Des armoires en métal transformées en cloisons de chambres à coucher : près de Lille, huit familles sans domicile sont hébergées pour six mois dans des bureaux vacants grâce à la mobilisation de collectivités et d’associations, qui espèrent faire de cette expérience un modèle à reproduire.
« Quatre mille personnes à la rue dans la métropole et quatre fois plus de logements vacants, vous vous dites qu’il y a un problème ! », résume le propriétaire des lieux, François Bouy, depuis ce plateau de 350 m2, rebaptisé « le Kilimandjaro » par ses habitants temporaires : 33 personnes dont 20 enfants, originaires de RDC, d’Arménie ou encore de Tunisie.
Depuis mi-décembre, M. Bouy, co-dirigeant du grossiste en quincaillerie LMC, a ouvert la porte de ces bureaux laissés vacants par le départ d’une entreprise locataire, dans la zone industrielle de Bondues, commune cossue de la périphérie de Lille.
« Je suis très heureuse ici. Avant, j’étais à gauche à droite, c’était difficile avec mon petit », confie l’Algérienne Souad, mère d’un bébé de 17 mois, en soulevant un rideau pour entrer dans sa chambre, installée entre des cloisons transparentes occultées par du papier.
Dans la cuisine, chaque famille dispose d’un réfrigérateur. Douches et toilettes se situent dans un préfabriqué, dans l’entrepôt attenant.
« On a déjà évité 1800 nuits dans la rue »
En situation irrégulière, ces habitants naviguaient auparavant entre la rue et les hôtels, les gymnases du plan grand froid, des logements d’amis, des voitures… « On a déjà évité 1800 nuits dans la rue », se réjouit François Bouy.
Le projet fédère la mairie de Lille, qui débourse 75.000 euros notamment pour deux travailleurs sociaux, la mairie de Bondues et de nombreuses associations, dont le Souffle du Nord, qui coordonne le tout. Des entreprises ont donné les meubles, l’électroménager, les draps. En moins de 48 heures, tout a été installé, s’émerveille encore Vindhya Saravane, directeur du Souffle du Nord. Tous les aménagements peuvent être défaits rapidement pour redonner au lieu sa vocation initiale.
Le projet s’inscrit dans le mouvement « Plus personne à la rue », lancé en 2022 par des associations, des collectivités et des entreprises de la métropole, avec un horizon de 10 ans. Depuis décembre 2022, 33 personnes ont également été accueillies dans des bureaux de la métropole grâce à l’association « Bureaux du Cœur », mais ces hébergements pour la nuit seulement, dans des entreprises en activité, s’adressent à des personnes seules en fin de parcours de réinsertion, tandis que le Kilimandjaro a été conçu pour des familles aux situations plus complexes.
« Confiance au collectif »
À Lille, « on est confrontés à des familles avec des enfants à la rue qui ne peuvent pas être orientés vers l’hébergement d’urgence », saturé, déplore Arnaud Deslandes, adjoint au maire. François Bouy, qui prête son bien sous la forme d’un commodat (prêt à usage), récupèrera 60% du loyer théorique en crédit d’impôt. Il appelle les chefs d’entreprise à surmonter leurs craintes « en faisant confiance au collectif ».
« On est dans la construction d’un modèle » que l’on pourrait reproduire « parce que plein d’entreprises ont des locaux vacants pour des périodes de six mois à un an et ne peuvent pas les louer parce qu’elles veulent les récupérer à terme », note-t-il. Au Kilimandjaro, les habitants sont responsabilisés, chargés à tour de rôle du ménage et de la sécurité du lieu.
Le grand défi consiste désormais à trouver des solutions pour éviter que ces familles retournent à la rue en juin. « Je prie beaucoup pour avoir une maison fixe, avec une clé, avec une porte et pour savoir que c’est la nôtre », témoigne Shahane Askaryan, Arménienne du Haut-Karabakh, hébergée avec son mari et ses trois enfants.
Selon la Fondation Abbé Pierre, la France compte 330.000 personnes sans domicile, un nombre qui a plus que doublé en dix ans.
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