Arts, Georges Huisman. Il avait constaté le bon état des grisailles et estimait que toute intervention sur les monuments historiques « devait se limiter à la conservation du patrimoine ». Il estimait que le nombre d’artistes et la diversité des propositions mettaient en péril l’harmonie du projet. Il avait conclu : « Cet édifice [Notre-Dame] ne peut être le champ d’une expérience qui n’est pas indispensable. »

La commission estimait également que les différents styles, couleurs et proportions utilisés dans chaque fenêtre ne formaient pas un ensemble cohérent.

Mme Didier avait souligné : « En voyant aujourd’hui toutes ces créations les unes à côté des autres, nous comprenons les réticences de la commission. Les douze artistes qui ont dessiné ces vitraux travaillaient de manière indépendante. » Cette indépendance avait donné aux vitraux un thème artistique globalement incohérent, certains commentateurs qualifiant cette dissonance de cacophonie. « Le manque d’harmonie devait être flagrant », avait exprimé Julia Boyon, commissaire de l’exposition, dans le communiqué de presse.

En 1939, la Fondation pour la sauvegarde de l’art français avait adressé une pétition au cardinal Verdier. Les opposants aux vitraux contemporains s’inquiétaient du manque d’harmonie et de l’incohérence de la narration, et craignaient que cela n’indique que l’art moderne avait surpassé les maîtres anciens, ce qui n’était pas le cas.

Le 22 avril 1939, Le Figaro rapportait : « À une époque où les préoccupations économiques et la peur de la guerre émoussent l’intelligence et dépriment les sensibilités, le public parisien est encore capable de se passionner pour un problème artistique. »

Les commissaires de l’exposition avaient expliqué que les gens n’étaient pas nécessairement contre le projet. Ils étaient contre la présence d’œuvres modernes à Notre-Dame, et ils pensaient que cela créerait un précédent pour les bâtiments historiques ultérieurs.

En 1939, les fenêtres de style cubiste ont été installées dans la cathédrale. Mais le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale a entraîné le retrait des vitraux pour les mettre en sécurité. Ils n’ont jamais été restitués.

La grisaille de la chapelle du Sacré-Cœur de Notre-Dame de Paris est l’une des six fenêtres de la chapelle qui seront remplacées par des vitraux contemporains en 2026. Les fleurs et les feuilles en grisaille de la rosace à six lobes sont rehaussées de touches de rouge, de bleu, de vert et de jaune, une palette de couleurs qui se répète sur l’ensemble du vitrail. (Domaine public)
La grisaille de la chapelle Saint-Éloi de Notre-Dame de Paris est l’une des six fenêtres de la chapelle qui seront remplacées par des vitraux contemporains en 2026. Les artisans verriers ont créé de fines bordures sur les rosaces, permettant à la lumière de pénétrer davantage dans la chapelle tout en mettant en valeur les fleurs délicates de la fenêtre.  (Domaine public)
La grisaille de la chapelle Sainte-Geneviève de Notre-Dame de Paris est l’une des six fenêtres de la chapelle qui seront remplacées par des vitraux contemporains en 2026. Une belle rose s’épanouit sur la rosace principale. Elle se distingue notamment par la répétition du bleu et du jaune dans les bordures des fenêtres à lancettes (fenêtres hautes et étroites dont la pointe est en forme de lance). (Domaine public)

Les fenêtres d’art moderne de 2026

Quatre-vingt-dix ans et un incendie dévastateur plus tard, les grisailles de Notre-Dame de Paris sont à nouveau menacées. Cette fois, six fenêtres en grisaille situées dans six chapelles entourant la nef pourraient être remplacées par des vitraux figuratifs inspirés de la Pentecôte.

Après l’incendie, le gouvernement français a créé l’Établissement public, pour préserver et restaurer la cathédrale. Le 27 janvier, l’association française Sites & Monuments a contesté la compétence de l’établissement public sur deux points : l’organisation du remplacement des vitraux et le contrat passé avec l’artiste française Claire Tabouret, basée à Los Angeles.

L’artiste française Claire Tabouret pose à la suite d’une conférence de presse. Elle et l’Atelier Simon-Marq ont été sélectionnés pour créer de nouveaux vitraux dans six chapelles du bas-côté sud de Notre-Dame de Paris, le 18 décembre 2024. (Stephane de Sakutin/AFP)

De nombreuses objections à ces nouveaux vitraux contemporains reflètent les arguments avancés contre les vitraux des années 1930. Le journaliste français, Didier Rykner, a lancé une pétition pour stopper le projet, qui a recueilli plus de 280.000 signatures à l’heure où nous mettons sous presse.

Seul l’avenir dira si les vitraux de Claire Tabouret seront installés à Notre-Dame de Paris. Pour l’heure, les visiteurs de la cathédrale peuvent pénétrer dans la Jérusalem céleste de Gombrich et s’imprégner de la lumière divine des grisailles néo-gothiques de Viollet-le-Duc et consorts.

La chapelle Sainte-Geneviève à Notre-Dame de Paris. (Franck Legros/Shutterstock)
Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.