Les autorités françaises avancent à pas comptés pour faire revenir les Français partis vivre ou combattre en Syrie sous la bannière du groupe Etat islamique, un dossier juridiquement complexe et ultra-sensible dans un pays frappé par les attentats jihadistes.
La fin imminente du « califat » territorial de l’EI en Syrie et la perspective du retrait des forces américaines qui met sous pression les combattants kurdes détenant des dizaines de Français contraignent Paris à se préparer à ces retours, plutôt que de courir le risque de voir ces jihadistes et leurs familles se disperser.
Le compte exact de ces Français susceptibles de revenir en France n’est pas public. Selon diverses sources, il oscille autour de 130 personnes, dont une majorité de mineurs, actuellement entre les mains de la coalition arabo-kurde FDS. Un « peu plus d’une centaine de personnes sont dans des camps » a déclaré lundi le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
« On examine toutes les options: on pourrait les amener dans un autre pays, les ramener directement de Syrie, négocier avec la Turquie… », résume à l’AFP une source proche du dossier sous condition de strict anonymat.
« C’est un dossier ultra-sensible. Le travail commun en cours (entre plusieurs ministères, ndlr) nécessite la plus grande prudence, on ne veut pas risquer le moindre vice de procédure qui permettait à un seul de ces jihadistes d’être relâché à son arrivée en France », renchérit une autre source bien informée.
Les modalités du retour de ces individus ont été abordées lors d’au moins une réunion de haut niveau il y a quelques jours.
Marie Dosé, avocate de plusieurs femmes détenues en Syrie, attend une « position claire et précise du gouvernement », dont elle dénonce « les contradictions et les errements depuis 18 mois », a-t-elle dit à l’AFP.
Ces jihadistes et leurs proches se trouvent en Syrie, pays souverain en guerre, mais aux mains des FDS, majoritairement composées de Kurdes qui ne forment pas un Etat souverain internationalement reconnu. Faire entrer ces prisonniers dans un circuit de procédure inattaquable est délicat, et c’est pourquoi les autorités restent très évasives et multiplient les précautions oratoires quand elles sont interrogées sur le sujet.
« Nous ne ferons revenir personne », a déclaré lundi le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner. « J’ai parlé de gens qui seraient expulsés et puis de gens qui pourraient revenir ».
Le terme « expulsion » renvoie à une procédure juridique initiée par une autorité souveraine. Il n’est pas certain qu’une expulsion par les FDS ne soit pas exempte de risque juridique, il convient de trouver un contournement inattaquable.
« On n’a pas passé un accord (d’expulsion) avec les Kurdes à l’heure où je vous parle », souligne une des sources proches du dossier.
« Je ne vois pas trop d’ailleurs comment les Kurdes syriens pourraient procéder à leur expulsion car une telle procédure exige un Etat de droit, un Etat tout court, avec des voies de recours contre l’expulsion », estime Me Dosé.
Sans compter le cas épineux des enfants de parents français nés dans des territoires syriens alors contrôlés par l’EI, sans existence légale. Et en toile de fond le reste de la famille française, notamment les grands-parents, qui veulent les récupérer.
Fin décembre, la justice belge a ordonné à l’État d’organiser le rapatriement de six enfants retenus avec leur mère en Syrie.
« En Syrie, il n’y a pas vraiment d’État, d’autorités judiciaires (dans le Nord-Est, ndlr) et dans ce cas-là, nous considérons que toutes les possibilités doivent être ouvertes d’autant plus que dans cette zone du Nord-Est, les États-Unis nous ont fait savoir qu’ils envisageaient de se retirer », résume Jean-Yves Le Drian.
Ce retrait annoncé par Donald Trump met sous pression les FDS, qui ont prévenu qu’ils ne pourraient pas continuer indéfiniment de garder leurs prisonniers car ils craignent, une fois les Américains partis, que leurs ennemis turcs en profitent pour les attaquer.
« Le risque majeur, c’est la dispersion » des jihadistes, explique M. Le Drian.
La perspective d’un retour en France de ces hommes et ces femmes ayant embrassé la cause de l’EI, provoque d’ores et déjà la polémique dans un pays régulièrement frappé par des attentats jihadistes. Les attaques de novembre 2015 à Paris, qui ont fait 130 morts, avaient été fomentées depuis la ville syrienne de Raqa, alors aux mains de l’EI.
« Les jihadistes ne doivent pas revenir en France », a estimé dimanche le président du parti de droite Les Républicains, Laurent Wauquiez.
« Envisager leur retour est une décision que je considère comme criminelle à l’égard de la sécurité de nos compatriotes », a de son côté estimé la dirigeante du Rassemblement National Marine Le Pen.
Tous les Français rentrés jusqu’ici des zones de jihad en Irak ou en Syrie font l’objet de poursuites par la justice antiterroriste et une majorité d’entre eux a été incarcérée.
LG avec AFP
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