Il est des naissances qui ne font pas grand bruit. C’est le cas de la plateforme des pétitions de l’Assemblée nationale adoptée par une révision du règlement de l’Assemblée en 2019, et rendue opérationnelle en 2020.
Peu de journaux ont, à l’époque, relayé la création de ce nouveau dispositif visant à permettre à tout citoyen ou résident français de soumettre une pétition à l’attention des députés.
Le Sénat avait devancé de peu l’Assemblée nationale en proposant sa propre plate-forme permettant aux citoyens de proposer la tenue d’une mission d’information sénatoriale ou l’ajout d’un point à l’ordre du jour.
En développant ses outils, la France comble son retard sur une pratique généralisée en Europe, visant à doter le droit fondamental de pétition de modalités concrètes d’application. Politiquement, le but est de faire davantage participer les citoyens, et réduire la fracture entre élus et électeurs.
La France en retard sur ses voisins
Si le droit de pétition est largement reconnu chez nos voisins, les modalités de sa mise en application varient. En Allemagne, la pratique date de 2005. Si une pétition est soutenue par 50.000 personnes ou plus dans un délai de quatre semaines après sa réception (pour les pétitions publiques, le délai commence à courir à partir de la publication sur Internet), elle fait généralement l’objet d’une délibération publique au sein de la commission des pétitions. Le pétitionnaire est invité à cette délibération et a le droit de prendre la parole. Au Royaume-Uni ce système existe depuis 2015. On peut obtenir une réponse si l’on obtient 10.000 signatures, et la pétition est examinée au parlement à partir de 100.000 signatures.
Le parlement européen a sa propre plate-forme depuis 2014, même si les modalités d’examen des pétitions sont à la discrétion du parlement.
Tel est également le cas du règlement de la plate-forme française créée en 2019. Une pétition atteignant 10.000 signatures dans les six mois après son dépôt est examinée dans la commission parlementaire appropriée, qui peut choisir de la classer ou de la renvoyer à un débat parlementaire aboutissant à un rapport. Lorsqu’une pétition atteint les 100.000 signatures, elle est mise en ligne sur le site de l’Assemblée nationale pour plus de visibilité, alors que si elle atteint les 500.000 signatures issues d’au moins 30 départements et collectivités d’outre-mer, elle est examinée en conférence des présidents qui décide si le parlement doit l’examiner en séance publique. Contrairement à ses voisins, donc, la plate-forme française n’offre pas un seuil qui permet de saisir directement le parlement.
Les pétitions aboutissent-elles ?
Dans les deux premières années d’existence de la plate-forme britannique, environ 10.000 pétitions avaient été enregistrées, presque 500 avaient obtenu une réponse, et 65 avaient été examinées par le Parlement. Aucune n’a donné lieu à une loi, même si quelques pétitions ont lancé un travail parlementaire qui a abouti à des décisions.
En Allemagne, le Comité des pétitions du parlement produit chaque année un rapport touffu sur le suivi des pétitions. En 2021, huit pétitions ont fait l’objet d’un examen parlementaire. Seulement une pétition n’a donné lieu à aucune suite. Les sept réponses positives exposent la façon dont la loi pourrait être adaptée pour répondre aux préoccupations des pétitionnaires.
En France, 507 pétitions ont été déposées pendant les trois premières années. Parmi elles, seulement six ont dépassé le seuil fatidique de 10.000 signatures, et aucune le seuil des 100.000. Toutes les pétitions ont été classées sans suite par les commissions respectives.
Ce faible succès de la plate-forme s’explique vraisemblablement par le fait que le public connaissait peu l’existence de ce dispositif et que, contrairement aux plates-formes de pétitions classiques comme change.org, celle-ci exige un numéro France Connect pour signer. Ceci a pu rendre la signature difficile pour les personnes peu habituées et accroître la fracture numérique.
Le tournant de la pétition de la BRAV-M
Depuis le début de la nouvelle législature en juin 2022, on constate un engouement nouveau pour la plate-forme. En moins d’un an, cinq pétitions ont déjà dépassé le seuil des 10.000 signatures. La principale raison pour cet engouement est vraisemblablement l’existence d’une pétition d’ampleur inégalée et son classement en commission des lois le 5 avril.
Cette pétition demandait la suppression de la BRAV-M, une brigade de répression de l’action violente motorisée controversée en raisons de plusieurs incidents durant les manifestations. Soutenue par la France Insoumise, cette pétition a fait exploser les compteurs. Elle a été examinée moins de 15 jours après son dépôt, alors qu’elle atteignait déjà plus de 250.000 signatures.
Le succès inégalé de la pétition sur la BRAV-M a permis à beaucoup de personnes de connaître la plate-forme des pétitions et d’acquérir les compétences pour devenir signataires. Le contexte de forte mobilisation sociale a aussi conduit les médias à couvrir le sujet : le lancement et le sort réservé à la pétition sur la BRAV-M a été évoqué par France Inter, BFM ou encore Libération. Ces aspects, associés à la frustration d’une pétition classée, ont multiplié les nouvelles pétitions ainsi que les nouveaux signataires.
Le même jour, la commission des lois a également examiné et classé la pétition portant sur l’introduction du référendum d’initiative citoyenne constitutionnel, célèbre revendication des « gilets jaunes ». Si celle-ci a obtenu beaucoup moins de signatures que celle concernant la BRAV-M, elle traduit néanmoins une revendication très populaire dans l’opinion. D’après une enquête IFOP, elle recueillait 73% d’avis favorables en 2022. Une enquête d’OpinionWay datant de 2023 indique également que le référendum d’initiative citoyenne constitutionnel est considéré comme le meilleur moyen pour faire évoluer nos institutions. Le classement de cette pétition, après un débat rapide, a également renforcé les frustrations.
Ces frustrations sont visibles lorsqu’on observe l’objet des nouvelles pétitions déposées sur la plate-forme. Depuis avril, pas moins de 24 pétitions ont été déposées pour dissoudre la BRAV-M, dont la plus soutenue dépasse les 25.000 signatures. Trois autres pétitions ont été déposées pour demander d’examiner le référendum d’initiative citoyenne, dont une immédiatement soutenue par des personnalités politiques comme François Ruffin ou Jean Lassalle.
?RIP le Rip ! Le Conseil constitutionnel vient d’enterrer le référendum d’initiative partagée sur la retraite Macron. Les conditions qu’ils multiplient le rendent, en fait, presque impraticable.
Il est temps de gagner un vrai Référendum d’initiative citoyenne.
— François Ruffin (@Francois_Ruffin) May 3, 2023
À côté de la relance des pétitions qui venaient d’être classées, d’autres pétitions, plus radicales, on vu le jour. Six pétitions ont été lancées pour la destitution du Président de la République, parmi lesquelles la plus soutenue dépasse les 60.000 signataires. La plate-forme est dès lors investie essentiellement par des thématiques institutionnelles, avec l’exception de la pétition pour l’allongement du congé maternité, qui avait été déposée bien avant le 5 avril.
Tout ceci illustre comment les nouveaux instruments de participation citoyenne ne réconcilient pas forcément les électeurs avec leur système politique. Au contraire, ceux-ci peuvent nourrir le ressentiment populaire et accroître la polarisation. En effet, l’existence d’un dispositif d’expression est insuffisante, si cette parole ne reçoit pas la considération qu’elle réclame. Qu’il n’y ait pas de méprise : le problème n’est pas que ces pétitions n’aboutissent pas à une législation – elles n’ont pas forcément vocation à l’imposer. Mais elles ont vocation à mettre à l’agenda un débat public et ouvert. Lorsque les pétitions sont examinées, étudiées et discutées, la plate-forme devient une institution qui attire les idées et les démarches constructives, comme c’est le cas en Allemagne. Sans de telles perspectives, les pétitions en ligne sont vouées à être sous-utilisées ou employées pour exprimer contestation et mécontentement.
Article écrit par Raul Magni-Berton, Professeur de sciences politiques, Sciences Po Grenoble, UMR Pacte, Institut catholique de Lille (ICL) et Clara Egger, Assistant professor of global governance, Erasmus University Rotterdam
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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