Lorsque de nombreuses personnes se sentent déconnectées de leur environnement social, elles deviennent enclines à adhérer à un narratif déraisonnable avec un certain fanatisme. Tout cela crée un environnement propice à l’émergence d’un état totalitaire, déclare Mattias Desmet, professeur de psychologie clinique.
Le phénomène psychologique où des individus déconnectés de leur environnement naturel et social n’ont aucun but dans la vie et commencent à croire fanatiquement à un certain narratif, absurde en général, est un type spécifique de réaction de groupe appelée « formation de masse », explique le Pr Desmet dans American Thought Leaders d’EpochTV.
Les individus sous l’emprise de la formation de masse sont aveugles à l’absurdité du narratif collectif au point « de devenir radicalement intolérants à l’égard des opinions dissidentes, et finalement, de stigmatiser et tenter de détruire les personnes qui ne suivent pas ce narratif ».
Ils sont prêts à sacrifier tout ce qui est important à leurs yeux au profit de ce qu’ils croient, souligne le Pr Desmet, spécialiste du phénomène et auteur de « The Psychology of Totalitarianism ». [Psychologie du totalitarisme, ndt.]
Par exemple, il y a eu un incident pendant la révolution iranienne de 1979 au cours duquel une mère iranienne a dénoncé son fils au gouvernement parce qu’il n’était pas assez loyal envers l’État et a aidé à l’exécuter, raconte le professeur.
« C’est exactement ce genre de formation de masse qui conduit à l’émergence des États totalitaires. »
État totalitaire et dictature classique
Un État totalitaire repose toujours sur un segment de la société (généralement 20 à 30% de la population) fanatisé et convaincu de la réalité d’un certain narratif et d’une certaine idéologie, par exemple l’idéologie raciste de l’Allemagne nazie ou l’idéologie marxiste en Union soviétique, poursuit le Pr Desmet. Cette partie fanatique de la société, ainsi que quelques dirigeants, réussissent à prendre le pouvoir et instaurent un État totalitaire.
Dans un schéma dictatorial ou totalitaire, l’espace public et l’espace politique sont complètement contrôlés. L’État totalitaire se distingue d’une dictature par une surveillance de la vie privée grâce à une importante police secrète. Celle‑ci est composée par la partie de la population fanatisée.
Une dictature n’implique qu’une petite élite – un gouvernement dictatorial – qui inspire la peur à la population par son agressivité, au point que la population accepte un contrat social imposé unilatéralement.
« Dans une dictature classique, le centre de gravité du système est à chercher dans le gouvernement dictatorial. Si on parvient à éliminer cette partie du gouvernement (…) généralement le système dictatorial s’effondre. »
Dans un système totalitaire, le centre de gravité ne se situe pas dans l’élite, mais dans la population. En d’autres termes, si une partie de l’élite totalitaire est détruite, le système perdure. « C’est pourquoi Staline, par exemple, a compris qu’il pouvait parfaitement éliminer 60% de son propre Parti communiste, sans que le système ne s’effondre. Les personnes qui ont été supprimées ont simplement été remplacées. »
C’est au début du 20e siècle qu’a émergé pour la première fois un État totalitaire résultant du phénomène de la « formation de masse ». Cependant le phénomène psychologique de formation de masse existe depuis que l’humanité existe, mais il est devenu beaucoup plus fort à cette époque, précise le Pr Desmet.
Conditions préalables à la formation de masse
« L’ingrédient principal pour la formation de masse : un nombre important de personnes déconnectées de leur environnement naturel et social. »
« Le nombre de personnes solitaires a augmenté tout au long des deux ou trois derniers siècles en raison de l’émergence d’une vision mécaniste de l’homme dans le monde, de l’industrialisation et de la technologie. »
« Une fois que les gens sont dans cet état de déconnexion, ils commencent généralement à ressentir un manque de but ou de sens dans la vie », ce qui constitue la deuxième étape menant à la formation de masse.
La troisième étape est le développement d’une anxiété, d’une frustration et d’une agressivité flottant partout. Sans savoir pourquoi, les individus se sentent anxieux, frustrés et agressifs.
« Il s’agit d’un état mental où on éprouve de l’aversion pour tout, on a l’impression de perdre le contrôle. On ne peut pas gérer son anxiété et on ne sait pas de quoi on doit se protéger. »
Comment évolue la formation de masse ?
Si, dans ces conditions, un certain narratif est diffusé par les grands médias dénonçant une source d’anxiété et fournissant une stratégie pour l’anéantir, cela peut résulter sur un grand nombre de personnes prêtes à participer à cette stratégie et à y placer toute leur agressivité et frustration.
« C’est la première étape de tout type de formation de masse majeure, qu’on parle des Croisades, de la Révolution française, du communisme en Union soviétique ou de la montée du nazisme en Allemagne. »
La deuxième étape et la plus importante : les populations commencent à participer à la stratégie visant à attaquer la prétendue source de leur mal‑être. Les citoyens commencent à se sentir à nouveau connectés les uns aux autres, mais ce nouveau lien social ne constitue pas une connexion authentique, il reste un mur entre chaque individu.
Ainsi, un nouveau groupe est formé, mais sa solidarité n’est pas « cette solidarité spontanée qui existe dans un rassemblement ou dans une foule, ce n’est pas une solidarité entre individus. C’est une ‘solidarité’ de personnes isolées collectivement. »
La formation d’une masse est une forme d’hypnose, c’est pourquoi les gens continue d’adhérer à un narratif quand bien même celui‑ci est totalement faux, non scientifique et parfaitement absurde.
L’hypnose se produit lorsqu’une personne peut retirer son attention de la réalité et concentrer toute son attention et son énergie psychologique sur un petit aspect de la réalité, précise le Pr Desmet. Lorsqu’une personne est sous hypnose, même une forte douleur physique, comme lors d’une opération chirurgicale, n’est plus ressentie, ajoute‑t‑il.
« [C’est] dire la force de ce mécanisme de focalisation de l’attention, tel qu’il existe dans l’hypnose, mais aussi dans l’illusionnisme et dans la formation de masse. »
La formation de masse ne conduit pas seulement à l’exclusion de l’espace public et à la destruction d’une grande partie de la société qui ne veut pas se conformer à l’idéologie du groupe, mais elle conduit finalement à l’autodestruction des masses elles‑mêmes.
Formation de masse pendant la pandémie de Covid‑19
Juste avant la pandémie de Covid‑19, le nombre de personnes qui se sentaient seules ou déconnectées de leur environnement naturel et social était énorme et il n’avait jamais été aussi élevé auparavant, poursuit le Pr Desmet.
« Dans le monde entier, 30% de la population déclarait ne pas avoir de relations significatives du tout et ne se connecter à d’autres personnes que par le biais d’Internet. »
Avant la pandémie, plus de 60% des personnes dans le monde considéraient que leur travail n’avait aucun sens et seulement 15% déclaraient que leur travail avait un sens, poursuit le professeur.
« J’ai remarqué comment tous les paramètres psychologiques négatifs tels que le stress et la dépression, l’anxiété, les burn-out, etc. ont tous commencé à augmenter de manière exponentielle. … J’avais déjà le sentiment que la société était prête pour une formation de masse à grande échelle. »
La formation de masse explique pourquoi, pendant la pandémie de Covid‑19, les gens ont accepté des restrictions drastiques empêchant d’aller aider quelqu’un dans un accident, par exemple, sans porter un masque et des gants ou de rendre visite à un parent âgé mourant.
Les informations présentées par les grands médias exagéraient considérablement les dangers du virus, estime le Pr Desmet, tout en sous‑estimant la dangerosité des mesures prises pour répondre à la pandémie.
Normalement, une analyse coûts‑avantages des mesures anti-Covid aurait dû être effectuée avant qu’elles ne soient déployées, mais personne ne semblait s’y intéresser et ce, malgré les avertissements de certains scientifiques ou de certaines institutions.
Solution à la formation de masse
La solution à un État totalitaire issu de la formation de masse ne passe pas par la destruction de l’élite, comme certains pourraient le penser, car tant que la société est sous l’emprise de la formation de masse, « elle recréera sans cesse la même élite ».
Le problème ne peut être résolu que si un nombre suffisant de personnes prennent conscience de la formation de masse, et ne suivent plus le narratif dominant.
« C’est la seule vraie solution et dans ce cas, si nous pouvons commencer par penser d’une manière différente, nous verrons qu’une nouvelle élite se forme et que l’élite qui existe maintenant cessera d’exister de manière spontanée. »
Nous devons nous concentrer sur le fait de suivre des principes humains, les redécouvrir, nous exprimer « face à ce monde toujours plus inhumain ».
« La ligne de démarcation entre le bien et le mal traverse chaque cœur », poursuit le Pr Desmet en paraphrasant Alexandre Soljenitsyne.
« Les gens doivent se reconnecter avec leur environnement. Cela signifie que nous devons revenir à une société où production locale de tout ce dont nous avons besoin pour survivre est beaucoup plus importante… Nous devons cultiver et promouvoir un discours authentique dans la société. »
Toutes ces conditions qui créent l’isolement social, le manque de sens de la vie, l’anxiété flottante, la frustration et l’agression doivent être évitées, continue le professeur.
L’utilisation de la violence pour résister à un système totalitaire n’est pas la solution, car la violence augmentée sera réutilisée pour justifier la destruction des personnes qui vont à l’encontre du narratif dominant.
« Réussir à résister à un système totalitaire de l’intérieur, c’est s’en tenir rigoureusement aux principes d’une résistance non violente. »
Le Pr Desmet recommande d’étudier la manière dont le Mahatma Gandhi a procédé dans la lutte pour l’indépendance de l’Inde.
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