Saint Thomas d’Aquin sur la vertu et le péché

Le saint et philosophe Thomas d'Aquin a marié la pensée grecque antique au christianisme. Ses idées restent aussi intemporelles aujourd'hui qu'elles l'étaient dans l'Europe médiévale

Par Leo Salvatore
30 septembre 2024 17:49 Mis à jour: 30 septembre 2024 17:49

Selon le philosophe anglais Anthony Kenny, saint Thomas d’Aquin est « l’un des douze plus grands philosophes du monde occidental ». Ce moine dominicain du XIIIe siècle était non seulement un écrivain et un logicien hors pair, mais aussi un enseignant et un poète de talent.

Tout au long de ses écrits, saint Thomas d’Aquin a articulé une vision chrétienne cohérente du monde dans laquelle la foi et la raison se complètent pour créer ou permettre une vie éthique. Sa conception de la vertu en tant qu’équilibre entre les extrêmes peut nous aider à voir nos défauts plus clairement. Elle peut également nous aider à orienter notre vie dans la bonne direction.

L’inspiration de saint Thomas d’Aquin : Aristote sur la nature humaine

Nous ne pouvons pas apprendre de saint Thomas d’Aquin sans tout d’abord prendre en compte Aristote, son philosophe préféré. L’ancien polémathe grec a posé trois questions fondamentales qui ont façonné la pensée de saint Thomas d’Aquin : Qui suis-je ? Comment dois-je vivre ? Où vais-je ?

Aristote a répondu à ces questions en disant que « l’homme est par nature un animal social » et que « l’homme seul parmi les animaux possède la parole ». La « parole » est la capacité de raisonner, de discerner le bien du mal et d’utiliser ces connaissances pour éclairer la vie quotidienne. Nous devons vivre selon la raison dans des communautés qui favorisent notre humanité commune. Ceci est nécessaire pour atteindre notre destination : l’eudémonisme.

L’eudémonisme est souvent traduit par « bonheur » ou « joie », bien qu’il s’agisse d’une notion plus profonde que les deux. Littéralement, cela signifie « avoir un bon esprit intérieur ». Il s’agit d’une félicité durable qui allie le bien-être émotionnel et l’exaltation spirituelle.

Première page d’un manuscrit de 1566 de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, avec le texte grec et latin. (Domaine public)

Aristote admet que l’eudémonisme échappe en partie à notre contrôle. Il pensait que la santé, la richesse, le lieu de naissance et même l’attrait physique influent sur la mesure dans laquelle nous pouvons l’atteindre, bien que nous puissions difficilement choisir la quantité de chacun de ces éléments dans notre vie.

Néanmoins, le philosophe grec n’était pas un déterministe. Il croyait en l’action humaine. Dans l’Éthique à Nicomaque, il a tracé les grandes lignes d’un plan visant à cultiver des vertus spécifiques par un effort constant et conscient.

Le vice, la vertu et le juste milieu

Pour Aristote, tout ce que nous faisons, qu’il s’agisse d’étudier pour un examen ou de développer une relation avec un partenaire pour la vie, vise implicitement un bien. Tous les biens visent l’eudémonisme. Comme nous sommes des êtres rationnels, nous pouvons utiliser la raison pour guider notre recherche de l’eudémonisme. Nous pouvons devenir plus conscients de nos actes et suivre activement des modèles qui s’alignent mieux sur la vertu. Pour ce faire, Aristote nous suggère de viser le « juste milieu ».

Par exemple, nous sommes souvent confrontés à des choses qui nous font peur. La vertu qui nous aide à surmonter la peur est le courage. Lorsque nous manquons de courage, nous agissons par lâcheté. Nous refusons d’affronter notre peur alors que nous devrions le faire.

Cependant, nous pouvons aussi avoir trop de courage, ce qu’Aristote appelait la « témérité ». C’est le cas lorsque nous ignorons une peur dont nous devrions tenir compte, comme choisir de nous éloigner des sentiers de randonnée sûrs dans une région sauvage reculée.

Un autre exemple de juste milieu est la « tempérance ». À l’un des extrêmes de la tempérance se trouve les « comportements indécents » : la tendance à s’adonner aux plaisirs sans retenue. La consommation excessive d’alcool en est un exemple.

À l’autre extrême, on trouve l’« insensibilité » : l’incapacité à apprécier les bons plaisirs de la bonne manière, au bon moment. C’est le cas par exemple d’une personne qui refuse catégoriquement les plaisirs élémentaires que nous procurent des besoins aussi essentiels que manger, boire de l’eau, bouger notre corps, etc.

Triomphe de saint Thomas d’Aquin, 1471, par Benozzo Gozzoli. Tempera sur panneau ; 2.3 mètres par 1.01 mètres. Louvre, Paris. Le tableau représente Thomas d’Aquin entre Platon et Aristote. (Domaine public)

Qu’ils soient excessifs ou insuffisants, les extrêmes excluent la vertu. Nous ne pouvons agir de manière vertueuse que si nous nous rapprochons du juste milieu. Pour ce faire, nous devons appliquer la raison aux situations et choisir la meilleure voie possible. Devons-nous nous efforcer de vaincre notre peur ou vaut-il mieux tenir compte de ses avertissements ; le moment exige-t-il un plaisir modéré ou la retenue est-elle le meilleur choix ? Plus nous agissons selon la raison, plus nous nous alignons sur la vertu.

Saint Thomas d’Aquin sur la vertu et le péché

C’est à l’université de Naples que saint Thomas d’Aquin a lu pour la première fois l’Éthique à Nicomaque d’Aristote. Par la suite, il a passé une grande partie de sa carrière professionnelle à essayer de synthétiser la conception de la vertu d’Aristote avec sa propre vision chrétienne du monde. Son admiration pour le Grec était si grande que saint Thomas d’Aquin l’appelait « le philosophe ».

Lorsque saint Thomas d’Aquin parle de « péché » dans la vie quotidienne, il pensait généralement au juste milieu d’Aristote. Par exemple, la Somme théologique traite de la propension universelle à acquérir des connaissances qui permettent de bien vivre. En latin, saint Thomas d’Aquin l’appelle studiositas.

La studiositas nous aide à établir un désir ordonné d’apprendre. Cette vertu garantit que nous recherchons la connaissance pour les bonnes raisons, comme comprendre la vérité et cultiver la sagesse. Pour saint Thomas d’Aquin, cette approche modérée de l’apprentissage est en fin de compte au service de Dieu, car l’adoration de Dieu assure notre développement moral.

Un manque de studiositas révèle un manque d’intérêt à devenir une meilleure personne. Cette carence caractérise un extrême de la studiositas, tout comme pour Aristote, la lâcheté décrit l’absence de courage. Saint Thomas d’Aquin n’a pas discuté de ce manque en détail. Pour lui, il est évident que celui qui ne veut pas s’engager dans un cheminement éthique et spirituel renonce à une bonne vie.

Page de couverture de la Summa Theologica, édition de 1596. (Domaine public)

L’autre extrême de la studiositas est la curiositas, que saint Thomas d’Aquin décrit comme un désir de savoir « qui est excessif ». Lorsque la studiositas est excessive, notre désir de connaissance est motivé par de mauvaises raisons ou poursuivi de manière néfaste. Pour reprendre les termes d’Aristote, la curiositas est un vice qui déforme notre quête de connaissances au nom de l’orgueil, de la vanité, du pouvoir et d’autres intentions néfastes. Saint Thomas d’Aquin la considère comme un péché, car la curiositas nous empêche de vivre la vie de foi qui procure la vertu et le bien-être.

La grâce

Saint Thomas d’Aquin est d’accord avec Aristote qu’atteindre l’eudémonisme échappe en partie au contrôle de l’homme – mais son explication diffère. Le théologien soutenait que nous ne pouvons jamais atteindre l’eudémonisme parfait dans cette vie. La vertu sur terre est possible et nécessaire, mais elle est finalement insuffisante. L’eudémonisme parfait consiste en la béatitude, une union avec Dieu qui ne peut s’accomplir qu’au-delà des limites de notre mortalité.

Outre les vertus, nous avons besoin que Dieu transforme notre nature afin que nous puissions participer à la béatitude divine. D’où la modification du cadre d’Aristote par saint Thomas d’Aquin : « La vertu est une bonne qualité de l’esprit, par laquelle nous vivons avec droiture, dont personne ne peut faire un mauvais usage, que Dieu opère en nous, sans nous. »

Malgré les critiques dont certaines de ses propositions ont fait l’objet, les efforts intellectuels de saint Thomas d’Aquin ont contribué à jeter des ponts entre le monde classique et le christianisme. Cinquante ans après sa mort, il a été canonisé par le pape Jean XXII. Son génie lui a également valu une place dans la Divine Comédie de Dante, où l’âme déifiée du saint réside dans le Ciel du Soleil aux côtés d’autres sages.

En tant que théologien, saint Thomas d’Aquin se livrait régulièrement à des réflexions abstraites. Cependant, il savait que la chose la plus importante dans la vie était d’agir selon des lignes directrices et des croyances solides. C’est pourquoi il a profondément réfléchi à l’intégrité morale, afin que les générations futures puissent, elles aussi, vivre dans la vertu et la bonne foi.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.