Après s’être débarrassé le 5 mai de son Premier ministre, insuffisamment docile, le président turc Recep Tayyip Erdogan prépare le chemin pour un référendum qui doit lui donner plus de pouvoir en établissant un régime présidentiel en Turquie.
Si les observateurs étrangers critiquent cet « anti-printemps arabe » qui fait de la Turquie un régime autoritaire, une grande partie de la population turque plébiscite son président.
« Vous suivrez votre chemin, et nous le nôtre », a tranché le président turc en s’adressant à l’Union le 6 mai, un jour seulement après l’annonce du départ de son Premier ministre Ahmet Davutoglu. Il adressait ainsi une fin de non-recevoir à une des demandes de Bruxelles dans les négociations pour exempter de visa les citoyens turcs se déplaçant dans l’espace Schengen : celle de renforcer les lois anti-terroristes turques. « Vous laissez les tentes de terroristes devant le Parlement européen [allusion aux manifestations kurdes] et leur donnez des occasions au nom de la démocratie. Puis vous nous dites « Nous supprimerons les visas si vous relevez vos lois anti-terroristes » – Désolé, vous suivrez votre chemin, et nous le nôtre ».
Depuis plusieurs mois, le ton monte entre l’Union et la Turquie. À la faveur de la crise syrienne, Ankara a pu négocier une reprise des négociations d’entrée dans l’Union européenne en échange de son engagement à garder sur son sol les migrants syriens rejetés après avoir tenté d’entrer en Europe. Pour un migrant renvoyé en Turquie, l’Union s’engage à en accueillir un autre s’il utilise la voie légale de demande d’asile (dans la limite de 72 000 par an), tout en versant une aide de 3 milliards d’euros à l’État turc pour structurer ses capacités d’accueil. Erdogan, en position de force dans ces négociations au vu de l’incapacité de l’Europe à contenir le flot des migrants, en profite pour pousser les pions de son agenda de politique intérieure.
L’exemple russe
Le parallèle avec Moscou est frappant : comme Vladimir Poutine qui bénéficie d’une popularité inoxydable pour avoir ravivé le rêve d’une nouvelle grande Russie, Recep Erdogan fait miroiter une nouvelle grande Turquie rappelant l’Empire ottoman. Chaque prise de position forte face à l’Union européenne lui fait gagner des points d’opinion et renforce sa capacité à changer le régime politique en Turquie. Deux fois Premier ministre, Erdogan a laissé en 2014 son siège et placé à la tête de son parti – et donc du gouvernement, le modéré Ahmet Davutoglu – tout en gardant une main-mise forte sur les décisions prises par celui-ci. Là encore, l’exemple russe du couple Poutine-Medvedev est proche. M. Davutoglu a été négociateur en chef de l’accord avec l’Union européenne et un interlocuteur apprécié. Cité par le Wall Street Journal, le président du Parlement européen Martin Schulz regrette le départ de cet interlocuteur qu’il qualifie de fiable et constructif et exprime l’espoir que « la personne appelée à devenir le prochain Premier ministre continue sur cette ligne constructive de coopération. »
Présidentialisation et répression des journalistes
Ahmet Davutoglu semble avoir déplu à Recep Tayyip Erdogan autant qu’il a plu à l’Europe, en particulier pour n’avoir pas soutenu la démarche de présidentialisation du régime turc. Encore contraint par le Parlement turc, Erdogan ne fait pas mystère de son souhait de renforcer, voire sacraliser, sa fonction : toute critique de son pouvoir ou de lui-même est passible de prison, et la presse est maintenant avertie des risques de l’indocilité : le 7 mai, deux journalistes du journal d’opposition Cumhuriyet qui ont révélé en mai 2015 que les services secrets turcs fournissent en armes les djihadistes syriens ont été condamnés à cinq ans de prison pour « divulgation de secrets d’État » – au moment de la publication de leur article, Erdogan, furieux, avait personnellement assuré que les journalistes devraient « payer le prix fort ». Des dizaines de journalistes ont ainsi été emprisonnés ces dernières années pour « trahison » ou « terrorisme ».
Pour arriver à un régime présidentiel et à une nouvelle constitution turque, le président Erdogan a besoin d’obtenir l’accord du peuple turc par référendum. Celui-ci ne peut cependant être déclenché qu’avec l’accord de deux-tiers de membres du Parlement, une majorité non-atteinte du fait des parlementaires kurdes. Le président turc, qui n’est plus freiné par son Premier ministre, pourrait donc profiter de sa popularité pour provoquer des élections législatives anticipées, en jouant sur l’attente par les électeurs d’un homme fort qui évitera la partition du territoire turc – objectif que les combattants kurdes du PKK espèrent atteindre au travers de leur lutte contre Daech.
« La question d’un système présidentiel n’est pas une demande personnelle de Recep Tayyip Erdogan », a expliqué le président turc à la télévision nationale vendredi 6 mai. « Le point où la Turquie est aujourd’hui arrivée en conséquences de ses expériences a créé le besoin urgent d’un système présidentiel et d’une nouvelle constitution. » Le bras de fer avec l’Europe est un levier pour y arriver.
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