Pass culture : des soupçons de conflit d’intérêts et de détournement de fonds publics

Par Germain de Lupiac
16 avril 2025 16:29 Mis à jour: 16 avril 2025 18:54

Le Pass culture est un totem de la politique culturelle d’Emmanuel Macron. Après son lancement en 2017 et des phases d’expérimentations dans plusieurs départements, il a été généralisé en 2021 à tous les jeunes de 18 ans sur l’ensemble du territoire français, puis étendu, en 2022, aux jeunes âgés de 15 à 17 ans. Il a concerné 4,2 millions de bénéficiaires depuis sa création.

Une enquête ouverte fin 2023 pour détournement de fonds publics sur les activités de conseil pour le Pass Culture d’un haut fonctionnaire a été étendue à l’infraction de prise illégale d’intérêts, a indiqué une source judiciaire le 15 avril, confirmant une information du Monde.

Dans un rapport publié en 2023, la Cour des comptes avait estimé que le Pass Culture avait été piloté en 2017 et 2018 « de manière excessivement informelle » par le biais d’une « start-up d’État », qui elle-même a fait appel à des prestataires privés et des sous-traitants. L’autorité administrative, chargée de s’assurer du bon usage de l’argent public, n’avait pu « reconstituer la liste et les fonctions précises » des consultants qu’avec « grande difficulté ».

Après le signalement de la Cour des comptes, le parquet national financier (PNF) avait ouvert fin 2023 une enquête pour favoritisme, détournement de fonds publics et recel.

Une enquête pour détournement de fonds publics

L’enquête préliminaire a été ouverte par le PNF en novembre 2023 pour favoritisme, détournement de fonds publics et recel de ces délits après un signalement de la Cour des comptes, a indiqué une source judiciaire, confirmant une information du média La Lettre.

Cette enquête, confiée à la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) de la police judiciaire, se penche sur les activités d’un haut fonctionnaire, inspecteur général des finances et ancien président du Centre national du cinéma, missionné un temps par l’ancienne ministre Françoise Nyssen, comme l’un des pilotes de la mise en place du Pass Culture.

Le haut fonctionnaire, devenu directeur des affaires publiques pour le réseau social chinois TikTok, avait fait intervenir sa société comme sous-traitante de ce dispositif. Des perquisitions ont été menées début juin 2024, notamment au ministère de la Culture, à la Direction interministérielle du numérique (Dinum) et au domicile de l’intéressé, a ajouté la source judiciaire.

L’enquête élargie au possible conflit d’intérêts 

L’association anticorruption Anticor a adressé un signalement le 17 décembre 2024 au PNF, « afin que l’enquête vise l’intégralité des faits en cause, et notamment ceux de prise illégale d’intérêts » concernant les activités de ce haut fonctionnaire, a indiqué à l’AFP Inès Bernard, déléguée générale. « Donc le dossier est susceptible d’être alourdi par l’élargissement de l’enquête ».

L’association anticorruption pointe l’avis défavorable de la Haute autorité pour la vie publique (HATVP), que le haut fonctionnaire, consultant pour la société, n’a pas suivi, concernant ses fonctions de direction « puisqu’il était sous-traitant de la société qui avait mis en œuvre le Pass et allait continuer à le faire » pour sa société.

Ces fonctions lui donnaient « un pouvoir de préparation ou de proposition de décisions prises par son président, alors même qu’il avait été sous-traitant de la société qui avait mis en œuvre le Pass et continuait à l’être » pour cette société, a développé Inès Bernard.

Le gouvernement déjà épinglé par la Cour des comptes 

La Cour des comptes avait épinglé en juillet 2023 le recours du gouvernement « dans des conditions discutables » à des consultants extérieurs lors de la mise en place du Pass Culture.  Elle avait dressé « un bilan sévère de la phase de préfiguration » de ce dispositif-phare de la politique culturelle, voulu par le président Emmanuel Macron, entre 2017 et 2022.

Dans son rapport, la Cour des comptes a également souligné n’avoir pu « reconstituer la liste et les fonctions précises » des consultants ayant travaillé sur la mise en place de l’outil culturel « qu’avec difficulté ».

Et, avait-elle estimé, « le pilotage du Pass Culture, dans sa première phase, a été emblématique des dérives du recours extensif à des consultants extérieurs pour des missions de nature administrative et politique ».

Sans citer son nom, la Cour des comptes avait considéré que le haut fonctionnaire sous enquête du PNF, « responsable et représentant public du projet, missionné par la ministre, […] aurait pu être employé directement au titre de ses compétences d’agent public plutôt que comme sous-traitant d’un prestataire ».

Celui-ci avait démissionné en novembre 2019 de ses activités de conseil auprès du Pass Culture après un article de Mediapart.

244 millions d’argent public dépensés tous les ans 

Fin 2024, la Cour des Comptes a publié un premier bilan du Pass culture concluant en un dispositif cher et aux effets limités.

Le dispositif a coûté 244 millions d’euros en 2024 avec une masse salariale de 11,3 millions d’euros fin 2023, pour 166 salariés. Ces dépenses sont jugées trop lourdes par la première juridiction financière, qui appelle une réforme profonde.

Un « recadrage budgétaire » est « indispensable » pour la Cour des Comptes, alors que la dépense budgétaire individuelle liée au Pass est passée de 93 millions d’euros en 2021 à 244 millions d’euros en 2024, soit 2,6 fois plus. À ce montant s’ajoutent les 80 millions d’euros dédiés directement aux établissements scolaires.

La société privée Pass culture qui gère le dispositif a également déplacé ses bureaux rue de la Boétie à deux pas des Champs-Élysées, pour un loyer de 1,2 million d’euros en 2023, soit une hausse de 151 % sur un an.

Le Pass était aussi censé être pris en charge par des recettes issues du secteur privé. Or, il est financé dans sa quasi-totalité par l’État – bien que géré par une société privée. Ce paradoxe exige une « remise à plat de la gouvernance » pour la Cour, pour permettre « un meilleur pilotage du dispositif » et « une meilleure information du Parlement et des citoyens ».

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