ENTRETIEN – Directeur de recherche au CNRS et auteur d’une vingtaine d’ouvrages, en dernier lieu Au-delà des fractures chrétiennes (Salvator, 2024) Philippe d’Iribarne répond aux questions d’Epoch Times sur les premiers mois de François Bayrou à Matignon.
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Epoch Times : En décembre, François Bayrou a été nommé Premier ministre par Emmanuel Macron. Diriez-vous que jusqu’à présent, dans un contexte d’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale, l’actuel locataire de Matignon a su s’imposer ?
Philippe d’Iribarne : François Bayrou a échappé à plusieurs reprises à des motions de censure et est parvenu à faire voter un budget. C’est déjà une belle performance par rapport à son prédécesseur, Michel Barnier, dont le gouvernement n’a tenu que trois mois. Il donne l’impression de bien savoir naviguer en eaux troubles.
En quoi, selon vous, sa manière de gouverner est-elle différente de celle de Michel Barnier ?
C’est une personnalité politique plus souple que Michel Barnier.
Il s’est montré par exemple ouvert à la discussion avec le Parti socialiste sur la question des retraites, tout en affirmant que rien ne se fera si les partenaires sociaux n’arrivent pas à un accord qui ne détériore pas encore la situation financière du régime des retraites. Sa manière de gouverner convient à la situation politique actuelle d’absence de majorité.
À l’évidence, François Bayrou est un homme de négociations et de compromis, une qualité proche du courant centriste. Cela étant, le centrisme n’est pas exactement le « en même temps » d’Emmanuel Macron. Il s’agit de surmonter des désaccords entre gens de bonne volonté pour parvenir à mettre en œuvre des politiques, non de transcender les contraires.
Les premières semaines de François Bayrou ont également été marquées par les événements de Mayotte. A-t-il répondu efficacement à la crise que traverse l’île ?
Il faut bien distinguer l’aspect de manifestation compassionnelle de celui de l’utilité pratique dans la mise en route d’une démarche de reconstruction.
Le fait de ne pas se rendre sur l’île sur le champ, en considérant que la présence du président de la République et du ministre de l’Intérieur suffisait, était raisonnable du point de vue de l’utilité pratique, mais maladroit du point de vue compassionnel. Mais cela a été très vite oublié. Aucune motion de censure n’a d’ailleurs été déposée à ce sujet.
Le projet de loi de finances 2025 a été définitivement adopté le 6 février. Avec ce texte, le gouvernement entend notamment « réduire le déficit public à 5,4 % du PIB en 2025 après un dérapage de 6,1 % en 2024 et de 5,5 % en 2023 ». Certains ont jugé qu’il contenait trop de hausses d’impôts et pas suffisamment de baisses des dépenses. Qu’en pensez-vous ?
Quand nous comparons nos dépenses et le poids de la bureaucratie à ce que l’on trouve chez nos voisins, on constate qu’il y a un problème.
À titre d’exemple, en matière de santé, nos dépenses ne sont pas inférieures à celles de l’Allemagne, mais le nombre de soignants est nettement plus bas parce que nous avons beaucoup plus de bureaucrates de la santé que les Allemands. En France, les normes, dont on se rend bien compte aujourd’hui qu’elles peuvent être contreproductives, se sont multipliées en lien avec le poids de l’administration.
Mais le Premier ministre n’est pas dans la position de Donald Trump et d’Elon Musk, qui peuvent du jour au lendemain licencier la moitié d’un ministère. On est dans un contexte français avec des fonctionnaires qui appartiennent à des corps. Mener des réformes profondes peut prendre des années. Si le gouvernement arrive à faire quelque chose fin 2025 qui s’appliquera en 2026, je pense que nous pourrons déjà l’applaudir.
Entre les dépenses qui risquent de provoquer de grands mouvements sociaux – si on les réduit – et celles qui sont très difficiles à réguler, la France se trouve dans une situation délicate. Le projet de réduire rapidement les dépenses était trop optimiste.
L’heure de vérité viendra lors du budget de l’année prochaine. On verra si ce qu’a annoncé François Bayrou en matière de débureaucratisation va fonctionner, s’il y a des secteurs où la combinaison de l’excédent des fonctionnaires et de l’excédent des normes peut être remise en cause concrètement.
Puis, il y a évidemment l’héritage des 35 heures. Dans nombre de collectivités territoriales, on est bien en dessous de ce temps de travail hebdomadaire, en tout cas en pratique. Mais revenir sur cet état de fait est très difficile.
L’augmentation des dépenses publiques est le fruit de dizaines d’années de politiques publiques. On ne peut pas remettre en cause en trois mois le fruit de leur accumulation.
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