En cuisine et au service de ce restaurant, au premier étage d’un édifice du XIXe siècle du centre de Rennes, officient des personnes souffrant de troubles mentaux, de dépression ou d’anxiété, qui rompent ainsi leur isolement.
Le menu, unique, est écrit d’une main maladroite sur un tableau. Des serveurs apportent à la bonne franquette une soupe de céleri, un curry de lentilles ou une panna cotta de sésame à une vingtaine de clients attablés.
Les personnes qui ont préparé les plats « sont souvent seuls. L’idée est de casser cela », résume Isabelle Fiand, 57 ans, présidente de l’association La Fraterie du quartier. « Ce sont des personnes qui, à un moment donné, ont décroché, fait un burn out, sortent d’un traumatisme de deuil, et qui sont volontaires » pour tenter de sortir de leur isolement.
Ainsi, rendez-vous est fixé à 9h00 pour au maximum trois adultes, aidés par deux bénévoles de l’association pour mitonner les plats, avec la perspective de servir une vingtaine de clients. Le restaurant est ouvert deux fois par semaine, le midi, dans deux lieux différents.
« Il y a toute une organisation de la cuisine, des règles d’hygiène…Parfois certains ont des problèmes de concentration et n’arrivent pas à éplucher des légumes. J’essaye ainsi de trouver des recettes où il faut seulement mélanger », relate Sylviane Rault, coordinatrice bénévole en cuisine, tablier noué autour de la taille.
« Ça me fait du bien »
Une personne sur huit dans le monde présente un trouble mental, notamment d’anxiété et de dépression, selon l’Organisation mondiale de la santé. Le but est également de permettre à ces personnes, qui souvent s’alimentent mal, de pouvoir reproduire ces recettes et ces menus équilibrés chez eux, et pourquoi pas, pour certains d’envisager de décrocher un emploi dans la restauration.
Mais le chemin à parcourir est encore long, comme pour Gwendal, qui souffre de problèmes dépressifs et d’anxiété, qui peut difficilement prendre des transports en commun ou se retrouver dans un lieu avec une dizaine de gens. « Je préfère cuisinier. Servir et aller dans la salle, c’est compliqué pour moi », reconnaît timidement cet homme brun et svelte de 39 ans. « Mais ça me fait du bien : plus on reste à ne rien faire et plus on a tendance à se dire qu’on est capable de rien », philosophe-t-il, alors que les problématiques liées à la santé mentale ont explosé auprès du grand public lors du confinement.
« Remotivation, revalorisation, reconnexion »
Sur la trentaine de personnes qui ont poussé la porte de la Fraterie, « trois se sont dirigés vers une formation et deux vers l’emploi. Remotivation, revalorisation, reconnexion, ça leur a servi de tremplin », note Mme Fiand, également assistante sociale formée en santé mentale.
Au niveau national, « en 2017, on avait 9,8% des personnes âgées de 18 à 75 ans qui avaient vécu un épisode dépressif caractérisé au cours des 12 derniers mois, et c’est passé à 13,3% en 2021″, relève Ingrid Gillaizeau, responsable unité santé mentale du département prévention de Santé publique France.
Christophe Léon, chargé de projet scientifique dans la même structure, rappelle qu’« on a pu observer l’augmentation des troubles dépressifs en population générale adulte. Les tensions internationales, l’inflation, le changement climatique se répercuteraient aussi dans la population adulte ».
Assis sur une grande table, Jacques Le Gouevec, diagnostiqué bipolaire à 18 ans, concède que « la Fraterie est le seul lien social avec l’extérieur » qui lui reste. « Après avoir travaillé toute ma vie dans la menuiserie et la blanchisserie j’ai eu un gros vide au moment de ma retraite l’année dernière. » Parmi les clients, Jean-Luc Masson, retraité, a apprécié le repas, satisfait « d’avoir participé de manière microscopique à la reconnaissance des gens différents qui font admirablement bien leur travail ».
L’heure est aux comptes : 177,80 euros. Dans une boîte, chaque client a versé une somme libre, sachant que le prix d’équilibre affiché se situe à 9,50 euros (charges, aliments et gratification). Car chacun des cuisiniers a empoché un euro par repas, mais, surtout, a eu « l’impression d’avoir fait un truc valorisant durant la journée », comme le souligne Guillaume, 41 ans.
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