ENTRETIEN – Le directeur du laboratoire d’idées indépendant CERU Olivier Vial répond aux questions d’Epoch Times sur la menace que fait peser l’extrême gauche sur nos institutions.
Epoch Times : Pourquoi l’extrême gauche est-elle plus dangereuse qu’auparavant ? Est-elle mieux organisée ?
Olivier Vial : L’extrême gauche a élargi à la fois son spectre de recrutement et son spectre de revendications.
Elle a toujours été importante en France, mais son rapprochement récent avec l’ultragauche est très inquiétant. Jusqu’à présent, l’extrême gauche politique se différenciait de l’ultragauche par ses méthodes. Elle n’était pas en faveur de l’action directe et refusait de légitimer la violence. Dans les manifestations, les services d’ordre des partis politiques ainsi que des syndicats tenaient à l’écart les militants d’ultragauche.
Mais un basculement s’est opéré lors des mouvements sociaux contre la loi El Khomri en 2015. À l’époque, une perméabilité a pu être observée entre les deux courants. Ce rapprochement a été pensé par l’intellectuel suédois, Andreas Malm. Ce qu’il appelle la stratégie du « flanc radical ».
Ainsi, les méthodes violentes de l’ultragauche ont été acceptées puis légitimées par une très grande partie de l’extrême gauche politique. LFI est l’exemple type de ce que j’avance : La France insoumise est passée d’un mouvement d’extrême gauche classique à un parti qui a ouvert la porte à des mouvements radicaux et violents, et fait élire à l’Assemblée nationale des personnalités comme le fiché S et ex-porte-parole du mouvement la Jeune Garde antifasciste Raphaël Arnault. Je rappelle que huit membres de ce mouvement ont été mis en examen pour une agression antisémite à l’encontre d’un jeune de 15 ans dans le métro parisien.
Ce n’est pas tout. Un membre du POI, parti trotskyste habituellement éloigné du spectre politique classique, a été élu député en 2022 et siège dans le groupe LFI. Il y a eu un véritable processus d’hybridation entre l’ultragauche violente et l’extrême gauche politique.
Par ailleurs, les groupes écologistes radicaux et les mouvements d’ultragauche anticapitalistes, autrefois séparés, ont complètement fusionné dans un combat commun pour la décroissance. Cette fusion a donné naissance à des mouvements comme les Soulèvements de la Terre.
L’extrême gauche a donc un poids nettement plus important qu’il y a une dizaine d’années.
Peut-on dire qu’après la riposte israélienne aux attaques du 7 octobre, la cause palestinienne est venue renforcer considérablement les mouvements d’extrême gauche ?
Je pense que la riposte israélienne après le 7 octobre a été un accélérateur de ce mouvement propalestinien qui avait commencé bien avant et qui ne s’arrêtera pas, même si la guerre entre Israël et le Hamas se termine.
La réponse israélienne n’a été qu’un prétexte pour les mouvements d’extrême gauche pour radicaliser leurs actions et tenter de faire la liaison entre eux et les quartiers populaires.
Pendant des années, les mouvements trotskystes, notamment la LCR lors des émeutes de 2005, ont essayé de s’implanter dans ces quartiers pour espérer constituer une sorte d’armée populaire prête pour le grand soir.
Jusqu’à la riposte israélienne post 7 octobre 2023, cela n’avait pas fonctionné. Mais depuis presque deux ans, on observe une implantation plus importante de l’extrême gauche dans ces quartiers et des rapprochements avec des milieux peu éloignés des Frères musulmans. Cela va-t-il durer ? Il est encore trop tôt pour le dire.
Quel est l’objectif de ces mouvements ? Seulement semer le chaos ou prendre le pouvoir ?
Les deux sont liés. On ne peut pas penser l’extrême gauche et l’ultragauche sans le mythe du grand soir. Même si ce n’est jamais arrivé, ils sont tous convaincus qu’un jour tout basculera et que le système capitaliste et les valeurs occidentales s’effondreront sur elles-mêmes. Ils pourront ainsi imposer un nouveau monde. Cet espoir est très partagé dans leur milieu et est d’ailleurs renforcé aujourd’hui par l’idéologie écologiste de l’effondrement.
Mais pour prendre le pouvoir, ces mouvements savent pertinemment que les urnes ne leur seront d’aucun secours. Alors, pour arriver à leurs fins et imposer ce renversement institutionnel, ils font tout pour organiser le chaos.
« Pendant des années, chercheurs et magistrats ont regardé ailleurs. L’extrême gauche violente, ses structures, ses objectifs, ses relais, n’ont pas fait l’objet de la même vigilance que les autres radicalités », écrivez-vous dans le JDD. Pourquoi la menace d’extrême gauche a-t-elle été sous-estimée ?
Une partie non-négligeable des chercheurs, des sociologues ou politologues éprouvent une forme de sympathie à l’égard de ces mouvements d’extrême gauche. Ce qui s’explique par le fait que nombre d’entre eux ont été dans leur jeunesse proches de la gauche et de l’extrême gauche, ou qu’ils considèrent les violences d’extrême gauche ou les idées révolutionnaires comme des éléments faisant partie du folklore français et que cela serait constitutif de notre identité.
Tout mon travail consiste justement à démontrer que ces mouvements n’ont rien de folklorique, mais représentent bel et bien une menace pour nos valeurs et nos institutions.
La semaine dernière, des journalistes de Frontières ont été intimidés par des députés de gauche. Quel regard portez-vous sur ce qui s’est passé ?
Nous sommes en plein renversement des valeurs. Des sympathisants, militants et politiques de gauche sont capables de prôner la censure pour défendre la liberté. On le voit avec ce qui arrive à Frontières. Cette idée est d’ailleurs défendue par le monde intellectuel de gauche : on la retrouve dans les écrits du philosophe Geoffroy de Lagasnerie ou même cette semaine, dans les propos de l’historien Pierre Rosanvallon, dans un entretien au Monde.
Certains y croient dur comme fer et ont l’impression d’être de grands résistants face à « l’extrême droite ». D’autres sont dans une logique purement stratégique. Le penseur antifasciste Marc Bray explique que les attaques contre la liberté d’expression menées par l’extrême gauche suscitent des réactions dans un premier temps, mais que tout le monde s’y habituera progressivement.
Il s’agit donc de continuer à empêcher les gens de droite de défendre leurs idées, même si on a le sentiment au départ que c’est une stratégie contre-productive.
Malheureusement, je crains qu’ils aient raison. Les gens vont s’y habituer et de plus en plus de sympathisants de droite préféreront rester silencieux par peur d’être agressé ou menacé dans leur vie professionnelle.
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