Albert Einstein, Nikola Tesla, Léonard de Vinci – certains des plus grands esprits de l’histoire avaient leurs particularités bien à eux.
Beaucoup des percées scientifiques d’Albert Einstein ont par exemple émergé durant ses moments de rêveries. Il était connu comme étant très distrait, et sa pensée non conventionnelle l’a pourtant mené à une compréhension de l’univers des années-lumière avant son époque.
On a depuis longtemps observé une connexion entre une pensée créative et un comportement original. Platon le décrit comme une « folie divine » ; Aristote a reconnu que les personnes créatives étaient plus sensibles à des épisodes de dépression.
La recherche actuelle montre un schéma semblable. Des traits comme la distractibilité, l’anxiété, la mélancolie et d’autres obstacles mentaux sont fortement associés à la créativité. Dans de nombreuses études, le trouble bipolaire s’est trouvé corrélé avec un tempérament artistique.
La psychiatre et auteur à succès Dr Gail Saltz a réfléchi à cette connexion depuis l’enfance. Sa réflexion a commencé par son jeune frère l’astrophysicien Adam Riess qui a reçu le prix Nobel de Physique en 2011. Sa curiosité insatiable et son questionnement l’ont mené à se demander comment fonctionnait l’esprit de son frère.
« La curiosité de mon frère était si évidente, et a eu une grande impression sur moi », a déclaré Saltz à Epoch Times. « Sa soif de savoir était très importante. »
Le dernier livre de Saltz « The Power of Different : The Link Between Disorder and Genius » (Ndr. Le pouvoir d’être différent : le lien entre le désordre et le génie) examine les caractéristiques uniques et les difficultés derrière certains des plus grands esprits de ce monde. Sa recherche l’a mené à des exemples historiques jusqu’aux dernières avancées de la recherche et à des témoignages de première main de personnes ayant souffert de dépression, de dyslexie, d’autisme et d’autres défis psychologiques mais qui ont néanmoins réalisé de grandes choses.
« Beaucoup de personnes réussissent dans leurs domaines car leur cerveau fonctionne différemment », indique Saltz. « Ce n’est pas juste un accident. C’est une différence qui est liée à leur force particulière et à leur réussite subséquente. »
Une force cachée
Les stéréotypes comme celui de l’artiste torturé ou du professeur distrait existent pour une raison. Le génie et l’excentricité ont tendance à aller de pair, et cela pourrait être par nature. La recherche a montré que des déficiences dans certaines régions du cerveau permettent de manière générale des facilités dans d’autres. Comme l’ancien principe chinois du yin et du yang, une force particulière va souvent avec une faiblesse complémentaire.
Le Trouble du déficit de l’attention (TDAH) est par exemple caractérisé par une dysfonction des fonctions exécutives et une dysrégulation des émotions. Contrairement à la croyance populaire, les personnes avec le TDAH sont capables d’attention – et peuvent même avoir une capacité très forte pour se concentrer – mais ne peuvent pas toujours contrôler l’objet de leur concentration. Cela créé des problèmes dans la salle de classe. Mais un esprit distrait et errant (comme celui d’Einstein) peut également découvrir une idée nouvelle ou voir un problème sous un nouvel angle.
Le thème des facultés et des défauts dans les cerveaux que Saltz a étudié est bien défini dans son livre. Un exemple en est le Dr Beryl Benacerraf, professeur de l’université d’Harvard et experte de réputation mondiale en radiologie.
Lorsque Benacerraf était jeune, ses enseignants et ses parents se demandaient comment une enfant autrement brillante pouvait avoir une telle difficulté pour lire et faisait si mal aux examens. Ils ont conclu qu’elle devait être paresseuse. Après des années de frustration, Benacerraf a découvert qu’elle avait un cas sévère de dyslexie – une difficulté d’apprentissage dans laquelle les lettres se mélangent et le texte écrit devient très difficile à déchiffrer.
Malgré ce désavantage, Benacerraf a été en mesure de se tracer un chemin vers la réussite. En commençant la Harvard Medical School, elle a appris à retenir l’information en étudiant des tableaux et des graphiques plutôt que du texte. C’est sa capacité remarquable pour la reconnaissance des formes qui l’a mené à se spécialiser en radiologie.
Tandis que la dyslexie lui a rendu la lecture très difficile, elle était également douée d’une très bonne vision périphérique. Cela lui a permis de détecter des anomalies sur des scans que la plupart aurait manqué et l’a mené à sa découverte des signes prénataux de la trisomie 21.
Jouer avec les cartes qu’on a en main
Parmi d’autres cerveaux remarquables, l’expérience de Benacerraf est plus la règle que l’exception. Saltz indique de nombreux exemple où la faiblesse et la force vont de pair chez des individus avec des hauts niveaux de fonctionnement cérébral.
Tandis que des génies présentent une dualité plus extrême, Saltz pense que la majorité de nos cerveaux fonctionne de façon semblable. Nous sommes naturellement bons à certaines choses et faibles en d’autres. Nous tendons à vouloir mettre en avant nos forces et cacher nos faiblesses. Pourtant, ces côtés font de nous qui nous sommes.
Malgré la peine de leur faiblesse, tous ceux que Saltz a interviewé ont déclaré ne jamais vouloir abandonner leur incapacité. Ils la considèrent comme une partie fondamentale de qui ils sont et de comment ils pensent.
« Je ne sais pas si sans dyslexie j’aurais fait quelque chose de plus important dans un autre domaine », a confié Benacerraf à Saltz. « J’ai reçu un tas de cartes, et j’ai fait de mon mieux avec. »
Nous bénéficions d’avoir une certaine peine et des défis dans nos vies – c’est comme ça que nous grandissons. La souffrance peut développer la résistance et l’empathie, qui sont des atouts précieux pour des individus créatifs. Mais trop de peine et pas assez de buts finira par nous user, explique Saltz. Nous pouvons manquer l’opportunité de développer nos forces car nous sommes constamment tourmentés par nos faiblesses.
La clé d’une identité positive est de trouver une façon d’être productive, indique Saltz. Alors qu’il est important d’identifier et de s’occuper de nos faiblesses, nous avons besoin de temps pour trouver ce à que nous sommes bons – particulièrement dans les jeunes années, où nos cerveaux sont les plus malléables et faciles à former.
Nourrir le génie
Saltz considère qu’il y a beaucoup de génies potentiels se cachant dans le monde qui ne sont jamais en mesure d’émerger. De nombreux facteurs contribuent à cette perte. Mais le système d’éducation – qui se base de plus en plus sur l’examen standardisé comme mesure du succès – pourrait mériter une partie du blâme.
« Le système d’éducation croit que nous devrions tous être bons à tout », estime Saltz « Nous avons des tests standardisés partout, mais ces mesures ne reconnaissent pas le fait que de nombreuses personnes, si ce n’est la majorité, sont des penseurs angulaires – nous sommes très bons à quelque chose et pas aussi bons à quelque chose d’autre. »
Le support scientifique de cette idée peut être trouvé dans le Human Connectome Project, un effort de recherche en cours visant à cartographier les réseaux neuronaux des cerveaux d’individus. Sa découverte la plus impressionnante jusqu’à présent révèle que tous nos cerveaux sont largement différents. Pas juste entre nous les personnes ordinaires et les génies, mais tout le monde.
« Il y a tellement de variation d’un cerveau à l’autre », rapporte Saltz. « L’idée qu’il y a un peu plus de noir ou un peu plus de blanc vis-à-vis d’une normale ne tient simplement pas. »
Tandis que les éducateurs enseignent généralement un moule standard que chaque élève doit suivre, certains ne sont pas à l’aise dans cette petite boîte. Pour un meilleur modèle éducatif et particulièrement pour les élèves créatifs, Saltz conseille le travail de Kevin Pelphrey, directeur du laboratoire des neurosciences de l’enfant de la Yale School of Medicine. Pelphrey estime que la plus grande partie du temps des enfants dans la salle de classe devrait être passé sur la découverte et le développement de leurs forces, et beaucoup moins sur traiter leurs faiblesses relatives.
Ce modèle aurait pu épargner beaucoup de frustration à Einstein. Il était notoirement en difficulté avec le système scolaire et s’est rebellé contre ses contraintes. Il excellait en mathématiques et en sciences mais était derrière dans les autres matières. Un professeur lui avait même dit qu’il n’arriverait jamais à rien.
Einstein disait ne pas se se soucier des jugements négatifs des autres, mais peu sont si confiants. L’auteur renommé John Irving a par exemple grandi en pensant qu’il était « paresseux » et « stupide » car c’est ce que ses professeurs lui ont dit. S’il n’avait pas eu le soutien de son entraîneur de lutte, il aurait sûrement arrêté l’école.
« J’ai simplement accepté la sagesse conventionnelle du moment – j’étais un élève en difficulté, donc j’étais stupide », a-t-il raconté à Saltz.
Un autre barrage pour apprendre à travailler avec un cerveau unique est la stigmatisation sociale contre les maladies mentales. Nous avons la partie du génie mais tendons à éviter la souffrance psychologique qui vient souvent avec.
Une partie du problème est le langage et le malaise venant avec des étiquettes comme la schizophrénie, le trouble de l’anxiété, ou la dépression clinique. Des critiques de la psychologie moderne notent également la tendance de la discipline à trop insister sur la pathologie d’un comportement dans la formulation du diagnostic.
« Nous avons créé des boîtes artificielles car c’est une façon de se parler l’un à l’autre. Le mauvais côté est que cela exclut des gens et les laissent honteux de ce qu’ils sont », formule Saltz. « Mais cela évolue. De plus en plus de gens sont conscients de la neurodiversité de notre espèce. »
Le fardeau du génie
Dans son livre « Comme par magie », l’auteur à succès Elizabeth Gilbert avance que notre idée moderne du génie créatif met trop d’importance et de pression sur l’individu, ce qui tend à être nuisible à la santé mentale.
« C’est comme demander à quelqu’un d’avaler le Soleil », a expliqué Gilbert à un TED talk de 2016. « Cela gonfle et altère les egos, et crée toutes ces attentes impossibles à gérer sur la performance. Et je pense que c’est la pression de cela qui a tué nos artistes durant les 500 dernières années. »
Tandis que la culture moderne considère le génie comme étant la capacité innée d’un individu créatif en particulier, les antiques estimaient que les grandes idées venaient d’une source au-delà de ce monde. Dans la Rome antique par exemple, un génie n’était pas une personne mais un canal pour des idées venant d’une autre dimension.
En d’autres mots une personne avec de grands accomplissements n’était pas considérée comme un génie ; il avait plutôt le génie. L’accomplissement était de le recevoir dans son esprit et de partager son expression avec ses camarades. Le succès artistique et l’échec, étaient plus faciles à gérer lorsque cela n’était pas intimement lié à l’ego fragile d’un individu.
Cette idée mystique a disparu à la Renaissance lorsque les hommes en sont venus à discuter la source de toutes connaissances, mais Gilbert estime que remettre au jour cette notion ancienne ferait du monde un endroit bien plus créatif. Le stéréotype qu’un individu doive être torturé, déprimé ou brillant de façon inhérente de façon à créer un art véritable détourne la personne ordinaire de suivre ses passions créatives, avance-t-elle.
Qu’il y ait ou non une force surnaturelle derrière nos grandes idées, leur donner naissance implique toujours beaucoup d’effort et tout le monde n’est pas prêt à cette difficulté. Saltz considère que ceux ayant la force d’esprit et le caractère de persister, tout en gérant leurs obstacles, auront la liberté de poursuivre ce qu’ils aiment vraiment.
« Nous avons tous des faiblesses relatives, et nous avons tous des forces relatives », indique Saltz. « C’est comment vous gérez vos faiblesses et jouez avec vos forces qui définit finalement où vous allez dans la vie. »
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