Pendant près de quatre ans, les journées de Vladimir Miladinovic ont commencé irrémédiablement par un même rituel: un café et le journal d’un des criminels de guerre les plus notoires des Balkans, Ratko Mladic.
Mot pour mot, l’artiste-plasticien a recopié laborieusement, à la main, 400 pages de ce journal, qui débute en 1992, sur de grands papiers blancs qui tapissent désormais les murs de la galerie Eugster à Belgrade.
Rédigées dans un langage strictement militaire, les notes de Ratko Mladic ne sont pas des griffonnages fous auxquels on pourrait s’attendre d’un homme souvent qualifié de « personnification du mal ». Il s’agit plutôt de notes résumées et soignées, touchant à la politique, à des questions militaires, avec de sobres commentaires et remarques.
« Au final, nous pourrions dire que c’est même banal, un langage banal qui ne dit rien, mais en même temps dit pas mal de choses », explique à l’AFP Vladimir Miladinovic.
Les plaies des conflits restent ouvertes
Récrire le journal était « une démarche visant à se confronter au passé sur lequel nous sommes toujours obligés de nous pencher aujourd’hui, 25 ans après la guerre », ajoute le plasticien de 39 ans.
Car si la justice fait son chemin, les plaies des conflits qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie restent ouvertes.
Certes, Mladic a été condamné en 2017 par la justice internationale à la perpétuité notamment pour le génocide de Srebrenica à la fin du conflit en Bosnie (1992-95) – son procès en appel doit débuter le 25 août.
Mais l’héritage de l’ex-chef militaire des Serbes de Bosnie, aujourd’hui âgé de 77 ans, reste un sujet de controverses.
Des Serbes le considèrent comme un héros
De nombreux Serbes le considèrent en effet toujours comme un héros et reprochent à la justice internationale d’avoir réduit les conflits des années 1990 à une lutte du bien contre le mal.
Le gouvernement serbe, qui coopère à contre-cœur avec le Tribunal de La Haye, n’a jamais renié Mladic, ni reconnu le génocide de Srebrenica.
En juillet 1995, les troupes de Mladic y ont massacré systématiquement 8.000 hommes et garçons musulmans.
Des archives, témoignant du passé turbulent de son pays
Lorsque le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a condamné Mladic, le président serbe Aleksandar Vucic a appelé à « se tourner vers l’avenir ».
Miladinovic a lui choisi d’emprunter une autre voie en examinant au quotidien des archives, entrant dans le moindre détail du passé turbulent de son pays.
Dans ses œuvres précédentes, l’artiste avait déjà recopié des documents et journaux, tels qu’une liste d’objets découverts dans les fosses communes liées au conflit au Kosovo (1998-99).
Sa dernière exposition, intitulée « le carnet », n’est toutefois que la dernière incarnation en date du journal qui a sa propre histoire.
Il comprend en tout 18 cahiers, découverts par des enquêteurs du TPIY il y a dix ans derrière un faux mur dans le foyer de la femme de Mladic.
A l’époque, le général est encore en cavale et ne sera arrêté qu’en 2011 après 16 ans de clandestinité.
Ecrit en serbe à la main, en alphabet cyrillique, il est alors transformé en une version numérique par une équipe de graphologues et ensuite traduit en anglais et en français pour les besoins du TPIY.
Le journal répertorie le nombre exact de Serbes
Dans le cadre de son projet, Miladinovic a retraduit ces textes en serbe depuis l’anglais.
Une des entrées du journal répertorie le nombre exact de Serbes dans différentes villes de la Bosnie, un décompte qui fait penser au nettoyage ethnique qui s’en est suivi lorsque Mladic a mis en forme l’entité à majorité serbe dans des régions également habitées avant le conflit par des Croates et des Musulmans.
« Nous avons un Etat à portée de main, il faut juste le saisir », écrit-il en rapportant une conversation avec Momcilo Krajisnik, un leader politique des Serbes de Bosnie lui aussi condamné par la justice internationale.
Les points de vue personnels de Mladic sont difficiles à déceler. A un moment, il écrit sous les mots « ma contribution » une liste de choses nécessaires au peuple serbe en Bosnie.
Les mots « Unité », « main d’oeuvre et officiers », « des fonds pour mener la guerre » et « alliés » figurent sur cette liste.
L’exposition de la galerie Eugsberg a suscité plus d’intérêt à l’étranger, ce qui ne surprend pas Vladimir Miladinovic. « Elle s’efforce de faire le contraire de ce que la société veut faire, oublier, nier, effacer des sujets aussi importants du passé », dit-il.
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