ENTRETIEN – Philippe Charlez est docteur en physique et expert en questions énergétiques. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont L’Utopie de la Croissance verte (Laffont, 2021) et Les dix commandements de la transition énergétique (VA éditions, 2023). Il répond aux questions d’Epoch Times sur la PPE3.
Epoch Times : Philippe Charlez, la troisième Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) suscite de nombreuses critiques, notamment de la part d’une partie de la classe politique et de nombreux experts énergéticiens en raison de ses ambitions en termes de réduction d’énergie et de la trop grande part accordée aux énergies renouvelables. Quel est votre avis ?
Philippe Charlez : Cette troisième édition de la Programmation pluriannuelle de l’énergie suit à la lettre les objectifs du Pacte vert. Elle impose une réduction beaucoup trop importante de la consommation d’énergie. À l’heure actuelle, la consommation globale d’énergie finale en France est de l’ordre de 1600 TWh par an. La PPE vise 1100 TWh à l’horizon 2035, soit une baisse de 2,8 % par an.
C’est le double de ce que nous avons réalisé au cours des dix dernières années. Il s’agit là d’un d’objectif inatteignable, sauf à accepter de facto d’entrer dans une économie de décroissance. Une telle politique est totalement incompatible avec la volonté affichée par Emmanuel Macron de réindustrialiser et de réarmer le pays.
Le second problème est que, comme déjà indiqué, cette PPE3 se calquant sur le Pacte vert, impose à l’horizon 2030 une part d’énergies renouvelables de 42,5 %. Or, à cinq ans de l’échéance, nous ne sommes qu’à 20 %.
Aussi la PPE3 prévoit-elle la mise en œuvre de capacités renouvelables totalement irréalistes en portant en une décennie la puissance solaire à 90 GW (contre 20 GW aujourd’hui) et la puissance éolienne terrestre à 47 GW (contre 20 GW aujourd’hui). Ce rythme effréné est d’autant plus déraisonnable que la PPE3 ne prévoit aucune capacité de gaz supplémentaire pour gérer les demandes de pointe.
Comment décryptez-vous la volonté de vouloir réduire à tout prix la part des énergies fossiles dans le mix énergétique ?
Vouloir réduire la consommation d’énergies fossiles est tout à fait légitime dans la mesure où elles sont la source principale des émissions et ne sont pas inépuisables. Je ne critique pas les objectifs en tant que tels mais le rythme de mise en œuvre totalement farfelu.
Selon une information du Figaro, François Bayrou propose d’organiser dans « les prochaines semaines » un débat parlementaire sans vote basé sur l’article 50-1 de la Constitution sur la PPE3. Pour vous, ce débat peut-il être pertinent ? On sait que beaucoup de députés et de sénateurs ont demandé à l’exécutif de renoncer à la publication imminente de la PPE.
Initialement le gouvernement voulait faire passer la PPE3 par simple décret. Le fait que François Bayrou propose un débat est certes un progrès, mais, en refusant le vote, le Premier ministre fait du « en même temps » pour essayer de gagner du temps. Ce débat représente un risque important de faire apparaître au grand jour un projet totalement hors sol.
La colère de certains députés et sénateurs contre le gouvernement ainsi que la menace de censure brandie par le RN devraient faire réfléchir l’exécutif. D’autant que si le texte était soumis au vote, il y a une forte chance qu’il passe avec la gauche ainsi qu’avec une partie non-négligeable de la macronie qui y est plutôt favorable.
En revanche, cela pourrait semer la zizanie au sein de l’exécutif dans la mesure où Les Républicains sont majoritairement contre. C’est pour cette raison que François Bayrou n’ira pas jusqu’au vote.
Certains experts affirment que cette feuille de route est antinucléaire. Pourtant, elle prévoit une relance de cette filière…
En première lecture, cette feuille de route est plutôt pronucléaire. La PPE2 prévoyait de fermer 14 réacteurs nucléaires et de n’en construire aucun. Dans la droite ligne du discours de Belfort de février 2022, la PPE3 ne propose plus de fermeture et anticipe la construction de 14 nouveaux EPR. Cette troisième Programmation Pluriannuelle de l’Énergie n’est donc pas hostile à l’atome puisqu’elle marque une volonté de revenir au nucléaire.
Cependant, dans les faits, la PPE3, considérant avec raison que les nouveaux réacteurs ne peuvent sortir de terre avant 2040, mise donc préférentiellement sur les énergies renouvelables (ENR). Excepté que les ENR ne jouent en rien le même rôle. Parallèlement à une montée en puissance raisonnable des ENR, il aurait fallu intégrer en transition des capacité gazières peu coûteuses, très rapides à mettre en œuvre et pouvant jouer à la fois le rôle de base et de pointe.
Les capacités mises en œuvre pourront-elle satisfaire la demande ?
La question devrait être posée en sens inverse : ces capacités pourront-elle rencontrer une demande d’électricité suffisante dans la décennie qui vient. La transition énergétique repose en effet sur un grand remplacement des usages thermiques (voitures diesel et à essence, chaudières au fioul et au gaz, sidérurgie au charbon, cimenterie au gaz) par des usages électrique (véhicules électriques, pompes à chaleur, hydrogène).
Et c’est ce grand remplacement qui est censé justifier un accroissement significatif de la demande électrique. Ainsi dans beaucoup de scenarios, l’électricité, qui ne représente aujourd’hui que 28 % de l’énergie finale, est supposée passer à 50 % en 2040 voire à 65 % à l’horizon 2050.
Or, ce grand remplacement, on ne le voit pas venir. Les voitures électriques sont loin de faire l’unanimité et les PACs (pompes à chaleur, ndlr) sont beaucoup trop chères pour la majorité de la population.
On a au contraire vu la consommation d’électricité baisser au cours des dernières années. La PPE3 est donc en train de mettre la charrue avant les bœufs : construire à grands frais des capacités notamment éoliennes et solaires sans aucunes garanties qu’elles soient utilisées dans le futur.
Quelles pourraient être les conséquences sociales d’une telle stratégie ? Peut-on craindre une hausse des prix de l’énergie ?
La PPE 3 repose sur une baisse fictive de la consommation de l’énergie qui a peu de chance de se réaliser à court terme, notamment sur les énergies fossiles. La baisse des énergies fossiles se fera par une baisse de la demande, ce qui sera long. Réduire cette consommation en réduisant l’offre, par exemple en arrêtant de développer de nouveaux champs pétroliers ou gaziers, est en revanche suicidaire, car cela pourrait induire des accroissements rapides des prix à la pompe et faire descendre dans la rue 10 millions de Gilets Jaunes.
Parallèlement, l’accroissement irraisonnable d’énergies renouvelables dans le mix électrique accélérera les perturbations du marché de l’électricité : quand le vent et le soleil ne seront pas au rendez-vous, les prix de l’électricité augmenteront au grand dam des consommateurs ; inversement, durant les périodes d’abondance de soleil et de vent, les producteurs d’électricité seront confrontés à des prix négatifs. In fine, tout le monde est perdant.
Et puis, cerise sur le gâteau, n’oublions pas le coût lunaire de cette transition qui, pour respecter le funeste Pacte Vert, pourrait coûter jusqu’à 200 milliards d’euros par an. Une somme qui donne le vertige et qui, compte tenu des faibles émissions de la France, n’aura aucun impact sur le climat.
Avec la PPE3, la France est en train de se suicider sur l’autel de la vertu.
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