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Pots-de-vin et EPO : quand la justice s’invite dans les coulisses de l’athlétisme

novembre 1, 2017 17:40, Last Updated: novembre 1, 2017 17:41
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Comment la machine antidopage de l’athlétisme s’est-elle déréglée pour dérouler un tapis rouge à la Russie ? Entre Monaco, Moscou et Dakar, la justice française enquête depuis deux ans dans les coulisses de la piste aux étoiles, dévoilant un scénario invraisemblable de corruption.

Le scandale, révélé par la chaîne allemande ARD fin 2014 puis à travers les enquêtes lancées par l’Agence mondiale antidopage (AMA) et par le parquet national financier à Paris en octobre 2015, a fini par priver la Russie des pistes olympiques de Rio et des Mondiaux d’athlétisme de Londres. Mais jusque-là, des signaux d’alerte étaient restés sans suite, entre impuissance et passivité.

La partie commence des années plus tôt, avant les Jeux de Londres 2012. A l’époque, la Russie de Poutine compte bien sur le sport pour réaffirmer sa puissance, mais dans l’arsenal antidopage, une nouvelle arme, le passeport biologique, qui permet d’étudier un profil sanguin dans le temps, est arrivée à maturité.

En juillet 2009, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) s’inquiète déjà, par écrit, auprès du président de la fédération russe de la discipline, par ailleurs trésorier de l’IAAF, Valentin Balakhnichev. Certains athlètes invoquent leur statut de militaires, pour justifier la difficulté à être localisés, tandis que les analyses sanguines de plusieurs marcheurs sont particulièrement suspectes.

« En 2011, la situation a continué à s’aggraver et nous commencions à disposer des profils de quelques athlètes russes qu’il allait être possible de poursuivre », a raconté lors d’une audition devant le juge Renaud van Ruymbeke l’ancien chef du service antidopage de l’IAAF, Gabriel Dollé, qui a reconnu avoir retardé des procédures et a été mis en examen pour corruption passive.

Novembre 2011, une liste de 23 noms est établie. Mais plus rien ne va se passer normalement. Conseiller juridique du président de l’IAAF Lamine Diack, mais aussi missionné sur les questions de dopage par… la fédération russe d’athlétisme, l’avocat Habib Cissé reçoit le listing et s’envole à Moscou. L’objet du voyage est multiple : il s’agit d’accompagner Lamine Diack, qui doit être décoré par le pouvoir russe, mais aussi évoquer le renouvellement d’un important contrat de sponsoring avec la banque d’État russe VTB, les droits télé des Mondiaux-2013 d’athlétisme à Moscou et la question du passeport biologique.

« Avec Valentin Balakhnichev nous avons conclu un compromis (…) il fallait différer la suspension des athlètes russes pour obtenir le contrat VTB », a expliqué Lamine Diack au juge, selon une audition dont l’AFP a eu connaissance.

Confronté à un mail embarrassant de son fils Papa Massata Diack, conseiller marketing à l’IAAF, le Sénégalais rend le scénario encore plus rocambolesque en révélant avoir sollicité et obtenu, en 2009 et 2011, des financements russes pour mener campagne dans son pays contre le président en place Abdoulaye Wade.

« Cette décision ne relevait pas de Valentin (Balakhnichev). Je lui ai demandé de faire passer le message à Poutine (…) le message est passé », a-t-il confié au juge, évoquant des sommes de « 400, 450 000 euros » pour 2009, puis 1,5 million de dollars en 2012.

Des cas extrêmes

Fin 2011, parmi les athlètes suspects, figurent de futurs médaillés à Londres, comme Sergey Kirdyapkin (50 km marche) et Olga Kaniskina (20 km marche). Ou la marathonienne Lilya Shobukhova. Dans son cas, l’un des experts missionnés par l’IAAF souligne le 7 décembre 2011 que les analyses d’hémoglobine issues de contrôles lors des deux marathons de Chicago remportés en 2009 et 2011 « sont si extrêmes que cette affaire doit être considérée comme une urgence médicale ». Le rapport souligne un « usage massif » d’EPO et « un très fort risque de thrombose et d’ischémie dans les organes majeurs, comme le cœur, le système nerveux central et les intestins ».

La première trace d’un courrier de l’IAAF à Balakhnichev sur son cas remonte pourtant au 12 juin 2012. Et la procédure va rester des mois sans réponse, permettant à Shobukhova de courir à Londres, puis de disputer d’autres compétitions.

A Monaco, siège de l’IAAF, la lenteur des procédures ne passe pas inaperçue. Dans un mail du 4 octobre 2012 saisi par les enquêteurs, Thomas Capdevielle, l’un des adjoints de Dollé, lui demande de ne « pas répéter l’erreur de Kaniskina aux JO et arrêter Shobukhova immédiatement », alors que se profile un nouveau marathon de Chicago. « Dollé m’a dit qu’il appelait Balakhnichev. Mais Shobukhova a quand même couru », a confié Capdevielle aux policiers venus l’interroger début 2017.

Tricherie et trafic d’influence

Autre courriel, à la veille de Noël 2012. « Le problème que nous connaissons aujourd’hui sur la rétention volontaire des cas de passeports russes est extrêmement sérieux », dénonce auprès de ses collègues le médecin Stéphane Bermon, alors membre de la commission médicale de l’IAAF, dont il finira par démissionner.

« Il y a tricherie et très certainement trafic d’influence », ajoute-t-il dans ce mail, déjà révélé par le quotidien français Le Monde, en dirigeant ses soupçons sur le « réseau banque VTB, Valentin Balakhnichev, Habib Cissé, Président Diack ». Contacté, il n’a pas souhaité s’exprimer, disant avoir « laissé tout ceci derrière » lui.

Cinq ans après ce message prémonitoire, les noms cités sont ceux des acteurs clés de l’affaire. Et la justice soupçonne un système plus vaste. L’un des documents saisis au cabinet d’Habib Cissé indique en anglais que « doivent être protégés six athlètes (Kaniskina, Borchin, Kanaikin, Kirdyapkin, Shohoukhova, Zaripova). Pour certains figurent des sommes, « Kirdyapkin (700.000 euros) » ou « Zaripova (600 000 euros) ».

« On n’a pas parlé de paiements par les athlètes russes, à aucun moment », a juré Lamine Diack devant le juge.

La justice, qui n’a pas terminé ses investigations, a de quoi être sceptique. Elle a la preuve que Lilya Shobukhova a bien payé 450 000 euros début 2012 à l’entraîneur de l’équipe nationale Alexei Melnikov. Et quand elle a enfin été suspendue, en 2014, elle a obtenu que lui soient restitués 300 000 euros. L’argent lui a été viré depuis le compte d’une société dénommée Black Tidings, qui a conduit les enquêteurs à Papa Massata Diack.

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