« On fait ça pour nos proches » : les familles des patients morts à l’hôpital de Remiremont (Vosges) sont déterminées à demander des comptes à l’établissement, bientôt visé par une cinquième plainte après une série de décès suspects.
« Notre maman, c’était une guerrière. On n’a pas le droit de ne pas se battre pour elle ». À l’évocation de sa mère, les yeux d’Angélique Souque s’embuent : Martine s’est éteinte le 29 juillet à l’hôpital de Remiremont, au sud d’Épinal, où elle était entrée quelques jours plus tôt pour une banale fracture du fémur. Elle avait 67 ans.
Dans le salon de son pavillon de Thaon-les-Vosges, Angélique a remis il y a peu un cliché de sa mère. « Avant, je ne pouvais pas… », souffle cette secrétaire de 44 ans, actuellement en reconversion.
Elle se souvient de cette semaine où tout a basculé, après une opération qui s’était pourtant « bien déroulée ». L’état de sa mère, greffée des poumons quelques années auparavant, s’est rapidement dégradé : maux de dos, transfusion en raison d’une anémie, jambe gonflée, essoufflement…
Le lendemain, « à 07h30 », l’hôpital appelle : « Notre mère est en arrêt cardio-respiratoire, ils essaient de la ranimer », sans beaucoup d’espoir. Lorsque les proches arrivent à l’hôpital, la chambre est « aseptisée », « ses affaires sont prêtes » : Martine est morte.
Un dossier médical « truffé d’incohérences »
De quoi ? Cinq mois après, « on ne le sait toujours pas« , se désole Angélique. Toutes les tentatives pour connaître les dernières heures de sa mère se heurteront « à un mur ». Ils n’obtiendront que de haute lutte un dossier médical « truffé d’incohérences ».
Elle dénonce des « phrases assassines », comme lorsque cette cadre de santé, agacée par ses questions, lui conseille « d’appeler le service des réclamations », comme si « un sac à main » avait été perdu, s’indigne la quadragénaire, qui a porté plainte avec ses trois sœurs et son père pour « homicide involontaire ».
Le 8 décembre 2018, Silvio Zanin reçoit lui aussi un appel du même hôpital : sa femme Claudette, 51 ans, vient de mourir après avoir été admise trois jours plus tôt pour de violentes douleurs au ventre – on lui diagnostiquera une « pancréatite aiguë ».
« Je me suis retrouvé seul avec ma femme décédée. Un médecin arrive, il me dit : Je ne connais pas le cas, je vous présente mes condoléances, et puis il parti… Et après, plus rien », se souvient ce formateur hygiène de 57 ans qui vit à Éloyes, entre Remiremont et Épinal.
Lui non plus ne sait toujours pas, quatre ans après, pourquoi son épouse est décédée : « On n’a pas de réponse sur ce qui s’est passé ».
M. Zanin, qui a réussi à obtenir, également avec difficulté, le dossier médical, y a dénombré « huit erreurs ». Lui aussi dénonce des propos qu’il juge peu empathiques : « Un médecin m’a dit: j’ai 42 patients, c’est pas du cas par cas, je ne peux pas sauver la vie de tout le monde ».
Quatre plaintes déposées
La médiatisation récente des plaintes contre l’hôpital vosgien l’a décidé à saisir à son tour la justice, plusieurs années après la mort de Claudette : pour l’heure, quatre plaintes ont été déposées, trois pour homicide involontaire (trois femmes décédées entre 2020 et 2022) et une pour mise en danger de la vie d’autrui.
Le parquet d’Épinal a également ouvert une information judiciaire contre X pour homicide involontaire.
La plainte de M. Zanin et de ses trois enfants, également pour homicide involontaire, sera la cinquième et devrait être déposée la semaine prochaine par Me Nancy Risacher, qui défend les autres proches.
« Le trait commun de ces (cinq) plaintes, c’est le flou », « l’opacité » et le côté « nébuleux » des explications de l’hôpital, estime l’avocate, contactée par d’autres personnes qui pourraient aussi saisir la justice dans ce dossier.
Une « procédure en responsabilité administrative » contre l’établissement est également en préparation, ajoute Me Risacher, selon laquelle la situation à Remiremont ne saurait être totalement « mise sur le compte » des difficultés de l’hôpital public en France, « à l’agonie ».
Sollicitée par l’AFP, la direction de l’hôpital vosgien a décliné toute demande d’interview. Dans un communiqué, elle dit être « à l’entière disposition des familles concernées pour les recevoir et tenter de leur apporter des réponses ».
Une proposition qui « arrive un peu tard », balaie Angélique Souque. Elle projette de créer avec ses sœurs une association pour « rassembler les personnes qui ont vécu les mêmes choses ». « On fait ça pour nos proches, pour qu’ils ne soient pas partis pour rien ».
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