Royaume-Uni : « Il y a surtout eu de la part des Britanniques une volonté de punir le gouvernement conservateur », analyse Jeremy Stubbs

Par Julian Herrero
8 juillet 2024 09:28 Mis à jour: 8 juillet 2024 21:35

ENTRETIEN – Le 4 juillet, les travaillistes ont remporté une large victoire face au Parti conservateur. Pour le directeur-adjoint de la rédaction de Causeur et président des Conservatives Abroad in Paris (conservateurs britanniques en France) Jeremy Stubbs, les Britanniques ont été lassés par quatorze ans de gouvernements conservateurs.

Epoch Times : Le parti travailliste a remporté 412 sièges, bien au-dessus des 326 nécessaires pour avoir la majorité absolue. Comment analysez-vous cette performance de la gauche britannique ?

Jeremy Stubbs : Il y a surtout eu de la part des Britanniques une volonté de punir le gouvernement conservateur. Derrière la victoire des travaillistes et le fait qu’ils aient remporté deux tiers des sièges à la Chambre des communes, on remarque que leur score en termes de pourcentage de votes n’a que très peu augmenté par rapport à 2019 et a surtout baissé si on compare avec les résultats des élections de 2017. Le parti de Keir Starmer a récolté jeudi 34 % des suffrages contre 40 %, il y a sept ans. Et il n’avait pas remporté autant de sièges qu’aujourd’hui. Il y a donc une sorte de ratio entre le pourcentage obtenu et le nombre de sièges remportés.

Il s’avère que cette fois, les travaillistes ont remporté la majorité des sièges en réalisant un score relativement faible. Ils ont désormais un blanc-seing pour gouverner, mais ce n’est pas proportionnel à l’adhésion de la population britannique à Keir Starmer et au projet travailliste.

Les électeurs ont-ils seulement cherché à punir le gouvernement conservateur de Rishi Sunak ou tous les autres depuis David Cameron ?

Ce n’est pas particulièrement le gouvernement de Rishi Sunak que les Britanniques ont voulu sanctionner. C’est un effet cumulatif. Le grand écart dans les sondages entre les conservateurs et les travaillistes remonte à l’époque de Liz Truss, et ne s’est pratiquement jamais réduit depuis.

Il est vrai que Rishi Sunak n’a rien pu faire pour réduire cet écart. Et cela montre qu’il était déjà dans une situation difficile. La population a été lassée par quatorze ans de gouvernements conservateurs. Il y avait un besoin de changement. Toutefois, ce besoin de changement s’accompagne également d’un décrochage du peuple britannique vis-à-vis de la politique puisque le taux de participation à cette dernière élection était très bas.

Le parti libéral-démocrate dispose désormais de 71 sièges à la Chambre des communes contre 8 avant les élections, redevenant ainsi la troisième force politique du pays. Qu’est-ce qui a poussé, selon vous, certains électeurs britanniques à voter pour les LibDems ?

Là encore, cela s’explique par la volonté des gens de punir les conservateurs. Les circonscriptions rurales sont souvent acquises aux Tories. Mais dans ces mêmes circonscriptions, les LibDems sont leurs principaux adversaires. Le ras-le-bol de la population a donc également précipité des candidats du parti centriste en première position.

Ces élections législatives britanniques ont également été marquées par l’entrée au Parlement de l’homme fort du Brexit, Nigel Farage avec son parti Reform UK. Alors que le Royaume-Uni n’est plus dans l’UE, quel rôle entend-il jouer désormais ?

Le Brexit n’est effectivement pas la grande question du moment. Tout le monde veut en quelque sorte l’oublier. Mais Nigel Farage continue d’incarner un conservatisme populiste qui prône la maîtrise des frontières, le renforcement de la police, la baisse des impôts et qui est déterminé à éliminer le wokisme présent dans les institutions.

Sa stratégie vise également à punir le Parti conservateur, parce qu’à ses yeux, il n’a pas vraiment incarné tous ces principes. Et il faut reconnaître que la participation de Farage à cette élection a dispersé les voix à droite et a permis aux travaillistes de remporter une victoire encore plus écrasante. Ce qui ne le dérange pas puisqu’il cherche à remplacer le Parti conservateur à long terme.

Keir Starmer est devenu officiellement Premier ministre. Qu’est-ce que cela implique pour le Royaume-Uni et ses relations avec l’UE ? Assistons-nous au retour du courant blairiste des années 2000 ?

On peut effectivement dire que la façade est très blairiste, mais derrière, il y a des choses que Starmer veut cacher. Il est, certes, plus europhile, mais en même temps, le Royaume-Uni avait déjà repris des relations normales avec l’UE grâce à Rishi Sunak. Il sera donc dans la continuité de ce qui a déjà été fait.

L’Union européenne a, en plus, été très claire. Le Royaume-Uni a déjà le maximum de ce qu’il peut obtenir en termes de coopération avec ses voisins européens sans être un État membre. Le nouveau gouvernement ne pourra donc pas négocier davantage.

Keir Starmer est aussi un socialiste. Il a fait des promesses pour les services publics, ceux de santé, et maintenant à lui d’être à la hauteur de celles-ci. Cela ne va pas être facile. Je vois mal comment il va faire sur le terrain parce qu’il sait que les caisses de l’État sont vides et que la population ne veut pas payer plus d’impôts. Si c’était aussi simple, les conservateurs l’auraient déjà fait. Maintenant, la balle est dans son camp. C’est à lui de jouer.

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