Avec l’arrivée des premières vagues de froid, nombreux sont ceux à remplacer la lampe antimoustique par des mangeoires pro-oiseaux sur leur balcon ou dans leur jardin. Les citadins aiment la biodiversité urbaine mais sur une échelle hiérarchique… Et le nourrissage de la faune sauvage représente l’interaction homme-nature la plus commune en ville, partout dans le monde.
Au Royaume-Uni, 64 % des ménages possèdent une mangeoire et la remplissent régulièrement de graines ; aux États-Unis, cette pratique concerne plus de 50 % des foyers et en Europe, de manière générale, environ 20 %. Trois milliards de dollars, c’est ce que représente le poids économique du marché des graines et autres boules de graisse aux États-Unis chaque année.
Pour la France, pas de chiffres précis, mais lever les yeux en se baladant en ville permet de constater l’importante place qu’occupent les mangeoires sur les balcons.
Comment nourrir les oiseaux en hiver ? Quelles graines leur donner ? Quels sont les effets de ce nourrissage ? Malgré la popularité de cette pratique, les connaissances scientifiques sur le sujet sont encore en construction. Un tour d’horizon s’impose.
Un nourrissage à multiples facettes
Aussi appelé « supplémentation alimentaire », le nourrissage se présente sous différentes formes.
Il y a tout d’abord le nourrissage volontaire, qui correspond à la mise à disposition de mangeoires dans les lieux privés mais également aux miettes de pain que l’on jette aux moineaux ou aux canards dans les lieux publics.
Concernant cette pratique, mettons les choses au clair : elle est illégale en France. L’article L. 1311-2 du Code de la santé publique stipule ainsi qu’« Il est interdit de jeter ou déposer des graines ou nourriture en tous lieux publics pour y attirer les animaux errants, sauvages ou redevenus tels ». Le nourrissage dans les lieux publics peut générer de nombreux problèmes : de la dispersion des sangliers en zone habitée à la prolifération d’espèces envahissantes telles que le ragondin ou les bernaches du Canada.
La seconde forme de nourrissage de la faune sauvage est indirecte et concerne les déchets. Que ce soit dans les décharges à ciel ouvert ou dans les rues, ils délectent de nombreux animaux, du renard au goéland, en passant parfois par les ours !
Ce que la science sait (et ce qu’elle ne sait pas)
Les résultats des études menées au sujet de ce nourrissage citadin sont contrastés.
Parmi les effets positifs, celui-ci permet une meilleure survie hivernale, une amélioration de la condition physique et une augmentation du nombre de poussins à l’envol chez les individus qui profitent des mangeoires.
Chez les mésanges bleues nourries, par exemple, un poussin de plus s’envolera avec succès, comparativement aux mésanges bleues non nourries. Sur onze espèces étudiées dans l’Illinois, parmi lesquelles la mésange à tête noire et le cardinal rouge, le nourrissage a significativement amélioré leur condition physique. Les individus nourris ont ainsi montré une meilleure croissance des plumes ainsi qu’un pouvoir antioxydant et une capacité immunitaire plus élevés.
Peu d’études montrent des effets négatifs du nourrissage, mais le peu que l’on sait est assez alarmant.
Cette pratique modifie en effet la composition des communautés faunistiques. Les espèces capables d’exploiter les ressources anthropiques en ville vont être favorisées, au détriment des autres espèces. C’est le cas notamment des pigeons bisets qui se reproduisent toute l’année. La diminution, voire l’arrêt total, du nourrissage des pigeons réduirait considérablement leur nombre dans les villes, les contraignant à allouer leur énergie à la prospection de nouvelles sources alimentaires et leur permettant de retrouver un cycle annuel de reproduction plus naturel.
Les mangeoires sont également prisées de certaines espèces d’oiseaux exotiques. En France, on peut citer la perruche à collier, Psittacidé originaire d’Afrique et d’Asie, et dont la taille des populations a augmenté de façon exponentielle depuis les trois dernières décennies. Cette grande perruche passe près de la moitié de son temps journalier à se nourrir sur les mangeoires. Imaginez-vous passer plus de six heures par jour à table…
En Nouvelle-Zélande une étude a montré que la présence de mangeoires favorisait les espèces envahissantes au détriment des espèces natives. L’abondance de moineaux domestiques et de tourterelles tigrines augmentent considérablement et rapidement dès la mise à disposition des graines, jusqu’à la domination en nombre de ces deux espèces sur le cortège aviaire. Lorsque le nourrissage cesse, les changements observés s’estompent rapidement et les communautés retournent à leur état initial.
Le nourrissage peut également être un facteur de mortalité. Le contact entre individus sur une mangeoire peut augmenter le risque de transmissions de maladies liées à des pathogènes, certains pouvant également être transmis à l’homme.
La concentration d’oiseaux sur les mangeoires est également un véritable plateau-repas pour les prédateurs. Certains rapaces migrateurs visitent régulièrement les jardins munis de mangeoires durant leur halte migratoire afin d’y trouver des proies faciles, toutes occupées à déguster les graines. Les chats, et leur impact connu sur la biodiversité urbaine, sont également des prédateurs d’oiseaux aux mangeoires. On estime que les chats féraux tuent entre un et deux milliards d’oiseaux par an.
De la bonne pratique du nourrissage
Si la lecture de cet article ne vous a pas dissuadé de remplir vos mangeoires cet hiver, voici quelques conseils pour une bonne pratique du nourrissage.
Parlons tout d’abord du contenant. Il convient de nourrir les oiseaux à partir des premières gelées, pas avant. L’arrêt du nourrissage doit se faire progressivement, afin de laisser le temps aux espèces de trouver d’autres sources alimentaires.
L’arrêt doit également se faire bien avant le début de la période de reproduction qui débute généralement au printemps. La présence d’une mangeoire peut en effet influencer le choix du site de nidification et l’emplacement de votre logement peut être parfait pour vous mais pas forcément pour tous les oiseaux. Ce choix de lieu non adapté pour le nid peut ainsi entraîner une mauvaise condition physique et une plus forte mortalité juvénile.
Les mangeoires doivent être placées suffisamment en hauteur pour éviter le risque de prédation par des chats. Il convient également d’éviter de les placer dans des arbres, les branches pouvant servir d’échelle à nos amis félidés. Privilégiez les endroits à couvert afin de limiter la prédation par les rapaces, y compris en ville. Pensez à désinfecter très régulièrement les mangeoires, mais également à ôter les graines qui seraient tombés au sol, afin de limiter le risque de transmission de maladies entre espèces (Homo sapiens inclus). Enfin, il existe des mangeoires « pigeon-proof », que l’on peut facilement fabriquées soi-même, et dont le contenu ne profitera qu’aux petits passereaux et non plus aux pigeons, tourterelles ou encore perruches à collier.
Concernant le contenu, chaque espèce possède ses préférences, en fonction de la morphologie de son bec et donc de son régime alimentaire. Les graines de tournesol, cependant, font l’unanimité et sont riches en vitamine E, essentielle au bon développement des embryons dans l’œuf. Préférez-les issues de l’agriculture biologique et décortiquées. Les graines de millet, de chanvre ou le maïs concassé attirent les plus petites espèces, comme les mésanges ou les verdiers. Pensez également à recycler les graines de courges (bio), lors de vos préparations de soupe, ou les graines de pommes (toujours bio) en les offrant aux oiseaux.
Attention à la « junk food »
De manière générale, les matières brutes et naturelles sont à privilégier. Si vous souhaitez confectionner vos boules de graisse maison ou vos propres mélanges de graines, évitez absolument les graisses d’origine animales (y compris celles contenues dans les produits laitiers), le pain et tous les produits industriels préparés. Les graisses végétales peuvent être utilisés, comme le beurre de coco, avec parcimonie cependant pour éviter de les surcharger en lipides.
Bons ou mauvais pour les oiseaux, les effets du nourrissage sont variés et variables selon les études. En attendant que la science ne nous apporte de nouvelles connaissances, libre à chacun d’essayer de nourrir de la façon la plus responsable.
Marine Le Louarn, Doctorante en écologie urbaine, Université Aix-Marseille
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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