Remplacement des vitraux de Notre-Dame : « Emmanuel Macron s’oppose à l’esprit de préservation des monuments », déclare Christophe Dickès

Par Julian Herrero
30 septembre 2024 18:15 Mis à jour: 30 septembre 2024 18:15

ENTRETIEN – Christophe Dickès est historien spécialiste du Vatican, fondateur de la webradio Storiavoce. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Église catholique et va publier le 28 octobre, Pour l’Église : ce que le monde lui doit (Perrin) et Notre-Dame. Pages d’histoire (Salvator) le 18 novembre. Dans un entretien accordé à Epoch Times, il revient sur le projet de remplacement des vitraux de la cathédrale de Notre-Dame de Paris initié par Emmanuel Macron en 2023. L’historien analyse également les actes antichrétiens en France.

Epoch Times – Cinq ans après l’incendie, la cathédrale de Notre-Dame de Paris va rouvrir ses portes en décembre. Une cérémonie va avoir lieu. Le pape François a déclaré le 13 septembre qu’il « n’irait pas à Paris ». Comment réagissez-vous ? N’est-ce pas surprenant que le souverain pontife ne se rende pas à la réouverture de l’un des monuments chrétiens les plus célèbres du monde ?

Christophe Dickès – Depuis le début de son pontificat, le pape a clairement exprimé l’idée qu’il ne souhaitait pas visiter des grands pays comme la France, l’Espagne ou l’Allemagne au profit de ce qu’il appelle les périphéries, c’est-à-dire les pays peu ou mal connus, ceux qui font face à des situations politiques, économiques et sociales parfois dramatiques. Il s’agit d’une perception très politique des voyages pontificaux, ce qui fait la spécificité de ce pontificat.

En outre, je pense que le pape, par culture et par éducation, semble n’avoir que peu de considération pour les « vieilles pierres » même s’il s’agit de celles de Notre-Dame de Paris. L’émotion mondiale suscitée par l’incendie de 2019 a dû pourtant l’étonner mais il aborde le fait comme secondaire au regard des populations qui, dans le monde, souffrent. L’humanité, avant la culture ou les symboles, sont sa priorité. Pourtant, la cathédrale, au-delà de tout ce qu’elle peut représenter, est un lieu de culte et, à ce titre, elle est tournée vers la transcendance.

En décembre 2023, Emmanuel Macron lançait son projet de remplacement des vitraux de la cathédrale datant du XIXe siècle par des plus contemporains. Un projet qui a suscité une polémique. Le directeur de la rédaction de la Tribune de l’art Didier Rykner a mis en ligne une pétition dans le but de « conserver à Notre-Dame de Paris les vitraux de Viollet-le-Duc » qui a dépassé les 230.000 signataires. Qu’en pensez-vous ? Faut-il garder les anciens vitraux ?

Nous sommes ici dans ce que nous appelons le fait du prince. Après l’échec du fameux « geste contemporain » souhaité par le gouvernement de l’époque dans la reconstruction de la flèche, l’autorité politique – ici le Président – souhaite marquer son temps par une marque purement personnelle. Il y a de nombreux précédents : Pompidou avec le fameux Centre Beaubourg, Giscard avec le Musée d’Orsay, Mitterrand avec la Pyramide du Louvre…

L’étonnant chez Emmanuel Macron est le choix de la cathédrale alors que toute sa politique est en totale contradiction avec l’enseignement moral de l’Église. On sait aussi que ce que veut Emmanuel Macron s’oppose au code du patrimoine et même à l’esprit de préservation des monuments dont les origines remontent à la nuit des temps !

Comme le dit la pétition que vous évoquiez, « les vitraux de Notre-Dame conçus par Viollet-le-Duc l’ont été comme un ensemble cohérent ». On comprend ainsi qu’Emmanuel Macron souhaite « autre chose », violant ainsi l’inspiration de Viollet-Le-Duc qui, lui, respectait, le passé.

Il faut rappeler que les choix de Lassus et de Viollet-Le-Duc au XIXe siècle n’étaient pas personnels. En effet, leurs travaux ont commencé dans les archives afin de respecter les codes médiévaux quand on en possédait une trace, puis de les intégrer dans leurs propres plans.

Selon des données du ministère de l’Intérieur, environ 1000 actes antichrétiens ont été recensés en 2023. 90 % de ces actes sont des atteintes à des biens (églises et cimetières). Un individu a mis le feu à une église à Saint-Omer (Pas-de-Calais) début septembre. Avez-vous constaté une augmentation de ces faits ces dernières années ?

Ces chiffres restent stables ces dernières années, mais peuvent être sous-estimés. Je connais des prêtres qui sont insultés dans la rue mais qui ne portent pas plainte.

Cependant, les chiffres que vous donnez reste à un niveau plus élevé que les actes antisémites et les islamophobes. Tous ces actes sont inacceptables et en disent long sur notre société puisque même les morts, par les profanations, ne sont pas respectés.

Or, on mesure le degré d’une civilisation à la façon dont elle traite ceux qui ont disparus.

Selon les cas, l’islamisme, l’individualisme progressiste et l’anticléricalisme, ou même le satanisme sont à l’origine de ces actes. Les causes sont ainsi multiples mais les remèdes semblent inexistants. Dans une société déjà éclatée, ces actes ne semblent guère avoir d’importance pour les politiques et le monde médiatique à de rares exceptions, comme on l’a vu avec les images impressionnantes de Saint-Omer.

Dans un récent entretien accordé au Figaro, vous parlez d’une « Europe touchée de plein fouet par la déchristianisation ». À quand remonte cette déchristianisation du Vieux Continent ?

La déchristianisation varie d’un pays à l’autre en Occident. L’historien Guillaume Cuchet a très bien montré l’évolution du phénomène en France et le rôle paradoxalement accélérateur du Concile Vatican II sur cette mutation. Mais dans les faits, au regard de l’histoire, ce phénomène est complexe.

René Rémond, dans son livre Le Christianisme en accusation paru en 2000, relativisait cette déchristianisation en expliquant qu’il fallait sortir des schémas d’évaluation classique comme la participation à la messe dominicale. Il considérait ainsi notre société comme chrétienne et regrettait que les autorités politiques ou sociales nient l’importance de l’apport du christianisme.

A contrario, la philosophe Chantal Delsol prenait acte de la fin de la chrétienté dans un petit ouvrage paru en 2021. Elle soulignait le basculement moral marqué par la pratique généralisée de l’avortement, le basculement de civilisation que constituait le mariage pour tous et la perspective de la légalisation de l’euthanasie. Elle y voyait la fin des sociétés chrétiennes.

Historiquement pourtant, l’idée de chrétienté est bien plus mouvante qu’on ne le dit. Au XVIe siècle, Charles Quint pleurait déjà sur la fin de la chrétienté. Quelques décennies plus tard, le Concile de Trente est un concile de fin de chrétienté. Et que dire de la Révolution française…

Oui socialement, notre monde ne fait que peu de cas du christianisme et la pratique est au plus bas. Cependant, tout le monde ou quasiment, a été bouleversé par l’incendie de Notre-Dame qui est à la fois le cœur et l’âme de la France. Ce qui en dit long.

Une étude de la Conférence des évêques de France (CEF) de mars 2024 faisait état d’une augmentation du nombre de baptêmes chez les adultes, mais aussi chez les plus jeunes (18-25 ans) en 2024. Une tendance déjà observée l’année précédente. Quelle est votre analyse ?

Ce sont des chiffres qui restent faibles mais qui disent pourtant une chose : en dépit des scandales en tous genres qui minent l’Église, en dépit aussi de la christianophobie ambiante, des adultes et des jeunes se tournent vers l’institution ecclésiastique qui représente une porte vers la transcendance.

Je rappelle aussi que le baptême de personnes adultes comprend la communion et la confirmation : ce qui permet à chaque nouveau baptisé selon la théologie catholique d’accéder au corps du Christ et de devenir lui-même missionnaire. Le parcours et la préparation vers ces sacrements sont longs : généralement de deux ans, ce qui dit la valeur de l’engagement de ces futurs baptisés qui, à contre-courant, témoignent de la nécessité de Dieu. Ce qui est un besoin universel.

Nous, Français, entretenons un regard très laïc sur la religion, considérant la séparation de l’Église et de l’État. Cependant, une écrasante majorité de la population mondiale vit dans des pays qui gardent et entretiennent une référence au divin. La véritable universalité, contrairement à ce qu’a bien voulu affirmer Thomas Jolly dans son spectacle des JO, est bien le fait religieux. D’ailleurs, c’est un prêtre, le Père Didon, qui est à l’origine de la fameuse devise des Jeux olympiques.

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