Les champs d’oliviers s’étendent à perte de vue et l’odeur des fruits broyés est enivrante: dans la région de Tarhouna (nord-ouest libyen), l’huile d’olive est un trésor séculaire. Mais l’oléiculture est aujourd’hui menacée dans ce pays, interdite d’export et victime de l’urbanisation sauvage et d’un manque de moyens pour se développer.
« Nous avons toujours des problèmes liés aux pièces de rechange, devenues chères à cause de l’effondrement du dinar (libyen) face au dollar, mais aussi à cause du coût du processus d’extraction de l’huile », déplore Zahri al-Bahri, propriétaire d’un des nombreux pressoirs de Tarhouna, où l’huile coule à flots.
Dans la ferme de M. Bahri, les fruits gorgés d’huile sont récoltés à la main, pour ne pas abîmer l’arbre. Les olives, disposées sur de grands draps, sont transportées dans des sacs au moulin pour l’extraction du précieux jus doré et parfumé. Arbre méditerranéen par excellence, l’olivier prospère sur le littoral libyen depuis des siècles, mais les champs d’oliviers en Libye datent, eux, de la colonisation italienne, plantés dans les années 30.
« Ma ferme existe depuis près de 90 ans, lorsque les occupants italiens se sont installés en Libye et ont redonné vie aux terres », dit à l’AFP Ali Al-Nouri, propriétaire d’une exploitation à Tarhouna, en posant fièrement entre ses rangées d’arbres.
Dans une Libye en proie au chaos depuis la chute en 2011 du dictateur Mouammar Kadhafi et dont les revenus dépendent exclusivement des exportations du pétrole, les autorités avaient exprimé, un temps, le souhait de développer l’oléiculture et d’améliorer la qualité de l’huile d’olive pour conquérir les marchés européens et concurrencer la production des voisins du Maghreb. Développer le tourisme et la pêche faisaient aussi partie des vœux formulés.
Mais le pays n’a pas réussi à diversifier son économie. Et en 2017, les autorités libyennes ont décidé de suspendre l’exportation de trois des produits les plus emblématiques de l’agriculture libyenne, l’huile d’olive, mais aussi les dattes et le miel, au grand dam des agriculteurs. Objectif affiché: « protéger » les productions locales et subvenir aux besoins du marché domestique. Une mesure « temporaire », ont assuré les autorités, sans annoncer à quel horizon elle prendrait fin.
Elles estiment que l’huile d’olive locale est « exportée en vrac à des prix bas et sans valeur ajoutée pour l’économie libyenne » alors que, dans le même temps, il faut importer de l’huile d’olive (plus chère) pour répondre à la demande locale, explique un responsable du ministère de l’Agriculture pour justifier l’interdiction. A Tarhouna, les agriculteurs et les ouvriers des pressoirs prennent leur mal en patience. « Il y a suffisamment de production en Libye, mais on ne peut plus l’exporter », déplore M. Bahri.
La Libye compte huit millions d’oliviers sur seulement 2% de terres arables dans ce pays de 1,76 million de km2, selon le ministère libyen de l’Agriculture. Elle récolte en moyenne 150.000 tonnes d’olives par an, dont la quasi-totalité passe aux pressoirs pour produire 30.000 tonnes d’huile, ce qui fait d’elle le 11e producteur oléicole mondial, derrière ses voisins de la rive sud de la Méditerranée comme le Maroc, la Tunisie ou l’Algérie, selon le classement de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Pour autant, l’oléiculture en Libye est loin d’être moderne et performante, en l’absence d’usines spécialisées dans l’emballage ou dans la mise en bouteille, notamment. Et pendant de nombreuses années, les exportations d’huile d’olive se sont limitées aux initiatives personnelles des cultivateurs. L’aide de l’Etat serait bienvenue, souligne Ali Al-Nouri, pour le contrôle de la qualité ou l’installation d’usines d’embouteillage, par exemple.
Et pour prospérer, la culture des oliviers a besoin de plus d’attention et de moyens, notamment d’irrigation dans ce pays désertique, souligne l’agriculteur. L’oléiculture libyenne fait par ailleurs face à un autre problème: l’urbanisation sauvage qui a cours depuis l’arrivée au pouvoir de Mouammar Kadhafi en 1969 et qui a signé la mort de nombreux oliviers. Mokhtar Ali, propriétaire d’une ferme d’oliviers, dont certains ont plus de 600 ans, s’indigne: avant 1969, il était formellement interdit de couper ou d’arracher un olivier et « tout contrevenant était sévèrement puni », dit-il.
Cette urbanisation sauvage a empiré depuis le printemps arabe en 2011 et met désormais en péril la pérennité de l’oléiculture, selon les agriculteurs du secteur. Maintenant, « les oliviers sont arrachés en toute impunité pour en faire du charbon ou les remplacer par du béton », dénonce M. Ali.
Dans la région de Msillata (nord-ouest), près de Tarhouna, on peut encore admirer des oliviers millénaires et déguster une huile célèbre dans tout le pays pour sa douceur et son goût fruité. Aujourd’hui, des huiles importées et moins chères que l’huile d’olive, notamment celle tirée du maïs, ont fait leur entrée dans la cuisine libyenne, mais l’huile d’olive locale reste la plus consommée.
Parmi ses centaines d’oliviers, M. Nouri accorde une attention particulière à un arbre bien singulier qui donne une olive rare de couleur blanche. Originaire de Toscane en Italie, cet Olea leucocarpa donne des fruits qui ne noircissent pas une fois arrivés à maturité et dont l’huile est à faible acidité, douce et parfumée. Tarhouna en compte seulement cinq ou six spécimens, implantés par les Italiens et dont la production finira mélangée aux autres olives.
M. Nouri rappelle que les oliviers ont « sauvé » les Libyens durant les périodes de vaches maigres, avant la découverte du pétrole en Libye à la fin des années 50. Cet arbre a longtemps été « comme une mère nourricière. » Face à l’arrachage de ces arbres précieux, Mohkar Ali, lui, reste optimiste: plusieurs cultivateurs « commencent à replanter des oliviers », dit-il « Qu’il s’agisse d’espèces indigènes… ou de plants importés d’Espagne ».
D.C avec AFP
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