L’accès aux films en langue originale s’est largement démocratisé, ainsi que l’accès à des sous-titres en différentes langues. Si leur objectif est de permettre de comprendre les dialogues d’un film dont la langue n’est pas connue, ils sont de plus en plus envisagés sous un angle pédagogique. En clair, regarder un film dans une langue étrangère qu’on étudie serait un bon moyen d’acquérir du vocabulaire dans cette langue.
Néanmoins, selon le niveau d’apprentissage où on se situe et les compétences dont on dispose dans la langue du film, l’impact des sous-titres sur notre compréhension du film est toutefois assez variable. Alors, votre film, avec ou sans sous-titres ?
Différents types de sous-titres
Comprendre un film implique de traiter un format audiovisuel, donc multimodal, complexe. La personne qui visionne un film doit en l’occurrence traiter de façon simultanée des informations verbales et non verbales en interaction constante, à travers les systèmes perceptifs visuel et auditif. L’objectif visé par l’adjonction de sous-titres est de faciliter la compréhension, mais cela génère une nouvelle source d’information avec un texte dont le défilement et le rythme échappent à notre contrôle. Les différents formats de sous-titres pouvant être utilisés sont les suivants :
– un format interlangues standard, où les dialogues sont dans la langue originale du film et les sous-titres dans la langue maternelle du pays des spectateurs ;
– un format interlangues inversé, avec des dialogues dans la langue maternelle des spectateurs et des sous-titres dans la langue originale du film ;
– un format « intralangue », utilisé souvent pour les déficients auditifs, avec sous-titres et dialogues dans la langue originale du film.
On peut assez facilement envisager qu’en fonction des combinaisons de langues qui vont être présentées à l’écran, la mémorisation de vocabulaire dans une autre langue ne se fera pas d’une façon aussi efficace. L’étude de Bairstow et Lavaur a examiné deux modalités pouvant influencer l’acquisition de vocabulaire : d’une part, la combinaison de langues à l’écran, et d’autre part la modalité de présentation de la langue (orale ou écrite).
Les participants à cette étude étaient de langue maternelle française, et ont été identifiés comme ayant un niveau faible en anglais. Ils étaient répartis dans les différentes versions de visionnage du film : standard, intralangue et inversé. Si les auteurs n’ont pas mis en évidence de différences entre les versions intralangue et standard, les participants ayant visionné le film en sous-titrage inversé (dialogues en français et sous-titres en anglais) ont obtenu les meilleures performances en termes de restitution des dialogues du film.
La version inversée est donc identifiée ici comme celle permettant une meilleure restitution des mots dans la langue étudiée, suggérant que les liens sémantiques entre les langues sont plus facilement générés en comparaison aux autres conditions de visionnage.
D’autres chercheurs ont eux mis en évidence un effet facilitateur du sous-titrage intralangue sur la rétention du vocabulaire. Selon ces études, le sous-titrage intralangue introduirait une redondance positive, là où les sous-titres standard génèrent une interférence lexicale entre les langues.
Des stratégies à adapter
Nous pouvons avoir des compétences très différentes en termes de maîtrise de la langue des dialogues du film, et si l’on veut optimiser la compréhension des dialogues il faut donc choisir la combinaison de langues qui soit la plus adaptée. L’étude de Lavaur et Bairstow a ainsi examiné les performances de compréhension d’un film chez des participants de niveau débutant, intermédiaire et avancé dans la langue étrangère.
Chaque groupe de niveau était scindé en quatre pour se voir présenter soit la version originale du film (sans sous-titres), soit la version intralangue (dialogues et sous-titres en langue étrangère), soit la version interlangue classique (dialogues en langue étrangère et sous-titres dans la langue maternelle) ou inversée (dialogues dans la langue maternelle et sous-titres dans la langue étrangère).
Si les performances des participants du groupe intermédiaire restent stables dans les différentes conditions, le groupe des débutants a de meilleures performances dans la version interlangue en comparaison aux autres versions. Plus spécifiquement, c’est le sous-titrage inversé (dialogues en langue maternelle et sous-titres en langue étrangère) qui est associé aux meilleures performances chez les débutants, les liens entre les langues étant ici générés plus facilement.
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Les locuteurs avancés voient eux leurs performances de compréhension diminuer dès lors que des sous-titres sont présentés à l’écran. Si leur niveau de langue est bon, comment peut-on expliquer cette baisse des performances de compréhension en présence des sous-titres ?
Charge cognitive
Les sous-titres sont soumis à des contraintes relativement à leur place à l’écran. Leur temps d’affichage est calibré et, par conséquent, ils ne peuvent pas correspondre systématiquement aux dialogues qui sont présentés. Ils vont donc constituer une version raccourcie, édulcorée, ce qui parfois peut poser des problèmes puisqu’on ne peut pas relier le mot écrit dans les sous-titres à celui utilisé dans les dialogues.
La lecture des sous-titres est difficilement répressible, notre œil ayant tendance à lire les informations qu’on lui présente de façon automatique. Dans une étude enregistrant les mouvements oculaires, D’Ydewalle et ses collaborateurs ont montré que l’attention était détournée des informations présentées par l’image vers les sous-titres, ce qui automatiquement diminue le temps d’attention alloué aux actions qui se produisent à l’écran.
Dans le cadre de la réception d’un film, la présence de sous-titres à l’écran pourrait donc engendrer un effet de partage de l’attention entre les sous-titres et les images, générant ainsi une charge cognitive élevée.
Cette charge cognitive pourrait également s’expliquer par la difficulté associée au traitement de deux langues en simultané, et sur deux modalités différentes. La littérature scientifique a assez largement documenté le coût cognitif associé à un changement de langue, qui se traduit notamment par un ralentissement de l’accès aux informations sémantiques.
Alors qu’on estime que la moitié de la population est bilingue, certaines craintes persistent quant au développement langagier des enfants. Qu’en est-il réellement ?
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Si nous considérons les modalités de sous-titrage classique et inversé, elles impliquent d’alterner de façon rapide entre les représentations langagières de deux langues différentes, ce qui induit un coût cognitif se traduisant, dans ce contexte, par une difficulté à intégrer les éléments de dialogue.
Efficacité variable
Nous nous sommes intéressés à l’influence des changements de langue lors de la compréhension de films. En faisant visionner un extrait du film « Ana » (« Real Women have curves », réalisé par Patricia Cardoso) alternant entre dialogues en anglais et en espagnol dans sa version originale, nous avons pu mettre en évidence que les moments du film correspondant à un changement de langue étaient associés à de moins bonnes performances en termes de compréhension des dialogues.
Deux facteurs peuvent donc perturber la compréhension : l’alternance entre les langues d’une part, et le déplacement de l’attention entre les modalités de présentation des dialogues (écrites et orales) d’autre part.
L’intérêt de l’utilisation des sous-titres est donc à nuancer, en fonction des objectifs de la personne qui visionne le film et de ses compétences langagières. Les sous-titres vont permettre une meilleure compréhension des dialogues et de la situation en général, mais ils peuvent aussi occasionner une détérioration du traitement des éléments présentés lorsque leur présence n’est pas nécessairement requise (augmentation de la charge cognitive et difficultés à guider l’attention).
Il faut donc avoir en tête que l’efficacité des sous-titres dépend à la fois des combinaisons de langues utilisées et de la maîtrise de ces langues chez la personne qui regarde le film.
De façon générale, on peut admettre le fait que ces supports permettent une exposition plus importante à une seconde langue et en ce sens favorisent l’acquisition de vocabulaire. Toutefois, ils ne mettent pas pour autant les individus en situation d’utilisation active de cette langue, condition indispensable pour renforcer les compétences notamment en expression orale.
Article écrit par Xavier Aparicio, Maître de conférences en psychologie cognitive, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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