ENTRETIEN – Dans un entretien accordé à Epoch Times, l’ancien commandant de police Jean-Pierre Colombies analyse le tandem Bruno Retailleau-Gérald Darmanin. Pour l’ex-fonctionnaire, il ne s’agit que de « politique spectacle » et d’ « apparence ».
Epoch Times – Depuis qu’il a été nommé ministre de la Justice, Gérald Darmanin semble montrer les muscles. Dans un entretien au Parisien fin décembre, il indiquait vouloir isoler les 100 plus grands narcotrafiquants. Il a également annoncé vouloir mettre en place des opérations « place nette » en prison afin de saisir les téléphones portables. Le nouveau garde des Sceaux est même allé jusqu’à dire la semaine dernière sur RTL : « Rien ne va dans le ministère qui m’appartient sur cette question de la drogue ». L’arrivée de Gérald Darmanin marque-t-elle un tournant place Vendôme en matière de fermeté ?
Jean-Pierre Colombies – Il n’y aucun tournant. Nous avons affaire à un personnage qui est installé dans la politique spectacle, c’est-à-dire dans une forme de rhétorique guerrière qui ne débouche sur rien.
Je pense que Gérald Darmanin se nourrit de sa propre ambition. Il ne pense qu’à 2027. C’est son obsession.
D’ailleurs, je serais incapable de vous dire quelle est sa vision de la justice. Peu de gens peuvent répondre à cette question, à vrai dire. On peut craindre qu’il mette sa nouvelle fonction au service de sa trajectoire personnelle.
Ce qu’il propose relève du grand n’importe quoi : organiser des opérations « place nette » dans les maisons d’arrêt est absurde. Ce sont déjà des endroits supposés être ultrasécurisés. Malheureusement, ils ne le sont pas.
Il pourra faire autant d’opérations qu’il le souhaite, il y aura toujours un renouvellement de fournitures en matière de téléphone ou de drogue puisqu’il y a une économie parallèle. C’est ce qui arrive quand on n’est pas capable de faire appliquer la loi dans des lieux où sont supposés être incarcérés des gens qui le méritent parce qu’ils ont été condamnés.
Nous payons quarante ans d’abandon de politique sécuritaire digne de ce nom, que ce soit au niveau de la police ou de la justice. Je rappelle que le nombre de places dans les prisons reste encore très insuffisant et que le nombre d’infractions s’est démultiplié. Par ailleurs, nous n’avons rien pour faire appliquer les peines courtes. Maintenant, des jeunes délinquants mineurs ont un parcours sans entrave, de la petite délinquance jusqu’à la grande criminalité. C’est là-dessus qu’il faut agir. Nous devons impérativement casser ce processus d’évolution d’un parcours de délinquance. Il faut le faire, mais certainement pas en faisant des opérations « place nette ». On en arrive aujourd’hui à se dire que la loi doit être appliquée en maison d’arrêt. C’est surréaliste !
Gérald Darmanin parle également d’isoler les cent plus grands narcotrafiquants, mais comment compte-t-il s’y prendre ? Il va les placer dans des maisons d’arrêt qui n’existent pas ? On est dans le pur fantasme. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est que le garde des Sceaux est le fils spirituel de Nicolas Sarkozy. Autrement dit, beaucoup de buzz et de punchlines, mais peu d’actes.
Je crains également qu’il profite de son portefeuille pour aller au bout de ce que voulait mettre en œuvre l’ancien chef de l’État : supprimer les juges d’instruction et affaiblir encore plus l’appareil judiciaire.
Vous dites que Gérald Darmanin est « dans la politique spectacle ». Pour vous, il ne sera pas différent de ses prédécesseurs ?
Aucun ministre n’a été à la hauteur de la lutte contre le narcotrafic. Cette problématique est envisagée seulement sous le prisme de la sécurité, alors que c’est un sujet bien plus complexe. La consommation de drogue relève d’un mal-être de la société.
Elle est matraquée d’informations stressantes véhiculées à longueur de journée par les chaînes d’information en continu, et ainsi, devient anxiogène.
Par conséquent, les gens consomment beaucoup de stupéfiants ou des psychotropes. Le prix d’une consultation chez le psychiatre étant élevé, la plupart des personnes préfèrent acheter de la drogue. L’enjeu médical doit donc être pris en compte.
Le tandem avec Bruno Retailleau n’est-il quand même pas un bon signal envoyé aux forces de l’ordre ? « Avec eux, la chaîne pénale va être cohérente. C’est un binôme très complémentaire avec un intérêt commun : incarner la sécurité », a récemment déclaré la maire LR de La Baule Franck Louvrier.
Non. Encore une fois, on est dans l’apparence. Mais ce qui me navre particulièrement dans cette histoire, c’est l’absence de contre-pouvoirs institutionnels qui ont laissé les politiques affaiblir l’appareil policier.
Souvenez-vous du discours de Nicolas Sarkozy en 2008 dans lequel il annonçait la suppression d’un poste de fonctionnaire de police sur deux. Personne ne s’est levé pour dénoncer cette politique à l’époque ! Aujourd’hui, nous en payons le prix. Les services de police sont en surcharge, les agents ne sont pas assez nombreux pour traiter les dossiers et sont noyés sous les plaintes et une procédure chronophage.
À cela s’ajoute un déficit de magistrats et de personnels judiciaire. Pour revenir sur le « tandem Retailleau-Darmanin » n’oublions pas que ces deux personnages sont issus d’une formation politique qui n’a eu de cesse d’affaiblir le pouvoir régalien. Il n’y a donc rien à attendre d’eux.
Quelles politiques seraient, selon vous, efficaces pour lutter contre le narcotrafic ?
Il faut mettre en œuvre une politique globale de lutte contre le trafic de stupéfiants et doit notamment passer par plus de coopération internationale.
N’oublions pas que des zones entières de la planète vivent grâce à la drogue. Si demain, on supprime l’économie du narcotrafic en Amérique latine, au Maghreb ou en Asie, il y aura de toute évidence, des problèmes d’instabilité politique pour bon nombre de pays, à l’instar de la Colombie, du Maroc et de l’Afghanistan, pour ne citer qu’eux.
Ensuite, nous devons nommer des personnalités sérieuses, compétentes et non-ambitieuses place Beauvau et place Vendôme.
Aujourd’hui, des gangs font régner la terreur dans les cités, dans les petites communes ou même les grandes comme Marseille, et les politiques ne contrôlent plus rien. Ils préfèrent malheureusement se focaliser sur des événements comme les Jeux olympiques, la réouverture de Notre-Dame etc. C’est une manière pour eux de camoufler leurs échecs et détourner l’attention de l’opinion publique.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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