Moins de vingt-quatre heures en Arabie saoudite auront suffi pour écorner, sans doute durablement, l’image que veut se donner Joe Biden sur le plan diplomatique: celle de grand patron des démocraties et des défenseurs des droits fondamentaux.
La vie de tout responsable politique est émaillée de promesses qui reviennent comme autant de boomerangs quand elles butent sur les faits.
Pour le président américain de 79 ans, il y a désormais l’engagement, pris pendant sa campagne, de traiter l’Arabie saoudite en « paria ».
Ou cette déclaration du 4 juillet 2021 sur la place des Etats-Unis sur la scène internationale: « Nous menons en montrant l’exemple, pas en montrant notre force. Nous faisons partie de quelque chose qui nous dépasse. Nous sommes une boussole pour le monde ».
Comment réconcilier ces mots avec les couvertures de la presse américaine samedi, alors que Joe Biden concluait une visite éclair dans la monarchie pétrolière ?
Sur beaucoup, la même photo: le « fist bump », salut poing contre poing de Joe Biden avec le prince héritier Mohammed ben Salmane, qui l’a reçu vendredi dans son palais royal de Jeddah.
Fin de visite pour Biden au Moyen-Orient, où il a tenté de réaffirmer l’influence américaine https://t.co/gaaVsOlBs9 pic.twitter.com/mDFFb9CvSL
— RFI (@RFI) July 16, 2022
Celui-là même que les Etats-Unis, sous l’impulsion de Biden, ont désigné comme le commanditaire de l’assassinat en 2018 du journaliste critique saoudien Jamal Khashoggi.
La Maison Blanche a bien tenté de déminer une rencontre qu’elle savait être explosive. Le Washington Post, journal pour lequel écrivait Jamal Khashoggi, a publié avant le départ une tribune du président s’expliquant sur son voyage.
Précautions sanitaires supplémentaires
A l’entame de sa première tournée au Moyen-Orient, qui l’a emmené en Israël, dans les Territoires palestiniens et en Arabie saoudite, l’équipe de communication a expliqué que Joe Biden prendrait des précautions sanitaires supplémentaires en raison du Covid-19.
Des journalistes avaient immédiatement soupçonné une volonté d’éviter une poignée de main avec le réel homme fort du royaume.
Le président, d’un naturel expansif, ne s’est guère tenu à ces consignes lors de sa chaleureuse visite dans l’Etat hébreu, multipliant poignées de mains et accolades.
Mais à Jeddah, il y eut donc ce salut poing contre poing, censé être plus sûr face au virus. Mais qui n’a pas immunisé Joe Biden contre l’orage médiatique.
C’était « pire qu’une poignée de main », a déclaré le PDG du Washington Post, Fred Ryan, dans un communiqué. « Cela produisait une impression d’intimité et d’aisance qui donne à MBS la réhabilitation inconditionnelle qu’il voulait tant ».
Les journalistes présents dans le convoi de Joe Biden n’ont pas vu la scène: à leur arrivée aux portes de l’imposant palais saoudien, le président américain était déjà rentré.
Mais les médias officiels saoudiens ont rapidement diffusé cette image, immédiatement devenue virale, puis d’autres clichés des deux hommes.
Les journalistes accrédités à la Maison Blanche, cantonnés dans une petite pièce du palais, n’ont eu accès vendredi qu’à une réunion des délégations américaine et saoudienne, lors de laquelle le président et son hôte ont fait de courtes déclarations.
Mais impossible de les entendre: les reporters, tenus à bonne distance de la grande table de réunion, n’avaient pas été autorisés à emporter de micros perche, ceux utilisés en télévision et en radio pour mieux capter les sons.
Avoir évoqué l’assassinat « au début » de sa réunion
L’exécutif américain a ensuite organisé en toute hâte vendredi un bref point presse.
Joe Biden, tendu, a dit avoir évoqué l’assassinat « au début » de sa réunion avec le prince héritier. J’ai fait savoir « clairement ce que j’en pensais à l’époque et ce que j’en pense aujourd’hui », a-t-il assuré.
Samedi, ce président qui veut mener le combat des démocraties contre les autocraties, a aussi déclaré, lors d’une réunion avec MBS et des dirigeants arabes: « le futur appartiendra aux pays (…) dont les citoyens peuvent remettre en cause et critiquer leurs dirigeants sans peur de représailles ».
Mais Joe Biden avait dit, en Israël: « Je ne me suis jamais tu quand il s’agit de parler des droits humains. La raison de ma venue en Arabie saoudite est toutefois bien plus large. C’est pour promouvoir les intérêts des Etats-Unis ».
Ce qui implique de renouer avec un vieil allié stratégique de Washington, gros consommateur d’armement et indispensable fournisseur de pétrole.
Vendu pour une goutte de pétrole
Joe Biden a besoin d’une production plus abondante de brut pour faire baisser les prix élevés de l’essence, qui plombent les perspectives de son parti avant des législatives en novembre.
« Les autocrates ont le sourire, le soutien de Biden aux droits humains peut être vendu pour une goutte de pétrole », a commenté samedi sur Twitter Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch.
Yasmine Farouk, du Carnegie Endowment for International Peace, estimait récemment lors d’un débat: « S’il y a un pays qui peut obtenir de l’Arabie saoudite un quelconque progrès sur les droits humains, ce sont les Etats-Unis. (…) S’ils décident que c’est trop risqué, ou trop chronophage de parler avec les Saoudiens de valeurs et de droits humains, personne d’autre ne le fera. »
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