Dans la ville RN du Gard, le parti de Jordan Bardella a fait sa rentrée politique en position de favori aux élections européennes de 2024. Devant 5000 personnes, Marine Le Pen et son dauphin ont tracé la ligne à suivre, très souverainiste, et lancé une initiative : la déclaration des droits des peuples et des nations.
On pouvait difficilement rêver « meilleur » contexte pour Marine Le Pen. La semaine de sa rentrée fut marquée par l’arrivée sur la petite île de Lampedusa (Italie) de 8000 clandestins d’Afrique noire. Giorgia Meloni, pourtant élue pour sa volonté d’empêcher tout débarquement de migrants, n’a rien pu faire d’autre que demander de l’aide à l’Union européenne (UE) pour organiser leur prise en charge. Aujourd’hui, la totalité de ces Africains a déjà été transférée sur le continent. Le Rassemblement national (RN), bien dans son rôle, a sauté sur l’occasion pour exiger d’Emmanuel Macron qu’il déclare ne recevoir aucun clandestin, comme l’a fait l’Allemagne sociale-démocrate d’Olaf Scholtz, et demander à l’UE de pratiquer le refoulement (« push back ») des bateaux de migrants.
« On l’avait prédit, » se désole Jérôme Buisson, député de l’Ain et membre de la commission des Affaires étrangères. « Ils vont connaître l’enfer et faire connaître l’enfer aux Français », dit-il en parlant des clandestins. Pour lui, l’UE ne peut être d’aucune aide pour renvoyer les clandestins : « On ne sera jamais d’accord. Il y en a qui veulent zéro migrant et il y en a qui en veulent, comme Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne, ndlr), pour compenser le déficit démographique de l’Europe. » Et Frontex, l’agence européenne de protection des frontières ? « Une hôtesse d’accueil, le seul patron qui a voulu être ferme a été viré, » tance-t-il en référence à l’éviction de Fabrice Leggeri, directeur de l’agence de 2015 à 2022. L’Australie est citée comme modèle à suivre pour sa politique de « no-way » consistant à repousser les bateaux, par la force, avec d’autres bateaux. Une spécificité de cette crise migratoire est que les clandestins déclarent ne pas avoir payé leur traversée. « Il est possible que ce soit coordonné pour déstabiliser l’Europe, par rapport aux enjeux en Afrique francophone ou en Ukraine… », ose le député, déçu par ailleurs de la gestion de Giorgia Meloni.
Des bâtons dans les roues du maire de Beaucaire
Cet après-midi à Beaucaire, le ton est pourtant à la fête, nullement perturbée par le rassemblement d’une poignée d’autoproclamés antiracistes à l’entrée de l’événement, « refoulés », eux, par la sécurité. Autres persona non grata, les journalistes de Quotidien, qui tentent de filmer tant bien que mal de derrière le grillage.
À l’intérieur, chaque fédération régionale a son stand et y propose sa spécialité culinaire, tandis qu’un spectacle équestre, typique de cette ville de Camargue, enchante les visiteurs. En musique de fond, les Lacs du Connemara de Michel Sardou, chanson devenue symbole qui aura donc sévi aux trois rentrées politiques de la droite : Les Républicains, Reconquête et le RN.
Dans les allées de ce « village des régions », les adhérents venus de toute la France n’ont pas été découragés par le ciel menaçant. Certains sont d’anciens membres de Reconquête (Eric Zemmour), revenus ou venus au RN après ses bons résultats de 2022.
Ici, le Rassemblement national est à domicile. Depuis dix ans, le maire de Beaucaire est Julien Sanchez, vice-président du parti, et le député est Yoann Gillet, ancien directeur de cabinet du premier. Prenant la parole avant ses chefs, le jeune maire (39 ans) s’est attaqué à ceux qui lui ont cherché des poux dans la tête avant l’événement. La veille, le ministre du « Renouveau démocratique » Olivier Véran (qu’on ne présente plus), a jugé opportun d’effectuer un déplacement dans la commune lepéniste, apparemment sans en avertir le maire. « Surprenant sachant que Beaucaire n’avait reçu aucune visite ministérielle en neuf ans, » ironise Julien Sanchez. Au même moment, Libération a publié une enquête sur la mairie de Beaucaire, accusant l’édile de multiples écarts allant de la lenteur de travail au harcèlement des employés. Une plainte pour diffamation a été déposée contre le journal classé à l’extrême gauche.
Une alliance ? « Pas besoin »
Qu’importe, il s’agit du rassemblement du premier parti d’opposition et qui entend bien faire de l’élection européenne des « midterms » (élections de mi-mandat aux États-Unis) à la française pour mobiliser son électorat contre Emmanuel Macron, et, en cas probable de victoire, renforcer sa position de favori aux présidentielles de 2027. Actuellement, les listes RN et Renaissance (Emmanuel Macron) sont seules en tête avec respectivement 25 et 21 % dans les sondages. « Notre principal adversaire, c’est Emmanuel Macron et notre principal ennemi, c’est l’abstention ! » lance Jordan Bardella. D’où la nécessité de rappeler à tout-va la date de l’élection : « Vivement le 9 juin ! » peut-on lire sur les affiches officielles, en-dessous du visage de jeune président de parti. Le traumatisme des régionales 2021 où le RN n’a pas su mobiliser son camp, est encore vivace.
Grande absente des discours, l’alliance possible avec Reconquête ou Les Républicains : « On n’a pas besoin de Reconquête », juge Jérôme Buisson, « les LR ont toujours trahi », justifie Maximilien Fusone, cadre dans les Bouches-du-Rhône.
Il est trop tôt pour trancher la question de l’affiliation européenne. Identité et Démocratie (ID) ou Conservateurs et Réformistes européens (CRE) ? Au RN, on évoque une recomposition des groupes parlementaires européens avec, à droite, la question des nombreux eurodéputés hongrois du Fidesz de Viktor Orban.
La Déclaration des droits des peuples et des nations
Le meeting final s’installe dans le cadre magnifique des arènes de Beaucaire aux gradins remplis de drapeaux français. L’estrade a délaissé le bleu marine habituel pour un bleu ciel, plus doux, comme la cravate du maire.
Jordan Bardella, accueilli comme une rockstar, entame sur la description d’un parti « proche des gens et de leurs souffrances » puis détaille un programme davantage national qu’européen, interrompu deux fois par une spectatrice s’égosillant : « Jordan, je t’aime ! » Conscient de la demande de fermeté créée par les émeutes, Bardella met l’emphase sur le mot « au-to-ri-té ». Mais là où l’on reconnaît sa « patte », c’est sur la place de la France dans le monde. Depuis son entretien de rentrée dans le Figaro, on découvre un jeune président fasciné par la puissance de la France et aimant partager le spectre politique entre les partisans de la puissance et ceux du renoncement : « La France ne peut viser que le premier rang ». Un nouveau paradigme, rappelant le « MAGA » trumpiste, qui se distingue nettement de ceux qu’a pu promouvoir Marine Le Pen.
Cette dernière, en cheffe incontestée, prend la parole après son poulain et son propos est tout autre. Quitte à rappeler la campagne présidentielle de 2017 dirigée par l’europhobe Florian Philippot, Marine Le Pen développe un souverainisme à trois facettes.
Un premier souverainisme face aux institution supranationales, UE en tête : « L’UE cherche comme un empire à uniformiser par la contrainte ». Elle tacle la cheffe du gouvernement italien au passage : « On ne devrait pas avoir besoin de demander de l’aide à l’UE comme un enfant à sa maman. »
Un deuxième souverainisme face aux volontés d’annexion en évoquant « l’agression russe » et le « martyr du peuple ukrainien ». On est bien loin de l’époque de la poignée de main avec Vladimir Poutine.
Enfin, un troisième souverainisme face aux firmes transnationales avec l’exemple des sociétés spatiales d’Elon Musk : « Il peut influer sur des conflits interétatiques en désactivant ses satellites. »
La solution ? Une très officielle Déclaration des Droits des Peuples et des Nations distribuée au public. Dans une charte rappelant celle des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, Marine Le Pen propose à tous les peuples et nations de souscrire à seize articles consacrant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à rester maîtres chez eux, à conserver leur identité, et à aspirer au progrès. Voilà une initiative inédite qui, dans une démarche de normalisation, entend placer le RN dans une filiation pacifiste et faire office de base d’accord (mais pas de programme commun) avec d’autres partis souverainistes.
Vise-t-il les autres partis de la droite française ou les droites européennes et internationales ? Sûrement les deux à la fois. Reste à savoir si les partisans de la souveraineté et de l’identité de leur pays, aussi nombreux soient-ils, joueront le jeu.
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