La Pologne s’enorgueillit d’être la seule nation à avoir conquis Moscou sans reculer – au début du XVIIe siècle – mais, depuis lors, la situation s’est inversée et les Polonais ont considéré la Russie comme une menace existentielle pour leur indépendance. En septembre 1939, la Pologne a été attaquée de l’Ouest par l’armée d’Hitler, puis de l’Est par celle de Staline. La moitié est du pays a été annexée et est restée incorporée dans l’Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale.
Lorsque la Russie a occupé la Crimée en 2014, la Pologne consacrait 1,88 % de son PIB à la défense, mais ce chiffre est passé à 4,1 % l’année dernière et devrait atteindre 4,7 % en 2025.
Selon le ministère polonais de la Défense, l’armée polonaise compte aujourd’hui 207.500 hommes, ce qui en fait la troisième armée de l’OTAN en termes d’effectifs, après les États-Unis et la Turquie.
Le fait de disposer d’une grande armée est-il utile dans une guerre moderne ? La Pologne a-t-elle dépensé judicieusement son budget de défense plus conséquent ?
Tim Ripley, analyste de la défense et auteur de « Little Green Men : The Inside Story of Russia’s New Military Power » (Les petits hommes verts : l’histoire intime de la nouvelle puissance militaire russe), a expliqué à Epoch Times : « Les forces armées polonaises ont un degré de masse, en termes d’effectifs et d’équipements, que d’autres armées, notamment celles des grands pays européens, ont perdu. »
« Ils disposent également d’importantes forces de réserve qu’ils entraînent, préparent et équipent activement. Ils bénéficient également d’une très importante organisation de défense des frontières. Ils ont donc beaucoup de personnel et beaucoup de capacités », a-t-il poursuivi.
Selon M. Ripley, les forces armées polonaises peuvent se comparer très favorablement à l’armée britannique, qui compte 73.000 soldats réguliers et 25.000 réservistes.
Sur son site Internet, le ministère polonais de la Défense indique que ses réserves, les Forces de défense territoriale (TDF), fortes de 50.000 hommes, font « partie intégrante du potentiel de défense et de dissuasion polonais ».
Selon le ministère, le rôle des réservistes est de mener une « guerre hybride et asymétrique » et d’apporter un soutien pour accueillir d’autres forces de l’OTAN en Pologne.
La Pologne a aboli le service national en 2010, de sorte que son armée est entièrement professionnelle.
Selon M. Ripley, ils ont un solide esprit de corps et un plan de défense simple qui consiste à empêcher l’ennemi d’entrer.
« Ce qu’il faut retenir de la politique de défense des forces armées polonaises, c’est qu’il s’agit avant tout de défense nationale. Elles n’ont aucune de ces ambitions grandioses que nourrissent les Britanniques et les Américains pour jouer le rôle de gendarme du monde », a-t-il poursuivi.
« Les soldats polonais se concentrent uniquement sur la protection de leur patrie, contrairement à leurs homologues américains. »
« Il est donc beaucoup plus facile de motiver les troupes à défendre leurs maisons que de mourir pour un village en Afghanistan. »
Cependant, Albert Swidzinski, directeur des analyses du groupe de réflexion Strategy & Future, basé à Varsovie, a indiqué à Epoch Times que la taille des forces armées polonaises était trompeuse.
« En théorie, cela semble impressionnant. Toutefois, le problème est qu’il s’agit davantage d’un objectif politique que d’un objectif militaire », a-t-il souligné.
Bien que la Russie représente une « menace existentielle », les hommes politiques polonais « gonflent ces chiffres au-delà de ce qu’ils sont réellement ».
« Ils comptent des personnes qui n’ont pas grand-chose à voir avec la conduite d’une guerre. »
En outre, ils achètent des équipements militaires au lieu de réfléchir à une structure appropriée de leurs forces.
« Acheter de nombreux équipements et dire que vous avez des effectifs importants n’est pas suffisant pour en faire une force de combat. »
En octobre, le chef d’état-major des forces armées a estimé que la Pologne aurait besoin d’une armée encore plus importante. Il a ajouté qu’il pourrait être difficile de recruter suffisamment de soldats compte tenu du vieillissement de la population du pays.
« Tout indique que nous sommes la génération qui se lèvera pour défendre notre pays. Ni moi ni aucun d’entre vous n’avons l’intention de perdre cette guerre », a lancé le général Wieslaw Kukula devant un auditoire de l’université des forces terrestres à Wroclaw.
« Nous gagnerons, nous reviendrons et nous continuerons à construire la Pologne, mais il faut que quelque chose se passe. Nous devons développer des forces armées préparées à ce type d’action. »
Pour M. Kukula, la crise démographique nuira au recrutement, mais il faut y parvenir.
« Le potentiel de l’adversaire est si important que nous devons construire une armée beaucoup plus grande, ce qui veut dire que nous devons aussi instaurer le modèle de service général. »
Le président Donald Trump a récemment demandé aux pays de l’OTAN de consacrer 5 % de leur PIB aux dépenses de défense et, jusqu’à présent, seules la Lituanie et l’Estonie, qui ont également été occupées et incorporées dans l’Union soviétique en 1940, ont accepté d’atteindre cet objectif.
Le Premier ministre polonais Donald Tusk a déclaré aux membres du Parlement européen le 22 janvier qu’ils « ne devraient pas être irrités » par la demande de 5 % de Donald Trump.
« Certains pensent que c’est extravagant ou qu’il s’agit d’un avertissement brutal ou malveillant », a souligné M. Tusk. « Je voudrais vous dire que l’Europe ne peut pas se permettre d’économiser sur la sécurité à l’heure actuelle. »
Ce n’est pas un fardeau pour l’économie
D’après M. Ripley, la Pologne s’est efforcée de produire davantage d’équipements sur son territoire afin de stimuler son économie.
« Nous ne considérons pas qu’il s’agit d’un fardeau pour l’économie, car nous réinjectons de l’argent, en générant des emplois, des recettes fiscales et tout ce genre de choses », a poursuivi M. Ripley.
M. Swidzinski a relevé que, bien que la Pologne produise beaucoup de matériel militaire sur son territoire, elle achète encore la grande majorité de ses équipements coûteux à l’étranger, principalement aux États-Unis et à la Corée du Sud.
La Pologne possède encore quelques avions de combat MIG-29, achetés dans les années 1980, et prévoit de les mettre à la retraite en 2026 après l’échec des négociations sur leur transfert à l’Ukraine, a indiqué M. Swidzinski.
En 2020, la Pologne a signé un accord de 4 milliards de dollars pour acheter des F-35 Lightning II à Lockheed Martin et a dévoilé le premier d’entre eux en août 2024.
Le vice-ministre polonais de la Défense, Pawel Bejda, a dévoilé l’avion lors d’une visite au siège de Lockheed Martin à Fort Worth : « Face aux violations de notre espace aérien, aux cyberattaques et autres provocations, nous devons engager les ressources appropriées pour nous défendre contre ces menaces directes. »
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« Je suis heureux que les dépenses de défense soient approuvées par la population. Ces dépenses nous permettent de poursuivre un programme ambitieux de modernisation et de transformation des forces armées polonaises », a-t-il déclaré.
En 2022, Varsovie a également signé un accord de 4,75 milliards de dollars pour l’achat de 250 chars M1A2 Abrams et a ensuite signé un accord de 1,4 milliard de dollars pour l’acquisition de 116 anciens M1A1.
Qu’il soit acheté à l’étranger ou produit localement, ce matériel coûte des sommes colossales. Le budget de défense annuel de la Pologne s’élève à 35 milliards de dollars.
Le 4 février, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a déclaré que les dépenses élevées de la Pologne en matière de défense, ainsi que l’augmentation des dépenses de santé et de protection sociale, nécessitaient un ajustement fiscal soutenu pour réduire le déficit budgétaire.
Dans un rapport publié le 4 février, l’OCDE prévoyait que l’économie polonaise aurait une croissance de 3,4 % en 2025 et de 3 % en 2026. Cependant, selon le rapport, « les mesures de soutien budgétaire, combinées à des dépenses supplémentaires pour les politiques sociales, la santé et la défense, ont creusé un déficit budgétaire substantiel ».
L’agression de la Russie contre l’Ukraine – d’abord l’annexion de la Crimée en 2014, puis l’invasion complète en février 2022 et la saisie d’une grande partie du territoire au sud et à l’est – a clairement effrayé la Pologne, les nations baltes et plusieurs autres pays qui, au début des années 1990, faisaient partie de la « sphère d’influence » de Moscou.
Pour M. Ripley, la Pologne est menacée principalement par la Russie et son alliée, la Biélorussie.
La frontière entre la Biélorussie et la Pologne est bloquée par d’épaisses forêts vierges, qu’il serait difficile de traverser.
Si Varsovie tombe, la Pologne tombe
Toutefois, M. Swidzinski estime que la Pologne est très vulnérable, car la frontière avec le Belarus n’est qu’à 200 kilomètres de Varsovie, sur des routes en bon état qui ne prennent que trois heures.
« Historiquement, le scénario est le suivant : une fois que Varsovie tombe, la guerre s’arrête. Varsovie est le centre du système et une fois qu’elle tombe, la guerre est finie. La ville n’est qu’à 200 kilomètres et il n’y a pas d’obstacle sur le terrain », a expliqué M. Swidzinski.
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« Si vous perdez du terrain, si vous en perdez trop, Varsovie est menacée. »
« La question qui se pose est de savoir quel type de guerre vous allez mener. Une conflagration avec la Russie ? Ce n’est pas suffisant. »
Pour M. Swidzinski, les Ukrainiens ont failli perdre Kiev dans les premiers mois de la guerre.
Selon lui, si les Russes s’étaient emparés de l’aéroport d’Hostomel, dans la banlieue de Kiev, en février 2022, ils auraient pu faire venir de gros avions de transport, chargés de troupes et d’équipements, et probablement s’emparer de la capitale ukrainienne.
« Les Russes se sont approchés de très près. Ils ont été très proches. C’était pile ou face. Ils ont été malchanceux, ce qui ne veut pas dire qu’ils ont sous-estimé les Ukrainiens », a souligné M. Swidzinski.
La Pologne pourrait se tromper en pensant que ses alliés de l’OTAN se porteront immédiatement à sa défense, a souligné M. Swidzinski.
Il a rappelé l’article 5 de la charte de l’OTAN qui stipule que l’organisation assistera le pays envahi en prenant « les mesures qu’elle jugera nécessaires, notamment l’emploi de la force armée, pour rétablir et maintenir la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord ».
Selon M. Swidzinski, « toute action jugée nécessaire » ne signifie pas nécessairement l’envoi de troupes.
« Cela prendrait du temps, même si une volonté politique se dégageait parmi tous les membres de l’OTAN. »
Pour M. Swidzinski, la Pologne a commis une erreur en investissant massivement dans les chars d’assaut, qui se sont révélés si vulnérables face aux drones lors du conflit ukrainien.
Il a souligné que la Pologne ne disposait que de 96 drones, et qu’il s’agissait principalement de gros drones Reaper, alors que l’Ukraine a fabriqué des milliers de drones et les a déployés avec succès.
L’état-major général des forces armées ukrainiennes a fait savoir le 7 février, dans un message publié sur Facebook, qu’il avait détruit 24.815 drones russes depuis le début de la guerre.
« Nous n’avons pas réfléchi à la guerre que nous allons mener et nous n’avons pas tiré les leçons de la guerre que livrent les Ukrainiens. Les chars ne peuvent pas gagner une guerre », a assuré M. Swidzinski.
Un porte-parole du ministère polonais de la Défense a déclaré, dans un communiqué envoyé par courriel à Epoch Times, que l’augmentation des dépenses de défense du pays était « un investissement dans la paix et la prospérité par la dissuasion ».
« Par ces dépenses, la Pologne reconnaît son rôle en tant que membre important de l’OTAN, tant pour la région que pour le continent dans son ensemble », a-t-il souligné.
« C’est un exemple pour nos partenaires : la sécurité ne peut être assurée seul. »
« Cela nécessite un changement de mentalité majeur qui met l’accent sur l’intérêt d’investir dans le maintien de la paix, la revitalisation des industries, le renforcement par la coopération avec nos partenaires et la démonstration d’un engagement réel envers nos valeurs. »
Avec Reuters
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